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obscurité (24)

Publié le 06 mai 2010 par Feuilly

A l’horizon, une légère lumière, toute pâle, semblait maintenant éclairer la cime des arbres. Elle regarda sa montre : il était quatre heures trente du matin et l’aube, déjà, commençait à poindre. A l’autre bout de la forêt, la lune, qui poursuivait inlassablement son périple, avait presque disparu derrière les plus grands arbres. Un jour nouveau était en train de naître et elle n’était même pas parvenue à regagner la maison. Il était trop tard, maintenant. A quoi bon se dépêcher ? Mieux valait profiter de cette nouvelle journée en espérant qu’elle serait plus calme que la précédente. Elle contempla un bon moment la futaie autour d’elle et trouva tout cela très beau. Le sous-bois était encore dans l’obscurité, mais le dessus des arbres sortait lentement de l’ombre, dans une lumière diaphane, légèrement bleutée. Une brise légère agita les feuilles. Puis un oiseau, soudain, lança un cri, rompant définitivement le grand silence de la nuit. Un autre lui répondit et commença, lui, un chant plus élaboré. La vie s’éveillait, aujourd’hui serait un autre jour.

Soudain elle frissonna. Elle avait froid et ce n’était pas raisonnable de rester là. Elle était fatiguée, ayant bien peu dormi. Il était sage de prendre du repos avant de continuer la route. Elle se leva et regagna la voiture, dans laquelle les enfants étaient profondément endormis. A travers la vitre, elle les contempla un long moment. Ils étaient beaux. Beaux et attendrissants, livrés comme cela sans défense au sommeil. Une nouvelle fois elle sourit et sans trop savoir pourquoi elle les compara au petit hérisson qu’elle venait de voir. Sans doute à cause de l’innocence de l’animal, de sa gentillesse apparente, deux qualités qu’elle retrouvait inscrites ici sur le visage de ses enfants. Délicatement, elle se faufila dans la voiture. La portière fit un petit bruit sec en se refermant, mais personne ne se réveilla. Ensuite, elle s’étendit sur les deux sièges avant et sombra bientôt dans un sommeil profond.

Elle fit un rêve étrange.

Elle conduisait la petite Peugeot depuis des heures et des heures et était épuisée de fatigue. Elle recherchait ses enfants, qui avaient mystérieusement disparu. A la fin, n’en pouvant plus, elle s’arrêta le long de la route. En face, un petit chemin de terre escaladait une colline abrupte, entre deux prairies. Ce chemin, elle le connaissait bien pour l’avoir déjà emprunté dans des rêves antérieurs. Elle se fit donc cette réflexion étrange qu’elle était en pays de connaissance puisqu’elle avait déjà rêvé de cet endroit. Du coup, tout en sachant donc pertinemment qu’elle était dans un songe, elle se sentit rassurée. Une sorte de bien-être s’empara aussitôt d’elle et elle descendit de voiture. C’est même avec un plaisir évident qu’elle se dirigea vers le fameux chemin car c’était celui des amours. Une autre nuit, dans un autre rêve, elle avait rencontré là un jeune homme charmant. Elle-même était toujours étudiante et semblait n’avoir que vingt ans. Ils avaient discuté longuement et le plus étrange c’est qu’il semblait bien la connaître alors que c’était un parfait inconnu. Et par « connaître » il ne s’agissait pas de rapports sociaux extérieurs, mais véritablement d’une connaissance intime, profonde. Bref, c’était là quelqu’un dont elle se sentait comprise et avec qui elle aurait voulu partager sa vie. D’où venait-il, où allait-il ? Le mystère était complet. Mais il devinait toutes ses pensées secrètes et c’était absolument troublant. Et s’il les devinait, c’est qu’en fait il connaissait déjà tout de ses convictions intimes. Que ce soit sur les questions existentielles, sur la politique, sur les rapports humains, rien de ce à quoi elle croyait ne lui était inconnu.

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Pleine d’espoirs, elle commença donc à gravir le chemin et, après un virage, en effet, le jeune homme était là, qui l’attendait, assis sur une vieille souche. Ils se saluèrent et se regardèrent. Puis, comme la fois précédente, ils marchèrent un bon moment, tout en devisant. C’était bien agréable et elle appréciait cette conversation, mais elle aurait bien voulu aussi qu’il s’arrêtât un peu et qu’il l’embrassât, là, au beau milieu du chemin. Mais non, c’était bien la seule chose qu’il ne semblait pas deviner et il continuait à parler sans même la regarder. A un moment donné il lui sourit gentiment et là elle crut vraiment que le moment du baiser était arrivé. Hélas non, il lui serra la main, lui dit au revoir et se mit à redescendre le chemin qu’ils venaient d’emprunter. Elle se sentit complètement désorientée. Elle avait envie de courir après lui, de le rattraper, de lui dire qu’il l’aimait mais qu’il ne s’en était peut-être pas rendu compte, qu’en tout cas elle, elle l’aimait. Mais non, elle ne pouvait pas. Quelque chose dans le rêve (et elle savait que c’était un rêve), lui disait qu’elle devait poursuivre sa route et aller de l’avant. Alors, avec au fond de l’âme un immense regret, elle continua sur le chemin, qui était de plus en plus étroit et de plus en plus escarpé. Elle n’était plus étudiante et avait de nouveau son âge réel. Elle avait envie de pleurer car elle savait que plus jamais, dans sa vie, elle ne ferait une autre rencontre du même genre. Quant au bel étudiant, il continuerait à jamais à avoir vingt ans et à hanter ses souvenirs, tandis qu’elle, elle continuerait à vieillir et à s’éloigner irrémédiablement de lui. La vie qui l’attendait semblait non seulement morne et terne mais elle semblait surtout vide affectivement. Sans doute rencontrerait-elle d’autres hommes, mais elle savait déjà que la relation qu’elle aurait avec eux serait vouée à l’échec car plus jamais elle ne connaîtrait l’intimité de pensée et l’intimité affective qu’elle venait d’avoir avec l’étudiant.

