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Violente Violette

Publié le 25 avril 2010 par Desiderio

tendreviolette.jpgIl existe deux grands auteurs de BD belges qui tout en étant francophones n'ont renoncé à rien : François Walthéry et Jean-Claude Servais. Les autres auteurs sont belges, carolos, namurois, bruxellois, anversois, et à l'envers de soi, ou je ne sais trop quoi. Il est l'un des rares auteurs à avoir voulu que son oeuvre soit édité dans le parler de ses ancêtres, le lorrain gaumais. Je pense que vous ne connaissez pas du tout la Gaume, cette étroite bande de territoire le long du duché de Luxembourg. C'est l'autre Lorraine, celle qui ne figure pas sur vos cartes.

La Gaume est un pays de frontières et Servais l'illustre dans sa série des Seins de café. La contrebande était fréquente dans ces terres frontalières et j'en ai eu des preuves lorsque j'ai retrouvé des pièces belges dans une cache de la ferme familiale. Mais la frontière n'est pas seulement physique, elle peut être ésotérique et cela s'était illustré par les premiers volumes que j'avais découvert de lui Iriacynthe, Isabelle, la Tchalette. Un univers qui mélangeait la sorcellerie ou la magie et puis les réalités les plus triviales.

Le point essentiel de l'oeuvre de Servais me semble être la place de la femme. Il n'a jamais ou presque composé de récits dont une femme ne serait pas l'héroïne principale. C'est un auteur à femmes et il faut avouer que toutes ses héroïnes sont très belles et sensuelles, sauf bien sûr quelques vieilles femmes un peu sorcières (mais on soupçonne qu'elles étaient belles dans leur jeunesse et que les jolies jeunes filles pourront devenir comme elles). En tout cas, la femme est l'objet principal de l'attention de Servais : qu'elle soit contrebandière, espionne, châtelaine, nymphe, fille d'usine, de cuisine, de ferme ou de ménage. Je connais peu de dessinateurs qui aient consacré autant de pages à dessiner des femmes sous leurs aspects les plus humbles. Je ne connais d'ailleurs pas de dessinateur franco-belge qui ait autant refusé de mettre en avant des héros masculins. Cela en fait-il un auteur féministe ? Oui et non.

L'idée que je veux mettre en avant, c'est que face à une érotisation de la bande dessinée durant les années 70-80, Servais a choisi de jouer sur la frontière : il va nous présenter des héroïnes aux formes pulpeuses et aguicheuses (on voit très bien dans la couverture que la tendre Violette ne porte aucun sous-vêtement), mais ce sera aussi pour nous parler de choses plus choquantes comme le statut de fille-mère à une époque où c'était mal venu ou bien les relations avec l'occupant germanique ou encore les rapports entre le dominant seigneur et le dominé. Comment survivre dans un monde dont on ne possède pas toutes les règles ? L'érotisation a été une époque subvertie par l'auteur qui a pu se renouveler. Une autre frontière est celle de l'époque des faits, bien entendu entre le XIX et le XXe s., entre la Première Guerre mondiale et l'Après-Guerre, juste au moment où toutes les frontières changent.

Maintenant, venons-en à la couverture. Le dessin et le titre de la série agissent comme si c'était une antiphrase. La tendre Violette boit au goulot une bouteille de vin de Moselle et elle tient par les oreilles un lapin qu'elle va placer dans son carnier avant de le faire rôtir. Tendre ? Vraiment ? Elle a des moeurs un peu rudes et surtout légères qui font qu'elle a mauvaise réputation dans son village (c'est une fille enceinte dans le premier volume). Vraiment, on ne se souhaite pas de rencontrer des jeunes filles au langage aussi rude. L'inconscient peut nous dicter que le Julien serait le lapin aux grandes oreilles. Bref, est-ce qu'elle peut faire vraiment envie malgré le paysage de fleurs et d'herbes dans lequel elle se promène ? J'ai un peu de mal à la décider. C'est une héroïne forte en gueule, ce qui est rare, mais en même temps très ambiguë. Sa seule idée est la survie ou celle de ceux qu'elle aime et en fait on est encore dans la tradition du feuilleton où il faut continuer semaine après semaine.  


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