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« Autour de la condition féminine d’hier à aujourd’hui »

Publié le 18 mai 2010 par Blanchemanche
« Autour de la condition féminine d’hier à aujourd’hui »
Quatre conférences-débats proposées par le NPA de La Rochelle, avec Jean-Paul Salles.
Novembre-Décembre 2009 Puis Mai 2010.
Au Café Populaire de La Pallice.La Rochelle
Premier Volet. Contraception et Avortement en France.
Vers la maîtrise de la fécondité.
Sous ce titre nous évoquerons la lutte progressive des femmes pour se soustraire à la « tyrannie de l’espèce », pour reprendre la formule de Simone de Beauvoir, c’est-à-dire cette propension de la femme à « tomber enceinte » chaque année entre 16 et 45 ans. C’est possible quand elle est bien nourrie, quand l’enfant nouveau-né est allaité par une autre. Il n’était pas rare autrefois que des femmes aient de très nombreux enfants, 22 comme la mère de l’Amiral Duperré à la fin du XVIIIe siècle à La Rochelle, ou 9 en 20 ans de mariage pour la reine Victoria au XIXe siècle. Mon intention est de replacer dans le temps long la question de la contraception et de l’avortement et de me demander, en conclusion, où en est-on aujourd’hui ?
Ch.1 Les pionniers du contrôle des naissances (vers 1900-1945).
La première génération des féministes, en France comme en Angleterre, à la fin du XIXe siècle, n’a pas fait de la lutte pour le contrôle des naissances son combat essentiel. Elles se sont surtout mobilisé avec courage, voire même avec héroïsme (Mrs. Pankhurst), pour le droit de vote des femmes. On les appelait les suffragettes ou les suffragistes. Ce sont plutôt des originaux qui ont mené le combat pour la maîtrise de la fécondité, des militants syndicalistes révolutionnaires, des institutrices socialistes ou des éducateurs anarchistes. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Paul Robin (1837-1912), ancien élève de l’ENS, pédagogue et, à partir des années 1890 propagandiste de ce qu’on appelait le néo-malthusianisme. Il créa un journal, Régénération, d’avril 1900 à novembre 1908, et une organisation, la Ligue de la Régénération humaine. Il voulait éviter, disait-il, que la procréation ne se fasse au hasard, un nombre de fois déraisonnable, mais il avait aussi des visées eugénistes. Il fallait privilégier la qualité à la quantité ! Plus prosaïquement, les militants ouvriers voyaient dans la limitation volontaire des naissances le moyen d’entraîner une diminution de la main-d’œuvre et donc une augmentation des salaires. De même, disaient-ils, la diminution du nombre des filles, dans les familles pauvres, entraînera la baisse de ce fléau qu’était la prostitution, et la diminution du nombre des garçons celle du nombre des conscrits.
Ces pionniers vont se heurter à l’opposition de deux puissantes institutions. L’Eglise catholique tout d’abord : son opposition à l’avortement est totale car pour elle le fœtus (et même l’embryon, dès la conception) a une âme. Elle est également opposée à la contraception mécanique ou chimique, ne tolérant que l’abstinence ou le coït interruptus. Car de quel droit l’homme va-t-il interférer dans les plans de Dieu, et puis l’acte sexuel n’est licite que s’il a pour but la procréation. L’opposition de l’Etat est davantage conjoncturelle. En 1870-71, la France a été battue par l’Allemagne, un pays en pleine expansion démographique. Or la France connaît un déficit démographique, il serait donc anti-patriotique de prôner une baisse de la fécondité, à l’heure de la revanche ! Les partisans du contrôle des naissances sont considérés comme de mauvais français, la scène politique est dominée par les « repopulateurs ». Ainsi le Docteur Jacques Bertillon crée l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française (1896) et la Ligue contre le crime d’avortement (13 juillet 1909). La Guerre de 1914-18 sera une difficile période pour les partisans du contrôle des naissances. Le débat à la Chambre des Députés, sur la question des femmes violées par les soldats allemands à l’automne 1914, est significatif. Le député qui aurait voulu que l’on permette aux femmes violées de se faire avorter ne sera pas suivi. Et pourtant il avait des arguments forts : ces femmes ne risquaient-elles pas de donner naissance à de « petits vipéreaux », la France ne serait-elle pas menacée de germanisation et donc de dégénérescence ?
