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Les cigales et la fourmi

Publié le 14 mai 2010 par Copeau @Contrepoints
Les cigales et la fourmi

Qui est responsable de la crise « grecque », devenue crise européenne ? Les agences de notation, les spéculateurs, les « marchés », les capitaux « apatrides », etc. ? On aura tout entendu à propos de cet épisode, et pourtant ma réalité est ailleurs : ce sont les décisions des hommes politiques qui ont provoqué des déficits délirants et une dette explosive. Avant la crise, l'Etat était déjà le problème, chercher la solution à la crise dans le plus d'Etat ne pouvait qu'aggraver la situation.

Aujourd'hui l'Europe des cigales étatiques compte beaucoup sur l'Allemagne pour survivre. Quand la bise fut venue, les cigales se trouvèrent bien dépourvues. Elles ont forcé la main de la fourmi allemande, pour qu'elle aide les pauvres cigales.

Les boucs émissaires : agences de notation et spéculateurs

Qui a provoqué la crise actuelle ? On accuse les agences de notation (voir la NL de la semaine dernière). Ce n'est pas nouveau : on accuse le messager qui porte la mauvaise nouvelle, alors qu'il ne fait que dire ce qui est. On accuse les marchés, les spéculateurs, les capitaux avides de profit. Mais qui sont ces horribles personnages ? Des entreprises, des banques, des opérateurs divers, qui essaient de gérer au mieux leurs placements. Ce n'est pas un complot du grand capital ; c'est simplement le fruit d'anticipations, de calculs sur la probabilité de ne pas être remboursé. Ce n'est que de la bonne gestion élémentaire, de la part de milliers de gens.

D'ailleurs nous sommes tous des spéculateurs : si nous voulons bien mener notre barque, nous nous débarrassons des actifs qui risquent de se dévaluer, pour acheter des valeurs sûres. Nous cherchons aussi à limiter nos dettes : « qui paie ses dettes s'enrichit ». Toute autre attitude s'appelle du gaspillage ou de l'insouciance.

Pour être sérieux, il faut rester sur une explication simple de la crise actuelle : c'est une crise des finances publiques, dont l'intensité a soudainement augmenté avec les plans de relance keynésienne de ces deux dernières années.

L'agonie du keynésianisme

Le keynésianisme est né dans les années 30 d'une vision purement globale de l'économie, méconnaissant l'essentiel, c'est-à-dire les comportements individuels des ménages et des entreprises. Pour Keynes et ses disciples, l'économie se pilote d'en haut, grâce au maniement des dépenses publiques, des impôts ou des taux d'intérêt. Par conséquent, l'Etat doit maîtriser la conjoncture, en jouant sur le volume de la demande globale. Il faut la relancer en cas de récession et de chômage, et la freiner en cas d'inflation. Une politique conjoncturelle, contra cyclique, doit donc permettre d'avoir une croissance « harmonisée » ou « équilibrée ».

On a vécu ainsi jusqu'aux années 70, jusqu'au premier choc pétrolier, qui a mis en évidence l'inefficacité de la politique de « Stop and Go » : la relance de l'économie mondiale frappée par la hausse du prix du pétrole a abouti non pas à résorber le chômage, mais à créer à la fois l'inflation et la récession. Incapable d'expliquer cette stagflation qu'il avait créée, le keynésianisme est jeté aux orties.

On est alors passé aux choses sérieuses dans les années 80, les années Reagan/Thatcher : libérer les vraies sources de la croissance, les entreprises et les entrepreneurs, en défiscalisant (moins d'impôts) et en déréglementant (moins de dirigisme). On a tourné la page du keynésianisme et de la politique conjoncturelle, au profit d'une politique de l'offre et d'une « stabilisation des politiques de stabilisation » (M.Friedman).

La mondialisation a semble-t-il porté un nouveau coup au keynésianisme, car la concurrence à l'échelle internationale rend inefficaces les politiques nationales de manipulation des budgets et de la monnaie. Les Etats ne sont plus maîtres du jeu, ils sont eux-mêmes en concurrence. Même s'ils sont accusés de « dumping » ce sont les Etats qui prélèvent le moins d'impôts, qui ont le moins de charges sociales, qui n'ont cure des balivernes écologiques, qui offrent les meilleures conditions de compétitivité à leurs entreprises.

