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Qu'est-ce qu'un parpaillot ?

Publié le 14 mai 2010 par Desiderio

Je reprends quelques bricoles que j'ai écrites dans un forum consacré à la langue. La raison ? Un billet supprimé à la suite d'une fausse manoeuvre et puis un commentaire de Frédérique Imer-Loup qui reprend le mot « parpaillot » que seul(e) ou un(e) protestant(e) ose utiliser encore aujourd'hui par défi. Ben oui... les papolâtres, papomanes, papistes et adeptes du culte marial ou fatimesque ou soubirounien n'osent plus trop employer leurs anciennes insultes envers les tenants de la religion prétendument réformée. La question est : qui est le parpaillot et pourquoi ou comment ? Que veut dire ce mot que seuls les hérétiques de la Sainte Eglise apostolique catholique et romaine emploient encore (parce que le bon catholique n'osera plus insulter ainsi) ?  

Je constate que le Robert historique ne tient aucun compte des étymologies de Littré, qui sont pourtant fort amusantes à lire et qui lancent dans beaucoup de fausses pistes. Je recopie les épisodes.

Première époque :

«  On a tiré ce mot de parpaillot, qui a signifié papillon (provenç. parpaillo, ital. parpaglione, qui semble une corruption du latin papilio) ; d'autres l'ont tiré de parpillole, nom d'une petite monnaie, disant que les religionnaires du XVIe siècle l'ayant mise en usage furent appelés de là parpaillauds ou parpaillots ; d'autres font venir ce sobriquet d'un sieur Parpaille, natif d'Orange, et qui, propageant le protestantisme dans le Comtat, fut mis à mort en 1562. Dans Rabelais parpaillot doit signifier papillon ».

On a aussi « parpaillote » :
Espèce de chemise dont les protestants firent usage en Gascogne, dans une sortie, pendant le siége de Nérac.

[Bizarre... Furetière parlerait du siège de Clérac et Littré de Nérac. Lequel dit vrai ?]

Et « parpailloler ».
Nom vulgaire donné en Dauphiné, sous Charles VII et Louis XI, aux grands blancs de dix derniers tournois.

Je n'ai pas trouvé ce dernier terme — tout comme le précédent — avec mon Greimas de moyen français, peut-être chez Nicot ? C'est antérieur à la Réforme. Y aurait-il eu le sens de vêtement blanc, bien auparavant ? La mention du terme chez Littré est honnête et doit être prise en compte — ses reconstitutions étymologiques sont seules suspectes —, je me dis que le Robert historique ne nous dit pas vraiment tout..

Deuxième époque

Le Robert historique doit se tromper sur le nom de la ville citée par Furetière, ou recopie une erreur de Furetière — je le prouve ensuite. Remarquons que Furetière s'appuie lui-même sur Ménage et Pasquier à propos de l'anecdote des chemises blanches et des papillons le même jour. Ce sont donc des citations de citations de citations... Et il faut noter encore que Furetière, dont le dictionnaire est paru en 1690, écrit près de trois-quarts de siècle après la première attestation du mot. Ce qui est fort étrange, c'est la mention de Pasquier car si le dernier volume des Recherches de la France, une somme encyclopédique, est paru en 1621 à la même date que le mot « parpailot», je me demande comment Pasquier pouvait bien savoir qu'il y avait eu des papillons blancs au siège de Nérac ! Pasquier était mort depuis six ans... Cette caution est on ne peut plus suspecte. Là encore, le Robert historique nous donne une information extrêmement douteuse. J'en viens à me demander si tout cet article est de la même farine...

« Parpaillot » apparaît en 1621. Que dit le TLF sur les premières mentions du mot ?
Étymol. et Hist.1. 1621 Parpaillaux plur. «calvinistes, protestants» (Mercure françois, t.7, p.614); 1630 parpaillot «id.» (A. D'aubigné, Aventure du baron de Foeneste, IV, 4, éd. E. Réaume et de Caussade, t.2, p.570).D'Aubigné, qui était calviniste, ne doit pas employer le terme comme une insulte, ou alors il le place dans la bouche d'un catholique.

1621. C'est le siège de la ville de Nérac, l'une des douze premières places de sûreté accordées aux réformés, ce depuis les « conférences de Nérac » entre Catherine de Médicis et le futur Henri IV, entretiens qui débouchèrent sur l'Édit de Nérac (18 février 1579). Nérac était la capitale de la seigneurie, puis duché d'Albret, elle fut l'un des foyers du protestantisme puisque Marguerite de Navarre, Jeanne d'Albret et Henri III de Navarre y établirent leur cour. L'Albret fut réuni, comme la Navarre, à la France après la mort d'Henri IV, mais Nérac se révolta en 1621 contre Louis XIII et fut démantelée. (Source : le Dictionnaire encyclopédique d'Histoire de Mourre, Bordas.) La mention des « parpaillots » par le Mercure françois devait être d'actualité. Je n'ai rien trouvé dans l'Histoire générale du protestantisme de Léonard aux PUF.En revanche, le Dictionnaire de la langue française du XVIe s. d'Huguet (Didier, 1961) fourmille de termes plus ou moins proches :
— parpaillon, parpaillot (papillon) attesté deux fois chez Rabelais ;

— Papillon, Papillard (diminutif de Pape, terme qui désigne les Papolâtres, Papimanes ou Papistes). Une citation d'Henri Estienne.
Je passe sur « parpaye » (paiement complet), « parpignolle » (sorte de moulinet), et je vois « combattre les papillons », s'occuper de bagatelles.

D'où deux remarques :
— Si l'origine est « papillon », ce que je serais tenté de croire, on peut se demander si la désignation n'a pas été réciproque entre les réformés et les catholiques.
— L'idée du « papillon » peut-être aussi celle d'un adversaire que l'on prend dans un filet, un adversaire faible, mais nuisible par exemple pour les cultures.

Il faudrait le texte du Mercure pour savoir comment le mot a été employé la première fois et quelle est la métaphore utilisée. Sans cela, nous pouvons toujours faire de l'étymologie sauvage. Enfin l'article du Robert historique me paraît bien léger...

Troisième épisode

Je n'ai pas débusqué le Mercure françois, mais j'ai pu dégotter le texte d'Aubigné où apparaît l'orthographe « parpaillot » (1630). C'est le baron de Fæneste qui le dit. Ce baron est une sorte de baron de Crac ou de Munchausen avant la lettre, la caricature du hobereau catholique et ligueur. On notera la parodie de gascon.

Le texte, IVe partie, ch. IV. :
Fæneste Je ne laissai pas de me rapproucher de lui en ces dus guerres, où nous fismes enrager les parpaillots. Là, pour nous benger de quelques affronts, poudez dire que nous arrachasmes vien des bignes ; et notez que les grands seigneurs, par émulation, en faisoient plus que les proubes goinfres.
Beaujeu. Voyez-vous comment les coustumes se changent ! Je me suis trouvé en vieilles bandes, où si nos chefs nous eussent commandez de tels ouvrages, nous nous serions mutinez, et eussions répondu : Allez chercher des gastadours !
Fæneste. Oh ! il y aboit vien des gloriux parmi nous qui firent de telles
responces ; mais on menaça de pendre, et l'exemple de nous otres gentilshommes leur fit quitter lur gloire.

Le terme est donc bien péjoratif dans la bouche d'un tranche-montagne. Le fait étrange est que d'Aubigné parle ensuite de Nérac sur un mode badin, dans le même chapitre, mais sans faire le rapport avec les guerres faites contre les protestants au début du règne de Louis XIII. Il raconte une scène qui tient surtout du fabliau, sans aucun lien avec ces soudards occupés à saccager les cultures. De papillons point. Or d'Aubigné est un témoin de premier ordre, un des acteurs de toutes les batailles, mais il ne pouvait être présent lors du siège de Nérac puisqu'il s'était réfugié à Genève à la suite de sa compromission dans la conspiration du duc de Luynes. On ne doit pas trop déduire à partir d'un silence ou d'une omission, mais si l'anecdote des chemises blanches et des papillons avait été colportée à l'époque, je ne doute pas que d'Aubigné s'en serait fait l'écho : il était au centre de la vie intellectuelle des réformés. Néanmoins, je trouve étrange l'association entre les massacres de « parpaillots », puis l'arrachage de plants de vigne : on est face à un texte paradoxal où les termes doivent être pris par antiphrase. Le baron de Fæneste se conduit en prédateur, je me demande dans quelle mesure les papillons et donc les « parpaillots » ne pouvaient pas être considérés comme des parasites des cultures. Je note aussi le fait que l'arrachage des ceps est considéré comme une basse besogne même si cela relève du vandalisme stupide par vengeance d'un vague affront, or c'est sur le même niveau que les combats contre les protestants. Et l'on en viendrait à une autre hypothèse : le « parpaillot » est une sorte d'adversaire — une espèce nuisible — qu'un vrai noble catholique ne devrait pas combattre parce que ce serait s'abaisser. Je sais que je me répète, que je pourrais sembler confirmer a posteriori ce que j'avais déjà supposé, mais cette citation me trouble, le contexte invite à faire d'autres rapprochements.


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