Après guerre, on est très inquiet dans les milieux dirigeants : les pertes sont énormes, le nombre des veuves important et le déficit des naissances considérable. La Chambre bleu horizon, constituée d’une majorité d’anciens combattants de droite, vote une loi en 1920, qui assimile la propagande anticonceptionnelle à la provocation à l’avortement. Toute information sur les moyens contraceptifs est sévèrement réprimée. Le « crime d’avortement » est lui puni par la loi de 1923 : de 6 mois à 2 ans de prison pour la femme avortée, de 1 à 5 ans de prison pour les « avorteurs », avec interdiction d’exercer la médecine, le tout accompagné d’amendes. De plus désormais ces affaires sont jugées en correctionnelle, mettant fin ainsi à l’indulgence de certains jurys d’assises, les citoyens-jurés connaissant la détresse des femmes qui recourent à l’avortement. Quelques figures subissent la répression, par exemple Madeleine Pelletier, militante SFIO et médecin, est inculpée de « crime d’avortement » et emprisonnée en 1939. Elle a 65 ans et meurt peu après en prison.
Malgré tout des gens courageux se battent. Le Docteur Jean Dalsace, appuyé par le maire socialiste de Suresnes, Henri Sellier, ouvre un dispensaire en 1935, donnant des conseils aux femmes en matière de contraception. Lors de l’Exposition universelle de 1937, il tient un stand sur un bateau, à deux pas des pavillons officiels. Une revue, Le Problème sexuel, tente de faire pression sur les députés pour l’abrogation de la loi de 19201. Le jeune PC, de sa création aux années 30, mène ce combat. Il fait campagne pour une de ses militantes, Henriette Alquier, institutrice, qui passe en justice pour avoir préconisé un programme d’éducation sexuelle et prénuptiale. Mais à la veille des élections de 1936, il dénonce la dénatalité, un des plus graves fléaux qui menacent la France, affirme-t-il. Il ne remettra en question cette position nataliste qu’au milieu des années 60. Son secrétaire général Maurice Thorez a 3 enfants (3 garçons) et les couples de militants s’efforcent de l’imiter.
Avec la Deuxième Guerre mondiale et la défaite – en 1940 – triomphe l’idéologie familialiste, autour du slogan « Travail, Famille, Patrie ». Un texte législatif du 15 février 1942 assimile l’avortement à un crime contre la sûreté de l’Etat : son ventre n’appartient pas à la femme mais à l’Etat. Le 30 juillet 1943, une femme accusée d’avoir pratiqué des avortements, Marie-Louise Giraud, est condamnée à mort et exécutée. Claude Chabrol lui a consacré un film célèbre en 1988, Une Affaire de femmes. Les époux Humbert, figures de la lutte pour la contraception, sont arrêtés en décembre 1942. Eugène Humbert, né en 1870, meurt en prison en juin 1944. Sa femme Jeanne, qui l’accompagnait dans ce combat, lui survécut (1890-1986).
Ch. 2. L’accélération du mouvement en faveur du contrôle des naissances (1945-67).
Le combat en faveur du contrôle des naissances s’accélère après la Seconde Guerre mondiale, là aussi du fait de l’action de militant(e)s, ainsi le Docteur Marie-Andrée Lagroua-Weill-Hallée. Après un voyage aux Etats-Unis, où elle a visité à New York une clinique du Birth Control, elle alerte les hautes autorités sur les drames des avortements clandestins en France, en particulier en mars 1955 l’Académie des Sciences morales et politiques. Le journal de gauche Libération, fondé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, mène campagne, publiant une enquête du journaliste communiste Jacques Derogy. Il y révèle le nombre considérable d’avortements clandestins, environ 600.000 par an, avec ses drames : femmes gravement blessées, mutilées, voire décédées. Son enquête paraît sous forme de livre aux Editions de Minuit, en janvier 1956. Dans ce nouveau contexte est créée La Maternité heureuse (1956), ancêtre direct du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF), né en 1960. Soutenu par L’Express, Combat, le mouvement d’origine protestante « Jeunes Femmes », le Planning porte bientôt à sa présidence Simone Iff, fille de Pasteur.
