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Rétro Gilliam : des chauve-souris dans les assurances

Publié le 14 décembre 2009 par Luxyukiiste
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L’Institut Lumière, vénérable institution célébrant la mémoire des frères Lumière qui, comme chacun sait, ont inventé le cinéma, propose depuis Novembre une rétrospective sélective de la filmographie de l’ex-Monty Python Terry Gilliam : au programme, entre autres, Le sens de la vie, La vie de Brian, Tideland, Brazil, Las Vegas Parano… Si l’on doit surtout les deux premiers à Terry Jones, les autres sont signés de son seul nom. Je n’ai vu qu’un film dans ce lieu saint : Entre le ciel et l’enfer d’Akira Kurosawa, que j’ai beaucoup apprécié, autant que la salle et la qualité de la projection. Je revenais donc confiant avec l’envie de soutenir ce choix éditorial qui fait mentir le seul reproche qu’on pourrait adresser à la programmation habituelle, à savoir de trop faire dans le classique vieillot sans donner sa place à un cinéma plus fou et contemporain (ce qui est également contredit par l’existence des Epouvantables Vendredi). Le programme du jour était tendu : enchaîner Le sens de la vie, film le plus barré des Pythons, avec Las Vegas Parano, trip sous drogue(s) de deux heures, le tout sur grand écran. Inutile de dire que ce fut merveilleux.

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J’avais déjà vu Las Vegas Parano en français : il y a quelques films, comme ça, dont j’apprécie le doublage, ici surtout pour la voix-off de Johnny Depp qui égrène avec une fausse nonchalance jubilatoire les citations du livre d’Hunter S. Thompson. Ce fut donc l’occasion de découvrir le film en version originale. Rappelons le contexte : nous sommes au début des années 70, en Amérique, le journaliste sportif Raoul Duke doit couvrir une course de moto aux alentours de Las Vegas. Parti avec son avocat, le docteur Gonzo, il ne rédigera aucun article mais vivra quelques jours défoncé du matin au soir, faisant les 400 coups dans cette ville à la richesse ostentatoire pour finir recherché par toutes les polices de la région. A l’origine du film, un bouquin semi-autobiographique d’Hunter S. Thompson, journaliste et écrivain suicidé en Février 2005, à l’origine du journalisme gonzo qui consiste à s’impliquer au maximum dans les sujets que l’on traite, jusqu’à tenter les expériences les plus tordues (cf. essayer toutes les drogues connues par l’homme depuis 1544). En vrai, Thompson était parti à Las Vegas avec l’avocat Oscar Zeta Acosta pour discuter d’un article à paraître dans Rolling Stones. C’est d’ailleurs dans le même magazine que sera publié Fear and Loathing in Las Vegas, après que la première version du papier ait été refusée par Sports Illustrated. Pour son adaptation, Terry Gilliam a poussé le bouchon au maximum : Benicio Del Toro et Johnny Depp ont réellement l’air défoncés pendant deux heures. Et, parfois, on se demande si le réalisateur ne l’est pas aussi.

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En effet, tout dans ce film semble bien fait au-delà de toute raison, entre les trips accompagnés de cris et hurlements divers, les couleurs violentes, les chambres dévastées, les hallucinations, les plans remuants… Même si les drogues sont une chose qui m’est étrangère, j’imagine que les sensations provoquées par certains mélanges puissants doivent s’approcher de ce que j’ai vu sur l’écran. En y réfléchissant, le plus criard, dans Las Vegas Parano, c’est Las Vegas elle-même, l’arrogance de ses casinos et de ses palaces, des lumières qui clignotent, du bruit partout, le rêve américain dynamité par deux zozos qui ne respectent rien et abusent de cette overdose de richesse pour mieux la détruire. Grosses voitures de location, chambres d’hôtel de luxe : on saute de lieux en lieux et les excès sont à chaque fois pires que les précédents. Duke et Gonzo sont les derniers résidus de la décennie contre-culturelle sixties. C’est ce que j’ai senti dans cette scène en voiture où Gonzo complètement défoncé une bouteille à la main crache sur la vitre d’un taxi occupé par un vieux couple de bourgeois. Il y a un ravin entre ces gens-là et nos freaks incontrôlables préférés, et après la contestation, la politique, les manifestations, la musique, la liberté, il semblerait que le seul moyen de foutre la zone dans ce petit monde est de piétiner toutes les règles en vigueur à Las Vegas, incendier les autochtones, insulter les touristes, terrifier le personnel des établissements, comportements excessifs qui virent au glauque quand on en profite pour alpaguer une mineure au passage et menacer la vendeuse d’un resto d’autoroute. Etre à San Francisco dans les sixties, signifiait vivre à une époque et dans un lieu bien particulier. Le genre de zénith qui ne se reproduit jamais, dit la voix-off. En plus d’être un beau testament pour cette époque, Las Vegas Parano est aussi un film génial, fou, tuant visuellement et passionnant à suivre bien que forcément hermétique sans un petit rappel contextuel. Unique.

