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Les Roms : les Apatrides?

Publié le 10 mai 2010 par Labreche @labrecheblog

Rom 1.jpgLe 15 avril dernier, un incendie à Gagny tuait un enfant de 5 ans dans un bidonville peuplé de Roms. Un élu de l’opposition (PS) déclarait au journal Le Parisien avoir demandé au maire (UMP) Michel Teulet de sécuriser le campement dès 2008, ce que ce dernier n’aurait pas fait. Le maire quant à lui, répond qu’aucune demande officielle n’a été faite et de son côté la préfecture annonçait que ce camp devait être détruit dans un mois. Un bidonville est une agglomération hétéroclite de logements précaires dépourvus d’équipements (eau courante, etc.) construite à côté d’une grande ville avec des matériaux disparates et de récupération, s’y entasse une population qui n’a pas pu se loger ailleurs. On voit de plus en plus de bidonvilles roms aux portes de Paris et le long des voies ferrées. Parmi les Roms ceux pratiquant la mendicité sont de plus en plus visibles dans les transports en commun. Souvent l’on nous fait croire que tous les Roms on choisit de vivre ainsi. Ils refuseraient de participer à la vie de notre société. Ce prétexte masque pourtant les difficultés d’insertion des Roms en France et en Europe.
Dans une étude de février 2008, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (France), s’appuyant sur des chiffres d’associations spécialisées, estimait qu’il y avait 10 millions de Roms en Europe et une dizaine de milliers en France. Cette étude ,comme de nombreux d’articles universitaires ou de presse, interpelle les autorités politiques quant aux traitements réservés aux Roms en Europe et en France.

Problèmes sociaux des Roms en France

Liberté de circulation et accès au marché de l’emploi pour les Roms

« On entend par Roms migrants en France, les personnes vivant sur le territoire national, venant essentiellement des pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) et se reconnaissant comme Roms. » (CNDCH)

Rappelons, qu’au 1er janvier 2002, et avant même l’entrée de la Roumanie et la Bulgarie dans l’Union européenne (2007), les ressortissants de ces deux pays n’avaient pas besoin de visa pour un court séjour (3 mois) dans l’espace Schengen. Les Roms bulgares et roumains utilisaient fréquemment cette procédure, et se rendaient en France puis rentraient dans leur pays. C'est pourquoi, jugeant cette pratique abusive ; une semaine avant l’entrée dans l’UE de la Roumanie et la Bulgarie, le gouvernement français, comme d’autres gouvernements européens, a décidé d’instaurer un régime transitoire pour les ressortissants de ces pays. À ce propos, une circulaire du ministère de l’Intérieur français signée en décembre 2006 précise que « l’intégration de ces pays ne signifie pas la reconnaissance ipso facto au profit de leur ressortissant d’un droit inconditionnel au séjour ». Il est explicitement dit qu’ils ne sont pas citoyens européens à part entière. Suite à cette circulaire quatre ONG : CIMADE, Ligue des droits de l’homme, FASTI, GISTI ont fait un recours auprès du Conseil d’État jugeant qu’elle n’entrainait aucune évolution dans le statut des ressortissants roumains et bulgares alors même que leurs États venaient d’adhérer à l’UE et qu’ils devraient donc bénéficier du principe de libre circulation.

Exercer une activité professionnelle est un premier pas vers l’insertion. Pourtant, les Roms, ressortissants européens, ont un accès restreint au marché de l’emploi. D’abord, parce que les salariés des nouveaux États membres (Hongrie, Slovaquie, 2002 et Roumanie, Bulgarie depuis 2007) n’ont accès qu’à 150 métiers manquant de main d’œuvre. Ensuite, parce qu’aujourd’hui pour obtenir un titre de séjour ces ressortissants (bulgares et roumains) doivent travailler et avoir une autorisation de travail. Mais ils ne peuvent pas s’inscrire à Pôle Emploi sans titre de séjour car cela nécessite d’avoir travaillé au préalable.

Enfin, les employeurs désireux de les embaucher doivent-ils payer une taxe variant de 70 à 1600 euros à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, comme ils le feraient s’ils souhaitent employer un travailleur étranger. De plus, depuis le 1er janvier 2008, ces restrictions au marché de l’emploi français ont été suspendues pour les citoyens des nouveaux pays membres de l’Union européenne exceptés pour la Roumanie et la Bulgarie. Pourquoi des mesures spécifiques à ces deux pays ? Parce qu’ils comptent plus de 3 millions de Roms. Au final, les citoyens de ces pays, pourtant européens, ne bénéficient pas du même statut qu’un Allemand ou qu’un Slovaque. Ils sont considérés comme des européens étrangers. Toutes ces mesures ont pour objectif de freiner l’arrivée de Roms.