Mais il faudra encore du temps pour que les hommes politiques se saisissent de la question. Ainsi dans une lettre à Derogy, publiée par L’Humanité du 2 mai 1956, Maurice Thorez réaffirme la condamnation par les communistes « des conceptions réactionnaires de ceux qui préconisent la limitation des naissances et cherchent ainsi à détourner les travailleurs de leur bataille pour le pain et le socialisme »2. En attendant, les journalistes contribuent à maintenir la pression, notamment la télévision naissante. Les réalisateurs de « Cinq colonnes à la une » lui consacrent une émission mémorable, le 5 novembre 1961. Localement, l’équipe dynamique du Planning familial de Grenoble, autour d’un Professeur de philosophie de l’Université et d’un jeune médecin gynécologue-obstétricien, Henri Fabre, décide de tenir des permanences – à partir de juin 1961 – vers lesquelles accourent des couples venus de toute la France. Les autres départements suivent, et en 1965 des permanences du Planning sont tenues dans 59 départements. On note le rôle des protestant(e)s, des enseignantes de gauche, des militant(e)s du PSU récemment créé. Henri Fabre était trotskyste. Parallèlement les moyens contraceptifs s’améliorent, le stérilet (inventé en Allemagne en 1920) grâce au plastique ; la pilule est mise au point aux Etats-Unis en 1955.
A partir du milieu des années 60, les politiques sont obligés d’aborder la question. Jusque-là le PC, et son organisation féminine l’Union des Femmes Françaises (UFF), se préoccupait surtout de populariser la méthode d’accouchement sans douleur venue d’URSS. Des médecins sympathisants appliquaient cette méthode à la polyclinique des Métallurgistes à Paris. Après une large campagne, le PC obtiendra en 1956 le remboursement par la Sécurité sociale de la « préparation » à l’accouchement. Mais en 1965, le PC invite Simone Iff à la Semaine de la Pensée marxiste, timide rapprochement avec ceux qui luttent pour la légalisation de la contraception. Au cours de la campagne présidentielle de 1965, François Mitterrand se montre favorable à l’abrogation de la loi de 1920. La force du Planning familial ne cesse de croître, 80.000 membres en 1966, 85 centres. Trois prix Nobel en sont Présidents d’honneur : François Jacob, André Lwoff, Jacques Monod. C’est dans ce contexte qu’une proposition de loi du député gaulliste (UDR) Lucien Neuwirth fut votée le 19 décembre 1967, permettant aux femmes d’obtenir des moyens contraceptifs en pharmacie, sur prescription médicale.
Ch. 3. L’ébranlement de Mai 68 et la lutte pour la libéralisation de l’avortement.
Mai 68 a permis au mouvement des femmes d’apparaître, avec la création du MLF (en 1970) et son journal Le Torchon brûle. Les organisations d’extrême gauche n’ont pas tardé à développer un « travail femme » spécifique, les « Pablistes » de l’AMR d’abord, avec le cercle Elisabeth Dimitriev, et la LCR, avec le cercle Flora Tristan. Après avoir lancé une feuille à la parution irrégulière, Les Pétroleuses, la LCR publie une revue soignée et régulière, Les Cahiers du Féminisme, à partir de novembre-décembre 1977. Tout ceci a de l’impact sur les organisations plus anciennes comme le Planning familial. Ses hôtesses, appelées Assistances-Conseillères-Animatrices (ACA) s’engagent dans la lutte pour la libéralisation de l’avortement, alors que la direction du mouvement est plus réservée. Plusieurs signent le texte dit des « 343 salopes », paru dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971, dans lequel ces femmes s’accusent d’avoir avorté et d’avoir aidé des femmes à le faire. Devant la notoriété de beaucoup de signataires, actrices célèbres notamment, la justice renonce à les poursuivre.