Tout en ruminant ces pensés sombres, elle continuait à marcher. Il faisait chaud, vraiment chaud et le chemin caillouteux, quant à lui, était escarpé, vraiment escarpé. C’était épuisant et elle transpirait abondamment. En plus, elle ne voyait rien de la campagne environnante car elle cheminait entre deux hauts talus qui lui ôtaient toute perspective. C’est donc bien par la seule force de la volonté qu’elle continuait à avancer, mais franchement elle ne comprenait pas quel était le sens de cette marche. C’est un peu comme la vie, se disait-elle, on ne sait jamais vraiment pourquoi on fait les choses, mais on les fait quand même.

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Après une bonne demi-heure, elle parvint enfin au sommet et put contempler le paysage. Des prairies s’étendaient à perte de vue, couvertes d’herbes hautes, non fauchées et déjà jaunes à cause de la canicule de juillet. C’était un grand plateau absolument plat, qui contrastait avec la pente ardue qu’elle venait de gravir. On se serait attendu, en effet, après une telle montée, à découvrir une région de montagnes ou à tout le moins de collines, mais non, cette platitude qui allait jusqu’à l’horizon était absolument décevante. Tous ces efforts pour découvrir ça ! C’était bien la peine ! C’est alors qu’à une distance d’environ deux kilomètres elle remarqua une maison au milieu d’un bosquet d’arbres. C’était en fait la seule chose qui attirait l’attention dans cette solitude et elle sut que c’était là le but de son « voyage ». Elle se remit donc en route, malgré la fatigue et la lassitude qui l’envahissaient de plus en plus. En fait, c’est presqu’à contrecœur qu’elle avançait car elle savait déjà que ce qu’elle découvrirait là ne serait pas réjouissant. Pourtant, une force intérieure lui disait quelle devait continuer envers et contre tout. Elle marcha donc, accablée par le soleil de juillet, les pieds endoloris par les cailloux du chemin, qui la blessaient à travers ses petites chaussures.

Quand elle arriva enfin tout près de la maison, elle le contempla avec étonnement. C’était sa maison, en fait, celle où elle vivait avec son mari, celle qu’elle avait définitivement quittée. Pourquoi être revenue ici alors ? Pourquoi s’être donné tant de mal à gravir des chemins escarpés en pleine chaleur pour retrouver ce qu’elle avait fui ? Heureusement que ce n’est pas la réalité, se disait-elle, puisque je suis en train de rêver... Oui, mais si ce rêve s’avérait prémonitoire ? Sa gorge se serra à cette hypothèse et elle se mit aussitôt à frissonner.

Elle s’obligea cependant à garder son calme et à regarder un peu mieux ce qu’elle avait sous les yeux. Bon, c’était bien sa maison, elle en reconnaissait la porte d’entrée, les petites fenêtres, la toiture de tuiles, mais pas les abords, évidemment. C’était en fait comme si sa demeure avait été transportée ici, au milieu de la solitude de ces champs. Elle n’avait jamais vu une chose pareille, sauf dans les rêves, précisément et puis aussi dans le grand livre de contes de Pauline, ces fameuses Mille et Une Nuits que la petite citait tout le temps. Là, les bicoques se transformaient en somptueux palais orientaux à la moindre formule magique ou bien se déplaçaient à l’autre but de l’Empire d’un simple coup de baguette. Il fallait croire qu’il en avait été de même ici.  

C’est à ce moment qu’ elle se souvint qu’elle était partie à la recherche de ses enfants et qu’elle avait un peu perdu ce problème de vue. Une nouvelle fois, alors que la culpabilité commençait à l’envahir (comment avait-elle pu se comporter ainsi et interrompre aussi facilement sa recherche ?) elle se redit que tout cela n’était qu’un rêve. Puis elle arriva à la conclusion que celui-ci devait bien avoir un sens et que peut-être ses enfants l’attendaient gentiment à la maison. Là était aussi sa place, en fait, là était l’endroit qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Elle avança donc en tremblant car elle redoutait la présence de son mari. Qu’allait-il dire quand il la reverrait, après une escapade de plusieurs jours ? Et si jamais il devinait ce qui s’était passé entre l’étudiant et elle, s’il découvrait la complicité qu’ils avaient eue, là c’est certain qu’il allait encore la frapper. Mais elle n’avait pas le choix, elle devait y aller et entrer dans la maison.

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