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Marie Darrieussecq évoque le nouveau film d’Abbas...

Publié le 13 mai 2010 par Mmepastel

Marie Darrieussecq évoque le nouveau film d’Abbas Kiarostami, Copie Conforme, avec Juliette Binoche, qui sortira le 19 mai.

“Comment raconter encore une histoire d’amour en Toscane ?

Copie conforme : en jouant sur les clichés. Sur la conformité des lieux, les petits hôtels amoureux, les cafés qui refroidissent pendant qu’on se consume, les ruelles où l’on se perd, où l’on se fait mal, où l’on se retrouve, et les pavés qui sonnent sous les talons : « si j’avais su qu’on viendrait ici, j’aurais mis d’autres chaussures », dit la femme jouée par Juliette Binoche. 
D’autres chemins sur les mêmes pas : dans une ruelle, le film se retourne. Les phrases prennent un tour déroutant, le tour de l’inquiétante étrangeté. Cet homme et cette femme, qui viennent - semble-t-il - de se rencontrer, jouent à être un couple. Ils y jouent si bien qu’ils semblent le devenir, ou l’être déjà, depuis quinze ans. Ils sont déjà venus ici. Ils ont déjà joué cette scène. Comme tous les couples venus faire l’amour en Toscane, venus inventer leur propre histoire d’amour, venus jouer leur propre film. 
« J’ai un train à prendre à neuf heures ». L’homme est, selon la femme, « toujours absent ». La caméra filme d’emblée une chaise vide : on ne voit qu’un livre, Copie conforme. On attend l’auteur. Long plan de générique sur cette absence qui ne laisse que l’œuvre : un autoportrait de Kiarostami ? « Il ne peut pas avoir l’excuse des embouteillages, il est logé au-dessus » explique son traducteur, premier double de l’auteur. Qui arrive enfin. Et qui est content d’être reconnu ici, en Toscane. Son livre n’a eu aucun écho dans son pays. Reconnaissance et écho : le film est lancé, la copie tourne. Reflets, rétroviseurs, pare-brises, vitres et verres, tout miroite. Et cet avis que la femme ne cessera de demander, pour qu’on lui dise qui elle est, qui elle aime. 
L’auteur est anglais, joué par William Shimell, qu’on connaît comme baryton à l’opéra. C’est aussi un film sur la voix. Long plan sur le public de la conférence, sur les visages, leurs réactions. La voix résonne, ronronne, la femme se dissipe entre son fils et le traducteur. Puis s’énerve. C’est énervant, d’être séduite. 
La réciproque est vraie, mais pas tout à fait symétrique : le malentendu entre les hommes et les femmes, toujours. Les jeunes couples qui s’épousent, robes blanches et costumes en ronde autour des mariés de quinze ans. Les copies qu’on forme, les couples ancestraux modèles, la répétition des parents aux enfants - trois générations ne cessent de se croiser, discrètement, dans le film. 
Entre les seins de la femme danse un bijou libellule : une éphémère. L’amour de toute une vie en une seule journée : le film perturbe le grand modèle classique, mais sans les abîmes des boucles temporelles - on n’est pas à Marienbad. Sans nostalgies psychologiques non plus. L’amour d’une journée qui ouvre sur la vie : ce n’est ni un film de regrets, ni un film de fantômes, et les illusions n’y sont pas toutes perdues. Le point de la caméra semble être l’éphémère - sillon des seins. Il fait chaud, l’ombre y est luisante. La femme enlève d’abord ses chaussures. Sa pudeur et sa sensualité sont infinies. Juliette Binoche est une actrice qui a toujours eu un corps, des doigts carrés, des seins présents. Elle incarne ici une femme en pied, en sueur, avec des boucles d’oreilles qui laissent des marques, du rouge à lèvres qui déborde. 
« Je me suis fait belle pour toi, et tu ne me regardes pas ? » Il ne se souvient pas de leur anniversaire de mariage. Griefs éternels, dans toutes les langues. Sauf qu’on entend les phrases comme si elles n’avaient jamais été dites, grâce aux acteurs, à leur voix, à leur corps, portés par le décalage de l’histoire. Phrases dites pour séduire ? Dites pour se trouver, ou pour se séparer ? Elle enlève son soutien-gorge sous la robe, dans ce geste que maîtrisent très tôt les femmes qui en portent. Elle veut lui montrer la marque qui la faisait souffrir, qui l’oppressait. Est-elle l’épouse de quinze ans, dans la routine physique des chairs et des fluides, familière, alanguie ? 
Est-elle la séductrice à peine rencontrée, effrontée, courageuse aussi, qui veut un homme et qui le montre ? Et lui, la veut-il ? La connaît-il ? D’il y a une heure, d’il y a toute une vie, que sait-il d’elle ? Et de l’art, et de l’amour, et de son désir, et de ce qu’il doit faire de sa vie, ce soir à neuf heures, et tous les soirs ?”

Extrait et texte pris chez Comme au cinéma, qui propose en plus deux autres extraits et la bande-annonce.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’ai drôlement envie de le voir.


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