L’avocate Gisèle Halimi décide, avec leur accord, de transformer le procès de Marie-Claire et de sa mère inculpées devant le tribunal de Bobigny en novembre 1972, pour avortement, en une tribune pour dénoncer l’archaïque législation des années 1920 encore en vigueur. Se succèderont à la barre Simone Iff, de grands médecins, dont certains sont catholiques, pour dénoncer la souffrance des femmes à qui l’Etat interdit d’interrompre une grossesse non désirée. Impressionnés, les juges n’infligeront aux accusées qu’une peine symbolique.
Le moment était venu pour qu’une majorité des adversaires des lois de 1920 se regroupent en un Mouvement pour la libéralisation de l’avortement et de la contraception (MLAC), ce qui se fera en mars 1973. Soutenu par le PS, la MGEN, le MFPF, les organisations d’extrême gauche et même la CFDT, par le biais d’une de ses secrétaires nationales Jeanine Laot, le MLAC multiplie les initiatives : stands sur les marchés, projection du film interdit Histoires d’A, qui montre un avortement par aspiration (méthode Karman), dédramatisant l’avortement. Certains de ses comités organisent des départs collectifs de femmes pour l’Angleterre ou la Hollande, où l’IVG est légale, d’autres n’hésitent pas à pratiquer des avortements. C’est dans ce contexte d’insubordination, la loi de 1923 étant bafouée quotidiennement, que le gouvernement décide de légiférer. Il reviendra à la Ministre de la Santé, Simone Veil, de présenter et de défendre le projet de loi, devant une majorité de députés de droite, ses amis politiques, hostiles. La mobilisation des adversaires de la libéralisation est forte aussi, soutenue par l’Eglise catholique et emmenée par Laissez-les-Vivre, dirigée par le professeur Lejeune. Finalement la loi est votée à la fin de l’année 1974 – elle sera promulguée le 17 janvier 1975 – par 277 pour, 192 contre, les députés de gauche ayant voté le texte gouvernemental. Elle est votée à titre provisoire (pour 5 ans), et autorise l’IVG avant 10 semaines de grossesse, après 3 consultations de personnels de santé. A noter qu’elle n’est pas remboursée par la Sécurité sociale et surtout que les médecins peuvent avancer une clause de conscience pour refuser de pratiquer l’avortement. Dans la période qui suit, les militant(e )s du MLAC et du Planning vont se mobiliser pour obliger les hôpitaux publics à se doter de structures permettant de pratiquer l’IVG. Ils dénoncent aussi les trop nombreux entretiens qui font perdre du temps et le non remboursement de l’IVG. Le remboursement ne sera obtenu qu’en 1982.
De nouveau, de grandes mobilisations seront organisées en 1979 – notamment une manifestation de 50.000 femmes à Paris le 6 octobre 1979 – pour obtenir la pérennisation de la loi Veil. Soutien inattendu : le très réactionnaire Ordre des Médecins, constatant la quasi disparition des accidents septicémiques dus aux avortements clandestins, se prononce pour la reconduction de la loi. Elle sera finalement pérennisée par le vote du 30 novembre 1979 (271 pour, 201 contre), mais elle n’est pas améliorée (il faudra attendre 2001 pour que le seuil d’intervention soit porté à 12 semaines de grossesse).
Conclusion.
Désormais en France une forte majorité de femmes utilise un moyen contraceptif (en 2000 : 75% et 45% la pilule). Cependant des accidents de contraception en amènent de nombreuses à souhaiter une IVG. On note aussi de nombreuses grossesses indésirables chez de très jeunes filles. Au total, en une année le nombre des avortements serait de 200.000. Mais aujourd’hui, il s’apparente au parcours de la combattante. En région parisienne en été, il faut de 4 à 5 semaines pour obtenir une intervention, le reste de l’année de 2 à 3 semaines. Le nombre de centres réalisant des IVG ne cesse de diminuer. Dans un contexte général de restriction des dépenses de santé, l’IVG est le premier poste d’économie. Car cet acte est mal rémunéré, il est mal considéré, et de plus il n’est pas enseigné dans les facultés de médecine. Or la génération des médecins militants des années 70 prend sa retraite et la relève n’est pas assurée. Donc de plus en plus de femmes doivent avoir recours aux cliniques privées aux tarifs exorbitants, et le voyage en Hollande ou en Angleterre est remis à la mode.