Scolarisation des enfants Roms

Aux problèmes pour accéder au marché de l’emploi se greffe celui de la scolarisation des enfants. Pour inscrire un enfant à l’école, il faut s’adresser à la mairie qui demande un justificatif de domicile que beaucoup de familles roms ne peuvent pas fournir. Ne pouvant fournier des documents, les maires refusent de scolariser les enfants. Leurs conditions de vie précaires ainsi que les expulsions répétées rendent des démarches administratives plus compliquées. Ainsi, moins de 10% des enfants roms seraient scolarisés selon le Collectif des droits des enfants roms à l’éducation. En outre, la Halde en octobre 2009, déplorait également ce problème. Néanmoins, comme le précise Olivier Meunier, chercheur à l’Institut de National de Recherche Pédagogique (INRP), certaines familles roms ont des réticences à scolariser leurs enfants surtout au-delà de l’école primaire. L’école primaire permet d’apprendre à écrire en conséquence, de mieux comprendre « l’univers administratif ». Quoi qu’il en soit, la scolarisation des enfants est un devoir de l’État comme en dispose l’alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 « La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».


Une discrimination à l’échelle européenne

À l’occasion de la Journée Internationale des Roms, le 8 avril, ces derniers ont rappelé à l’Union européenne qu’elle se devait de tenir ses engagements quant à la lutte contre les discriminations dont ils sont victimes. 25% des Roms sont victimes d’agressions en Europe. La date choisie rappelle le premier Congrès international rom, organisé à Londres le 8 avril 1971, au cours duquel avait été lancé l’Union romani internationale (URI). Cette organisation a permis aux Roms de porter plus efficacement leurs revendications auprès des États et des organismes internationaux.

Le 7 avril 2010, la Commission européenne présentait un programme visant à faciliter l’inclusion des Roms en Europe. Les fonds structurels seront utilisés à cette fin, notamment le fond social européen. La problématique des Roms sera prise en compte dans des domaines tels que l’emploi, le développement urbain ou la santé publique. Et, les communautés roms seront mises en avant afin qu’elles soutiennent la croissance dans le contexte de la stratégie Europe 2020. Cet effort a été réaffirmé lors du second sommet européen sur les Roms, se déroulant le 8 et 9 avril 2010 en Espagne, pays qui préside actuellement l’UE.  Mais les États européens membres et non membres veulent-ils vraiment inclure les Roms ?

La législation anti-mendicité et expulsion

La législation anti-mendicité s’est durcie. En France, en 2005 l’article 227-15 du Code pénal a été modifié par ordonnance n°2005-759 le 4 juillet 2005 et précise désormais : «Constitue notamment une privation de soins le fait de maintenir un enfant de moins de six ans sur la voie publique ou dans un espace affecté au transport collectif de voyageurs, dans le but de solliciter la générosité des passants. » La directive communautaire 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres indique : « La notion de « ressources suffisantes» doit être interprétée à la lumière de l'objectif de la directive, à savoir faciliter la libre circulation, tant que les bénéficiaires du droit de séjour ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale de l'État membre d'accueil. » Cette mesure est dénoncée par le GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés) comme portant atteinte aux droits de l’homme.

Les Roms qui pratiquent la mendicité sont de plus en plus visibles dans les capitales européennes et nombres de personnes pensent qu’ils sont une charge importante pour la société. Mais, rappelons qu’ils profitent très peu de l’assistance sociale puisqu’ils n’ont souvent pas de papiers.

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Traitement des enfants roms

En août 2008, des accords bilatéraux ont été passés entre la France et la Roumanie concernant le rapatriement des mineurs. Des mineurs interpellés peuvent ainsi être expulsés. Cependant, l’article 6 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France stipule en effet que « tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France doit, après l’expiration d’un délai de trois mois depuis son entrée sur le territoire français, être muni d’une carte de séjour ». Notons, comme l’indique Claudia Cortes-Diaz, juriste au GISTI, les étrangers âgés de moins de dix-huit ans ne sont pas tenus d’être en possession d’un titre de séjour. De même, ils sont protégés contre toute mesure d’éloignement. Et l’article 26 de l’ordonnance de 1945 prévoit très explicitement « L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet ni d’un arrêté d’expulsion, ni d’une mesure de reconduite à la frontière prise en application de l’article 22 » Par ailleurs, étant séparé de leurs familles de nombreux mineurs rapatriés sont captés par des réseaux mafieux.

