Magazine Poésie

Gifles, fessées et autres tortures

Par Montaigne0860

Lorsque le fort mésuse de sa puissance sur le faible on le qualifie à juste raison de lâche. Il en profite… et l’on s’indigne et l’on se demande comment une pareille chose est possible dans une société policée. Battu comme plâtre pendant mes dix-huit premières années, je sais qu’il n’y a guère d’action plus destructrice pour un enfant que de le battre ; les parents qui le pratiquent souvent ou de temps en temps ne considèrent que leur propre colère et ne voient pas la destruction profonde qu’ils provoquent chez l’enfant. Je ne me référerai pas aux psys et autres –logues, pour eux c’est l’évidence ; pour demeurer optimiste je citerai René Char (Les Matinaux p.58) où « L’adolescent souffleté », malgré les coups, se retrouve à la fin engagé dans une voie possible ; s’il s’éveillait malgré tout « il se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et plus fort ». Je ne connais aucun texte qui soit plus émouvant et précis dans sa description du processus de récupération de soi après les coups. Il n’en demeure pas moins que battre un enfant est un crime impardonnable qui dans un ou deux siècles apparaîtra comme une ignominie stupéfiante, un moyen-âge de carte postale où les parents étaient de sombres brutes.
J’entends la superbe de la doxa, ce visage bonhomme ou bonne femme, gras et plein d’assurance qui, souriant, vient vous dire avec aplomb qu’une bonne gifle ou une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne. Ils évoquent ce faisant leur propre expérience d’imbécile superbe qui fut parfois châtié jadis et dont ils prétendent qu’ils n’en ont gardé aucun traumatisme : que ne voient-ils dans ces coups les prodromes de leur propre bêtise prudhommesque et les stigmates de leur suffisante insuffisance ! S’ils prêtaient l’oreille – c’est leur supposer une attention à l’autre qui justement leur fait défaut et les amène à cogner sur les petits – s’ils écoutaient, ils entendraient les remuements des coups qu’ils reçurent, les insomnies et terreurs qui furent engendrés par les ridicules engendreurs.
Les coups marquent pour la vie et de manière si profonde qu’il est difficile d’y être attentif, une fois l’enfance terrible écoulée. On refoule, on ne tient pas à y resonger et il faut bien des années et des recherches intérieures pour s’avouer à soi-même : eh oui, j’ai été un enfant battu. La plupart du temps, une fois adulte, celui qui fut un enfant battu et qui se souvient vaguement l’avoir été relativise (« oui, oh, un peu de temps en temps, mais c’est une broutille ») et trouve mille excuses à ses parents de ce comportement ignoble. Il le répète d’ailleurs avec ses propres enfants, c’est bien connu, mais surtout, il cache à sa conscience la terreur subie quotidiennement. Je sais que les parents ont mille « bonnes » raisons pour le faire : situation sociale dégradée où l’enfant est le seul lieu possible de vengeance pour les humiliations subies au quotidien, frustrations économiques et autres « bons » motifs du genre : leurs propres parents les battaient etc. Il n’empêche : le mammifère humain est parmi les êtres vivants celui qui met le plus de temps à devenir adulte et il a besoin durant ses dix huit ans de maturation de l’inverse exact que je résumerai en peu de mots : amour, amour, amour. Plus on donnera de tendresse plus –comme une plante qu’on arrose régulièrement – la croissance sera aisée et la vie adulte ouverte au maximum du bonheur possible. Les coups sont dans ce cadre des cicatrices ineffaçables, des blessures inexcusables, des manquements absurdes au plus élémentaire respect de l’autre (l’enfant).
On s’inquiète à juste titre des femmes battues (voir ma pièce « Des Illusions, Désillusions »), mais qui ne voit dans cet acte monstrueux la suite des coups vécus dans l’enfance ? Ce qui vaut pour les femmes vaut pour les enfants. Rien ne justifie cette barbarie et on peut gager que si un jour les coups envers les petits venaient à être éradiqués, les êtres humains vivraient dans une plus grande harmonie. Car le respect dû aux enfants apprendrait aux adultes que l’autre en général est digne comme soi-même d’être respecté. Mais le parent violent justement ne se respecte pas lui-même, tout est là, et s’il se voyait faire (ce qui est le minimum que l’on attend d’un être humain) il prendrait conscience de l’absurdité criminelle de sa brutalité.
Pour en finir provisoirement je reproduirai ce passage éloquent de Montaigne (Livre II, XXXI) :
« Entre autres choses, combien m’a-t-il pris envie, passant par nos rues, de dresser une farce, pour venger des garçonnets que je voyais écorcher, assommer et meurtrir par quelque père ou mère furieux et forcenés de colère ! Vous leur voyez sortir le feu et la rage des yeux… et avec une voix tranchante et éclatante, souvent contre qui ne fait que sortir de nourrice. Et puis les voilà estropiés, étourdis de coups ; et notre justice qui n’en fait compte, comme si ces boiteries et claudications n’étaient pas des membres de notre chose publique.
Il n’est passion qui ébranle tant la sincérité des jugements que la colère. Aucun ne ferait doute de punir de mort le juge, qui, par colère, aurait condamné son criminel ; pourquoi est-il  alors permis aux pères et aux maîtres d’école de fouetter les enfants et les châtier étant en colère ? Ce n’est plus correction, c’est vengeance. Le châtiment tient lieu de médecine aux enfants : et souffririons-nous un médecin qui fût animé et courroucé contre son patient ? »
Je suis naturellement en faveur d’une loi qui réprime de tels agissements. Le privé ne justifie pas tout et rien n’est plus urgent que de mettre un terme définitif à ces cruelles perversions encore admises dans nos contrées qui se prétendent civilisées.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Montaigne0860 297 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines