Magazine Humeur

Literally lost in translation

Publié le 17 mai 2010 par La Bienveillante @Ema_Dellorto

"Une traduction est presque toujours regardée tout d'abord par le peuple à qui on la donne comme une violence qu'on lui fait" Victor Hugo

C'est un jeu.

On réunit quelques traductions d'Hamlet (ayez l'élégance d'avoir l'original à portée de main)

Il y en a plein, sinon cent. Et personne n'est d'accord (feuilles grises / feuilles d'argent / feuilles blanches / feuilles blanchâtres)

La controverse est immédiate :

                                     
Dès la sixième réplique de la scène I de l'acte I d'Hamlet, je note :
"On ne peut plus exact" (traduction de Copeau et Suzanne Bing);
"Vous venez très exactement à l'heure" (traduction de Gide) ;
"Vous êtes parfaitement à l'heure" (traduction d'Yves Bonnefoy).


Prenons LE monologue :

Mourir... dormir, dormir peut-être rêver!
 Oui, là est l'embarras. Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort,  
 quand nous sommes débarrassés de l'étreinte de cette vie?  
 Voilà qui doit nous arrêter.  
 C'est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité d'une si longue existence.  
 Choisissez ensemble la suite qui vous convient mieux :  
 Lisez à haute voix l'un après l'autre, débattez, phrase par phrase, comparez, ou en entier,  
 (On peut donner un point par phrase de traducteur appréciée et on fait le total à la fin. Si)                             

François-Victor Hugo

  Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations,   
  et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur,  
   l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé,  
  les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir,   
  et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d’hommes indignes,   
  s’il pouvait en être quitte avec un simple poinçon?   

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     Pierre Le Tourneur

Car quel homme voudroit supporter les traits et les injures du temps, les
injustices de l'oppresseur, les outrages de l'orgueilleux, les tortures de
l'amour méprisé, les longs délais de la loi, l'insolence des grands en place, et les
avilissans rebuts que le mérite patient essuie de l'homme sans ame;
lorsqu'avec un poinçon il pourroit lui-même se procurer le repos?
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Yves Bonnefoy

Qui en effet endurerait le fouet du siècle,

L'orgueil qui nous rabroue, le tyran qui brime,

L'angoisse dans l'amour bafoué, la loi qui tarde

Et la morgue des gens en place, et les vexations

Que le mérite doit souffrir des êtres vils,

Alors qu'il peut se donner son quitus

De rien qu'un coup de dague ?
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André Gide

Car, sinon, qui supporterait du sort les soufflets
et les avanies, les torts de l'oppresseur, les outrages de l'orgueilleux, les
affres de l'amour dédaigné, les remises de la justice, l'insolence des gens
officiels, les rebuffades que les méritants rencontrent auprès des indignes,
alors qu'un petit coup de pointe
viendrait à bout de tout cela ?
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Dumas et Meurice

Eh ! qui supporterait tant de honte et de deuil,

L'injure des puissants, l'outrage de l'orgueil,

Les lenteurs de la loi, la profonde souffrance,

Que creuse dans le cœur l'amour sans espérance,

La lutte du génie et du vulgaire épais ?...

Quand un fer aiguisé donne si bien la paix !
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Voltaire :

Eh ! qui pourrait sans toi supporter cette vie,

De nos Prêtres menteurs bénir l'hypocrisie,

D'une indigne maîtresse encenser les erreurs,

Ramper sous un Ministre, adorer ses hauteurs,

Et montrer les langueurs de son âme abattue

À des amis ingrats qui détournent la vue ?

La mort serait trop douce en ces extrémités ;
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Guizot

Car qui supporterait les flagellations et les humiliations du présent,
l'injustice de l'oppresseur, l'affront de l'homme orgueilleux, les
angoisses de l'amour méprisé, les délais de la justice, l'insolence du
pouvoir, et les violences que le mérite patient subit de la main des
indignes ? - quand il pourrait lui-même se donner son congé avec un
simple poignard !
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Ménard
Qui voudrait supporter, à force de dédain,

Les flagellations du monde, l'air hautain

Des grands, la vanité des petits, les tortures

De l'amour méprisé - roi-bourreau, tes injures

L'insolence de l'or, les trafics de la loi,

Mille affronts que d'en bas le mérite reçoit,

Mille impôts de douleurs dont la vie est frappée,

Si l'on en était quitte avec un coup d'épée ?
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C'est un bon jeu si le vin est bon

Et c'est facile, ne pas croire, même un lecteur de Pancol peut s'éclater. [On peut s'amuser aussi avec Dostoïevski ]

Tant qu'on n'envisage pas de décider quelle traduction est LA bonne...

Car songez à la théorie du lapin :

Quine imagine un linguiste de terrain qui doit interpréter la langue totalement inconnue d'un autochtone sans aucun intermédiaire.

Il pense que l'interprète ne peut s'appuyer que sur le comportement observable et les stimuli.

La thèse d'indétermination de la traduction est qu'il est envisageable logiquement que deux interprètes fassent des manuels de traduction qui soient cohérents avec la totalité des phrases acceptées par le locuteur et qui néenmoins soient en contradiction l'un avec l'autre.

Traduire présuppose que deux expressions renvoient à un même objet ; le linguiste-observateur qui par exemple entendrait " gavagai " à la vue d'un lapin est donc justifié de penser que cette expression signifie le même animal que " lapin " dans sa propre langue

Même si le locuteur dit gavagai à chaque fois qu'il voit ce que l'interprète nomme un lapin, aucune expérience ne sert à trancher si cela fait référence à «un lapin» ou bien à «une instance de Lapinité» ou bien à «un segment continu de la fusion de l'ensemble des lapins», une partie non détachée de lapin, une matérialisation de la « lapinitude », une étape de la vie d’un lapin, ou « vitesse de lapinicité », cela pourrait signifier "voici une instanciation de lapinité", "voici un événement de lapination" ou "voici une partie temporelle de lapin".

"Si "gavagai" est vrai des lapins, en quel sens de "lapin"?"

ou

"Hamlet est-il ou n'est-il qu'une instance de Hamletisme ?"


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