Enfin, dernier sujet d’inquiétude, un décret du gouvernement Fillon – septembre-octobre 2008 – a rendu définitif un arrêt de la Cour de Cassation (février 2008) qui autorise l’enregistrement à l’état-civil les fœtus morts-nés, sans limite d’âge et de poids, y compris avant 12 semaines de grossesse. C’est une victoire symbolique des adversaires de l’avortement, des partisans d’un statut de l’embryon, c’est-à-dire des membres de Pro-Vie, les successeurs de Laissez-les-Vivre.
La maîtrise de la fécondité, le libre choix d’une sexualité débarrassée de toute visée reproductrice, une des conquêtes essentielles des femmes au XXe siècle est donc, sinon remise en question dans l’immédiat, du moins difficile à mettre en pratique en ce début de XXIe siècle.
Bibliographie succincte :
-Choisir-La Cause des femmes, Avortement, une loi en procès. L’affaire de Bobigny, Paris, Gallimard, 1972.
-Mouvement français pour le Planning familial, D’une révolte à l’autre, 25 ans d’histoire du Planning familial, Paris, Tierce, 1982.
-Gautier Xavière, Naissance d’une liberté. Contraception, avortement, le grand combat des femmes au XXe siècle, Paris, Robert Laffont, 2002.
-Le Naour Jean-Yves, Valensi Catherine, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, mars 2003.
Deuxième Volet. Les violences faites aux femmes.
Avec la question des violences faites aux femmes, nous abordons un problème douloureux, médiatisé. Le 25 novembre est désormais une Journée internationale pour dénoncer ces violences. Nous avons tous en mémoire le tabassage à mort de Marie Trintignant par son compagnon Bertrand Cantat. Plus récemment c’est Cheb Mami, « prince du raï », qui a été condamné pour « violences aggravées » contre son ancienne maîtresse.
Mais les violences n’épargnent aucune femme, quel que soit son statut social, son pays de résidence…Pour l’ONU, les violences sexuelles sont une des violations des droits humains les plus répandues. La situation française est bien renseignée par une enquête réalisée en 2000 auprès de 6.970 femmes de 20 à 59 ans. D’après cette enquête, l’ENVEFF ou Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, 1 femme sur 10 déclare avoir été victime de violences, violences sexuelles bien sûr (on compterait 48.000 viols par an3), mais aussi violences psychologiques, souvent à l’intérieur du couple, avec imposition de façons de s’habiller, de se comporter en public, interdiction de rencontrer tels ou tels amis ou des membres de la famille. Il est difficile de comptabiliser avec précisions ces violences psychologiques. Mais le 3619 a reçu en 2008 18.500 appels à l’aide, dont environ 11.500 pour des cas de violences dans le couple. En 2004 les tribunaux ont condamné 1.700 violeurs, tout en sachant que seulement 20% des femmes victimes de viol portent plainte. D’après l’Observatoire National de la Délinquance, en 2006, on a déploré le décès de 162 femmes, soit une tous les deux jours, du fait des violences conjugales.
Aujourd’hui on abordera plus particulièrement les violences sexuelles, notamment le viol, les violences au travail (résultant, disait-on au XIXe siècle, du « droit de cuissage »), le problème de la prostitution et le problème de l’excision qui se pose désormais en France. Il y aurait eu, malheureusement, possibilité de parler de nombreux autres problèmes, des « mariages forcés » aux violences en temps de guerre ou au lendemain d’une guerre (avec le problème des femmes tondues en 1944-454). On pourrait discuter aussi de l’exhibition/instrumentalisation du corps de la femme par les publicitaires ou de l’imposition de normes vestimentaires, du voile à la burqa, destinés à cacher le corps féminin.
