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« Le Pauvre Christ de Bomba », de Mongo Béti

Par Encres Noires

« Le Pauvre Christ de Bomba », de Mongo BétiJe continue d'alterner classiques, nouveautés et « découvertes ». Le Pauvre Christ de Bomba (1956), de l'écrivain camerounais Mongo Béti, est clairement à classer dans la première catégorie. C'est un pilier de la littérature africaine. Paru à la même époque que L'Enfant noir (1953), de Camara Laye, c'est-à-dire dans la décennie précédant les indépendances, ce roman décrit lui aussi la présence française en Afrique... mais avec un regard beaucoup plus acerbe. Les deux écrivains ne manqueront d'ailleurs pas d'afficher leurs désaccords sur ce point.
Dans Le Pauvre Christ de Bomba, Mongo Béti entre dans le vif du sujet en s'attachant à suivre un missionnaire en tournée dans l'est du Cameroun. Provençal régissant d'une main de fer, depuis vingt ans, la mission de Bomba, le Révérend Père Supérieur Drumont – que tout le monde appelle simplement « RPS » – entreprend de rendre visite aux habitants du pays des Tala ; « ce royaume de Satan, ce vrai Sodome et Gomorrhe », dixit Denis, le boy-enfant de choeur qui l'accompagne et qui narre par le détail les péripéties de cette tournée. Il faut dire que le RPS, pour punir ces croyants aux moeurs païennes – avec, en tête, la polygamie –, ne les a pas « honorés » de sa présence trois années durant...
Le voilà donc qui, flanqué de Denis et de son cuisinier Zacharie, prend la route, à vélo, abandonnant pour un temps la mission et la « sixa » ou vivent et travaillent les femmes chrétiennes avant leur mariage. Le trio ira de déconvenue en déconvenue, le doute assaillera bientôt le RPS devant le peu de foi dont témoignent ses « fidèles ». Quant à Denis, adolescent fasciné par l'aura de sainteté qui, à ses yeux, émane du RPS, il découvrira des plaisirs qu'il n'est pas bon de confesser...
Ce qui frappe d'abord dans ce roman et le rend si captivant, c'est la force du personnage principal. Le RPS Drumont est un véritable héros littéraire, haut en couleurs, mais surtout en nuances... Mongo Béti nous prévient d'ailleurs dès le début, avec un certain cynisme : « De mémoire d'Africain, il n'y a jamais eu de Révérend Père Supérieur Drumont ; il n'y en aura probablement jamais, autant du moins que je connaisse mon Afrique natale : ce serait trop beau. » Car, on le découvre petit à petit, le RPS Drumont, que la foi rend parfois aveugle, n'en est pas moins une représentation idéale de l'humanisme occidental. Même quand il emploie la manière forte, il croit profondément oeuvrer pour le bien. Sévère et naïf, il refuse cependant que la construction d'une nouvelle route, en asservissant les indigènes pour leur plus grand malheur, contribue à les rapprocher de Dieu...
Autre personnage clé du roman, le cuisinier, Zacharie, est à mi-chemin entre l'ange gardien et la mauvaise conscience du RPS. Chrétien peu convaincu, incorrigible rossard, il s'enrichit – et séduit – sur le dos du RPS tout en bénéficiant de son indulgence. Le religieux ne semble d'ailleurs le conserver auprès de lui que pour son franc-parler : Zacharie ne prend pas de pincettes pour critiquer l'action du RPS, lequel, feignant de l'ignorer, en tire en fait de nombreuses instructions.
La tournée du RPS se solde par un cuisant échec, qui dépasse tout ce qu'il avait pu imaginer. Et sous la plume de Mongo Béti, cet échec est, plus que celui de l'évangélisation – aujourd'hui, l'Afrique subsaharienne compte 57 % de chrétiens –, celui d'un colonialisme à bout de souffle, mélange de fausses bonnes intentions et d'asservissement, mission prétendument civilisatrice reposant sur le couple infernal de la carotte et du bâton. L'écrivain semble même pressentir les indépendances quand il met en scène un RPS abattu, désabusé, évoquant son possible retour en France après tant d'années passées à essayer de bâtir quelque chose en Afrique. Quelque chose dont, hélas pour lui, les autochtones ne veulent pas et qu'ils font mine d'accepter, sans y adhérer vraiment pour beaucoup d'entre eux, sachant que cela ne durera pas.
Le Pauvre Christ de Bomba
de Mongo Béti
Laffont, 1956
réédition Présence africaine, 349 p., 8,90 euros

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