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Qu’attend-on pour fermer la fabrique à voyous ?

Publié le 02 décembre 2007 par Jean-Paul Chapon

« Ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel n’a rien à avoir avec une crise sociale ; ça a tout à voir avec la voyoucratie » Cette phrase définitive prononcée par le Président de la République, Nicolas Sarkozy jeudi dernier à la Défense, résonne encore dans ma tête comme un violent et sinistre tocsin. Tocsin de cynisme ou tocsin d’incompréhension ? Tocsin qui pour moi marque le retour à une autre époque, un temps d’ordre de classes, le 19ème siècle bourgeois et moral, ou même plus avant le grand renfermement des pauvres. Cette phrase ne va pas sans celles de Fadela Amara, la supposée secrétaire d’Etat à la ville du gouvernement Sarkozy, dans son interview au Parisien de ce même jeudi 29 novembre. Après ses trois jours de silence, comme si elle était assommée, tétanisée par des événements qui la dépassaient tout en la montrant du doigt, elle attend le retour de Sarkozy de Chine, pour telle la voix de son maître, sortir qu’ « il ne faut pas tout mélanger. Ce qui s’est passé à Villiers-le-bel… relève d’abord de l’ordre public et non pas de la politique de la ville… Ce qui s’est passé, ce n’est pas une crise sociale. On est dans la violence urbaine, anarchique, portée par une minorité qui jette l’opprobre sur la majorité… » Mais sans craindre de contradiction dans son raisonnement, ou dans les arguments qu’elle répète, elle déclare un peu plus loin, que « ce n’est pas parce qu’on est pauvre, exclu, discriminé, que l’on peut saccager. »

Exact, la pauvreté n’est pas un droit au saccage. Mais alors, si ces émeutes ne sont pas sociales, et relèvent simplement de la « voyoucratie », comment comprendre le discours de Fadela Amara ? Ce n’est pas social, mais ils sont tout de même « pauvres, exclus et discriminés ». Ce n’est pas social, mais ça se passe à Villiers-le-bel ou à Clichy-sous-bois, jamais à Neuilly où David Martinon, le poulain de Sarkozy, « se sent bien parce que la vie y est douce… » Neuilly cet « écrin unique en France, qui reste à l’abri des dérives de l’agglomération parisienne ». Ce n’est pas social mais c’est le fait d’une minorité, qui pourtant appartient à une majorité, celle des chômeurs, car dans ces cités, le chômage atteint est le double du niveau national quand ce n’est pas le triple pour les plus jeunes. Ce n’est pas social, mais c’est là que les contrôles policiers avec mains sur le capot tournent au harcèlement et enveniment chaque jour un peu plus les rapports entre les jeunes et la police…

Rien n’a changé depuis deux ans dit-on, depuis les émeutes de 2005. Et pourtant si, beaucoup de choses ont changé. On l’a vu, la violence est beaucoup plus directe et plus forte. Des deux côtés. La violence stérile des jeunes, qui les conduit vers le pire et ne les aidera pas à sortir de leur impasse. Tournée vers les voitures et les bâtiments avant, vers les hommes aujourd’hui sur lesquels ils n’hésitent pas à tirer, policiers ou à agresser comme les journalistes, assimilés à des porte-voies du pouvoir. Mais violence envers ces populations aussi, car comment peut-on tolérer que la seule réponse soit de dénoncer la voyoucratie, tout en préparant un énième plan Marshall des banlieues. Attendez et fermez-là. Vous êtes « pauvres, exclus et discriminés », vous n’aviez qu’à réussir. Et lorsqu’on dit vouloir “favoriser ceux qui veulent s’en sortir honnêtement“, qu’attend-on pour le faire puisqu’il s’agit d’une minorité de voyous, que Fadela Amara ait fini sont tour de France et propose son plan Marshall ?

Sarkozy dénonce l’angélisme, je dénonce l’absence de réalisme des uns et des autres. Je voudrais que la violence des jeunes plutôt que de se réveiller dans l’émotion, puisse se canaliser dans l’engagement et la politique. Quel autre danger la voyoucratie pourrait-elle alors faire courir en laissant s’exprimer une partie inaudible de la société ! Car il est bien beau de vouloir enfermer les voyous, mais c’est la fabrique à voyous qu’il faut arrêter. Enfermez les voyous d’aujourd’hui ne sert à rien. La relève est là, prête à venir à leur place, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Toute l’énergie du monde n’y suffira pas. L’usine à fabriquer des voyous tourne à plein régime, on a même l’impression que c’est le seul genre d’usine qui tourne à plein régime en France !

Les maires de ces villes de banlieues, les associations, les acteurs de terrain, tous sont là tels de modernes Cassandre à nous prévenir, attention, attention, cela va recommencer, les braises sont chaudes, le moindre coup de vent, la moindre émotion fera tout s’embraser à nouveau. Mais non. Comme en 2003 le gouvernement niait jour après jour la réalité de la canicule et du nombre de morts, avant de devoir s’incliner devant la réalité de l’hécatombe, on nie aussi en banlieue. Il n’y a pas de crise sociale, juste la voyoucratie. Ouvrez les yeux, regardez là en face cette voyoucratie, et vous verrez à quel point elle est une crise sociale. Celle de notre société de rejet et d’exclusion, qui refuse d’admettre toute une partie d’elle-même, et surtout la plus jeune, la rejette, ne l’emploie pas et lui renvoie ces cv, refuse de l’équiper, la laisse dans ses quartiers enclavés pour la laisser le plus loin possible de ses centres-villes, pense que de détruire les barres qui font tache dans le paysage suffira à résoudre le problème. Non, la crise est sociale, mais de façon globale, c’est la leur, mais c’est aussi la nôtre. La société française est malade, la banlieue est son thermomètre.

Un dernier point avant de me faire taxer une nouvelle fois d’angélisme de gauche. Non je n’approuve pas les violences. Oui, il faut condamner les émeutiers, mais si possible à des peines effectives mais aussi efficaces et pédagogiques. La prison n’est pas une peine efficace dans la plupart des cas, mais un passage entre rituel et habituel pour certains. N’oubliez pas l’origine de la mode du pantalon porté sur les hanches, c’est celui porté sans ceinture par les petits caïds de quartier américains … Il faut peut-être réfléchir à autre chose ? Je ne crois pas à ce tout répressif là. Je préfèrerai volontiers de peines utiles. Faire participer les jeunes aux chantiers de reconstruction des bâtiments détruits ? Et pour ceux qui ont tiré sur la police. Oui de la prison pour faire comprendre la gravité de l’acte, mais aussi du travail avec la police, dans les hôpitaux, sur les lieux d’accidents pour essayer de leur faire découvrir un autre aspect humain du rôle des uniformes.

Les trois illustrations proviennent du Monde (Pancho, 01-12-2007), du Parisien (Faujour, 02-12-2007) et de Libération (Willem 27-11-2007)

Jean-Paul Chapon

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