La revanche de l'Etat Providence

Cependant la mondialisation n'a pas suffi à effacer totalement la souveraineté économique des Etats. Même dans les pays réputés les plus « libéraux » demeuraient de solides bastions dirigistes voire collectivistes. Les Etats-Unis, avec des Démocrates au pouvoir vivant dans la nostalgie du socialisme de Roosevelt, sont retombés dans l'interventionnisme monétaire et financier. La conjonction de la politique d'argent facile de la FED et de l'émission de titres hypothécaires sans valeur mais garantis par l'Etat (les subprimes) a déclanché une crise financière encore aggravée par la maladresse des mesures de « sauvetage » immédiatement mises en place.

Les hommes politiques étant responsables, allaient-ils s'auto accuser et céder la place ? Evidemment non. On a donc cherché la solution du côté de l'Etat, alors même que le problème était venu de l'Etat. Et comme chacun était pressé, on a cherché une politique facile à mettre en œuvre, à la portée de l'énarque moyen. Cette politique qui devait nous sortir de la crise, c'est la relance keynésienne. Sortie par la porte, elle est revenue par la fenêtre. Elle a l'avantage d'être très populaire, puisqu'on dit aux gens qu'ils vont recevoir plus d'aides, de subventions, de prestations sociales, de revenus publics ou d'équipements collectifs « gratuits ». En outre, ils feront une bonne action en acceptant ces largesses, car cela relancera l'économie et l'emploi.

Les déficits ne sont pas tombés du ciel

Presque tous les gouvernements depuis deux ans ont donc multiplié les dépenses publiques. Voilà qui a mécaniquement créé plus de déficits, plus d'emprunts, donc plus de risque de non remboursement, ce qui se traduit par des taux d'intérêt plus élevés. Cela touche l'ensemble des pays développés et beaucoup d'entre eux (et pas seulement la Grèce, qui n'est qu'une toute petite partie du problème) ont des déficits annuels proches de 10% du PIB, parfois sensiblement supérieurs et un endettement qui se rapproche ou dépasse les 100% du PIB. En quelques semaines, les critères de Maastricht, pourtant acceptés et signés par les 27, ont été balayés : qui s'est soucié des règles européennes limitant à 3% du PIB le déficit annuel et à 60% la dette totale ?

La nouvelle couche de déficits publics résulte donc de la relance massive. Elle a atteint tous ces pays que les gens du Nord appellent « club Med » : Grèce, Portugal, Espagne, Italie… et France. Ces déficits menacent maintenant l'équilibre financier européen, et la valeur de l'euro ne cesse de chuter. Naguère les mêmes gouvernements, qui crient aujourd'hui au feu, s'étaient vantés d'avoir sauvé les économies grâce aux déficits. En fait, ils avaient fait ce qu'ils font depuis des décennies : vivre au-dessus de leurs moyens. En France par exemple, le dernier budget en équilibre remonte à 1974 ! Cela fait 36 ans que nous sommes en déficit public. Il est vrai qu'aucun pays n'avait atteint les « performances » de la Grèce.

La fourmi allemande

Par comparaison, l'Allemagne fait figure de fourmi. Ce n'est pourtant pas un modèle de vertu, car elle a aussi des dépenses publiques excessives, dues aux coûts engendrés par la ruine de la RDA. Elle aussi a relancé les dépenses face à la crise ; mais elle était partie, il y a deux ans, d'un budget équilibré, de sorte que le déficit a été de 3% du PIB seulement. Cet équilibre budgétaire avait été acquis à la force du poignet. La fourmi n'est pas riche par hasard, mais grâce à ses efforts pour rester compétitive. Lui demander d'aider celles qui ont dansé tout l'été, c'est immoral. Lui reprocher sa rigueur, comme l'a fait Madame Lagarde, c'est indécent.

Les Allemands ne veulent pas être les dindons de la farce, et nourrir toutes les cigales européennes. Derrière le Japon et devant la Chine ce sont les Allemands qui ont la plus grosse capacité financière au monde. Ils viennent de perdre leur position de premiers exportateurs mondiaux au bénéfice des Chinois, mais peu importe : ils misent sur les débouchés des pays émergents et veulent de plus en plus se désengager de l'Europe.

Dans cette crise, les responsabilités sont claires : les pays se sont lancés tête baissée dans la relance par les dépenses publiques et les déficits. Un an plus tard, comme nous l'avions annoncé, voilà que la facture est présentée, et il faut gérer des déficits qui ont été souvent triplés en deux ans. La médecine du docteur Keynes est et a toujours été un poison.

Lire aussi de Jean-Yves Naudet :

-
En défense des spéculateurs.


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