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Troisième et dernier film des Monty Pythons, sorti en 1983, The Meaning of Life, comme son nom l’indique, parle à peu près d’une question qu’on s’est tous posée un jour ou l’autre : pourquoi suis-je là ? tout cela a t’il un sens ? De la part des Monty Pythons, on est tenté d’imaginer qu’on n’aura aucune réponse et que de sens, nous n’aurons pas même une ébauche. C’est en effet le cas, mais pourtant, il y a bien un propos derrière ce film qui cache encore moins bien son côté « film à sketches » que les deux autres. Le déroulement suit celui de notre vie à tous : la naissance, l’éducation, la vie puis la mort. Pourtant, au début, une histoire sans aucun rapport nous est contée : celle des assurances Crimson et de ses vieux employés au bout du rouleau, qui se révoltent contre une administration oppressante et contre la finance internationale. Réalisé par Terry Gilliam, ce court-métrage d’introduction est tout simplement brillant, galvanisant et drôle ; il faut voir notre équipe de petits vieux bombarder les immeubles capitalistes à coup de tiroirs de bureau. Cet élan révolutionnaire des employés Crimson, c’est un peu celui de ses auteurs face au format classique d’un film tout d’abord, et face à tous les sujets qu’ils passent à la moulinette. Au bout d’un quart-d’heure d’introduction, le film commence enfin : il sera interrompu deux fois encore, par le milieu et la fin du film. On notera même une interruption du court-métrage quelques dizaines de minutes plus tard ! Ces détails de forme précisés, on peut maintenant parler un peu du contenu.

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Tout commence dans un restaurant, par une discussion entre des poissons d’aquarium qui, voyant un de leur ancien camarade dans l’assiette d’un client, se demandent quel est le sens de tout cela. C’est alors que le massacre commence : on attaque, entre autres, les médecins, la religion, les professeurs, les militaires, l’administration, les bourgeois, les escrocs, les arrogants, les snobs, personne n’est épargné et l’humour se fait encore plus violent qu’avant. L’idée assez pessimiste qui ressort du film est que tout au long de notre existence, on ne cessera jamais d’être cernés par diverses personnes méprisables ou juste tristement ennuyeuses. Un des sketch les plus violents est, selon moi, celui du restaurant chic, avec l’énorme M. Creosote, qui finira par exploser après avoir ingurgité tous les plats et vomi tout autour de sa table. Les clients, une jolie bande de bourgeois coincés aux sourires faux sont couverts du contenu de cet estomac inhumain, se voyant renvoyer à la figure leur propre surconsommation arrogante. Asperger ceux qu’on déteste d’horribles matières, une manière radicale d’affirmer ses opinions qui marche encore aujourd’hui. On pourrait parler d’autres passages, comme la critique du refus du préservatif par les catholiques qui envoie tous les enfants chez les laboratoires médicaux. Ce serait trop long : je raconterais tous le film. Ca tape dur, et malgré un creux situé selon moi au milieu du film, avec la guerre, les officiers anglais et le déguisement de tigre, on rigole bien devant la férocité de la chose. Si je lui préfèrerais toujours Sacrée Graal, je trouve que ce dernier film, par son format original, ses passages purement délirants (Find the fish) et son humour noir, est tout de même une réussite.
Avant de vous donner rendez-vous à la prochaine projection, je profite de cet article pour signaler la sortie d’Almost the truth, documentaire de 7 heures (!) sur le plus célèbre groupe comique anglais. Sans nul doute, certains pieds de sapins aimeront…
(D’AUCUN SERAIENT TENTES DE DIRE QU’IL N’Y A PAS EU DE DEUXIEME PARTIE et heu c’est vrai)


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