En Suisse, depuis janvier 2010, la police peut interpeller et conduire les enfants roms au service de protection des mineurs. Là, ils pourront être placés en foyer et scolarisés. Les parents pourront aussi perdre la garde de leurs enfants et être soumis à de fortes amendes. S’ils ne les règlent pas ils sont passibles d’une peine de prison.  Retirer à leur parents et  placer des enfants roms rappellent les années sombres de l’histoire suisse. En effet, de 1926 à 1972, l’œuvre d’entraide pour les enfants de la Grande route, fondation de bienfaisance, avait été chargée par Berne de sédentariser de forces les Tsiganes suisses (Jenisch). 800 mineurs avaient été enlevés à leurs familles, placés dans des familles d’accueil ou des orphelinats quand ils n’étaient pas jetés en prison ou internés en asiles psychiatriques. L’intégration de force n’est pas une solution. C’est en 1972 que le journal Der Schweizerische Beobachter, révèle ces pratiques et l’œuvre finit par être dissoute. En 1987, la Confédération helvétique reconnait sa responsabilité morale.

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Par ailleurs, en mars dernier, Robert Fico, président du gouvernement depuis 2006, déclarait que les internats spéciaux pour enfants roms étaient la solution. Il s’agirait de permettre à des « gens incapables d’être utile à la société. » Aussi, un rapport de 2009, de l’ONG Child Rights Information Network dénonçait le comportement du gouvernement finlandais qui retire des enfants à des mères roms pour les placer en foyer. Enfin, en 2008, les autorités politiques italiennes souhaitaient relever les empreintes des ressortissants roumains pour constituer un fichier afin d’éviter les retours des Roms. Suite à cette annonce des organisations religieuses et l’UE ont demandé à l’Italie de revenir sur ces dispositions, estimant que le fichage ethnique était dangereux et rappelaient les années sombres de l’histoire européenne.

Hannah Arendt dans les Origines du Totalitarisme traite de la question de ceux qui n’ont pas de patrie, les apatrides. Les Roms sont fréquemment assimilés à des apatrides car souvent qualifié de minorité transnationale, autrement dit, ils n’ont pas d’attache réelle, pas les mêmes usages que les populations locales, au final pas de patrie. Hannah Arendt souligne que la première étape de la déshumanisation est d’exclure du champ politique l’individu ou un groupe. Ce dernier doit être considéré comme étranger à notre système. Une fois qu’il n’est plus considéré comme un « animal politique », plus des nôtres, il est plus facile pour le reste de la population d’accepter qu’il subisse de mauvais traitements. C’est pourquoi, tout en appelant à des actions communautaires spécifiques à la communauté rom, Magda Matache, qui dirige l’association rom Romani criss, estime que présenter les Roms comme une minorité transnationale, entretient une forme de ségrégation à leur égard.
Véhiculer l’image d’une communauté rom « hors système » permet d’en faire un bouc émissaire. Par exemple, en République Tchèque un maire a fait saisir les allocations perçues par les familles roms insérées mais endettées. Il a été applaudi par l’extrême droite. Enfin, Yves Plasseraud, explique que la Roumanie du fait de la proximité des ethnonymes Roumains et Roms, cherche absolument à se démarquer des Roms en tentant d’introduire le néologisme Rroms pour désigner ces derniers. Au final, ils sont des étrangers quelque soit le lieu où ils se trouvent.

Bibliographie :

Commission National Consultative des Droits de l'Homme, Etude et propositions sur la situation des Roms et des gens du voyage en Europe, février 2008.

Jean-Baptiste Duez, Ces Roms qui font peur à l'Europe, laviedesidées.fr, octobre 2008.

Claudia Cortes-Diaz, La scolarisation est un droit et un devoir, Plein Droit, avril 2005.

Laurent Geslin, Les Roms, "étranger proches" des Balkans, Le Monde diplomatique, juillet 2008.

HALDE, Délibération n° 2009-372, octobre 2009.

Jean-Pierre Liégeois, Les Roms au coeur de l'Europe, Les Courriers des Pays de l'Est, 2005, p.19-29.

Yves Plasseraud, Minorités et nouvelle Europe, Les Courriers des Pays de l'Est, 2005, p.15-18.

Marie Bidet, Grégoire Cousin, Samuel Delépine, Régis Guyon, Olivier Legros, Martin Olivera et Xavier Rothéa, Les Roms-Tsiganes à nouveau boucs-émissaires ? LeMonde, 2010

Crédits iconographiques :  1. © Marx Ernst, les Apatrides ; 2. © luttenword.files.wordpress.com ; 3. © 2010 Leparisien.fr


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