Ch.1 Le Viol.
A Paris, à la fin du XVIIIe siècle, Jacques-Louis Ménétra, un boutiquier vitrier, évoque de manière désinvolte, dans ses Mémoires, un viol auquel il a participé. Dans les années 1760, en promenade avec son ami Gombeau, il découvre dans les broussailles du bois de Vincennes « un nid humain », c’est-à-dire un couple caché et intimement enlacé, « un jeune homme et une jeune femme en train de bien faire ». Les deux passants se moquent, insultent le couple, avant de prétendre « insolentes » les ripostes de l’amant et de déclencher soudainement l’acte brutal. Gombeau se jette sur l’épée du garçon « plantée par prévoyance nue à côté de lui » et le tient à distance, les deux amis violent successivement la fille…puis s’éloignent. La femme ayant échappé par son geste à toute protection, le viol est considéré comme banal. Ménétra fait allusion à leur « bonne fortune »5.
C’est la même logique qui sous-tend les propos du Président de la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence, les 2 et 3 mai 1978. Ces jours-là sont jugés les hommes qui avaient violé 2 touristes belges,dans la calanque de Morguiou, près de Marseille, le 22 août 1974. Le Président commença par insister sur le danger qu’il y avait, pour des jeunes filles seules, à camper dans un lieu isolé. De même il s’attarde longuement sur le fait que les deux campeuses étaient lesbiennes. Aidées par leur avocate, Gisèle Halimi, présidente de l’association Choisir-La Cause des femmes, les jeunes femmes vont réussir à imposer leur logique : « Il n’est pas question que nous devions payer du viol le prix de notre liberté ». « Le viol, ça a été le saccage, ça a été la destruction de nous-mêmes ». Et l’avocate d’insister sur cette atteinte irrémédiable, le viol est un crime : « Quelque chose de très important a été tué en elles, peut-être le sentiment de leur valeur personnelle, de leur identité, d’être une femme ». Non seulement est prise en compte l’injure physique, mais encore la souffrance psychologique.
De même que les femmes ont arraché le droit à l’avortement, le droit de procréer ou pas, elles vont, après ce combat, arracher le droit à disposer de soi, contre la soi disant « naturelle virilité agressive » de l’homme et la soi disant « passivité masochiste » de la femme. L’avocate aura insisté sur la mise à mort que constitue le viol et obtient qu’il soit reconnu comme un crime, non comme un simple délit. Elle propose même d’abolir « l’enquête de moralité sur la victime », pour en finir avec l’idée que « si une femme n’est pas au-dessus de tout soupçon, les hommes auraient le droit de la violer ». Au niveau des sanctions, elle aurait même voulu qu’on affiche le verdict sur le domicile du violeur ! Elle ne sera pas suivie. Même dans les milieux féministes, les femmes ne sont pas toutes persuadées de l’intérêt d’une longue incarcération.
Finalement, la loi votée le 23 décembre 1980 précise qu’il y a viol, donc crime, quand il y a effraction des frontières du corps. Le viol est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte ou surprise ». Les époux bien sûr sont concernés, un mari peut être accusé du viol de sa femme.
Ch. 2 Violences au travail ou Harcèlement sexuel.
Souvent le petit chef, le contre-maître ou le patron profite, ou a profité, de sa position d’autorité pour abuser les femmes qui sont sous ses ordres. Au XIXe siècle, le journal anarchiste Le Père Peinard, dans son style inimitable, donne des exemples : « En 1897, une ouvrière d’une fabrique du quai national à Puteaux tire à bout portant 3 balles sur son contre-maître puis retourne l’arme contre elle ». Les deux en ayant réchappé miraculeusement, « on apprend qu’il l’avait trouvée à son goût et que, devant ses refus, il lui avait expliqué que comme Mac Mahon elle devait se soumettre ou se démettre, accepter ses caresses ou être saquée. Devant la perspective de la misère elle ne résista pas, elle se livra aux bécottages du salopiaud…Quand il eut soupé de la petiote, il l’envoya paître. Elle ne l’accepta pas ainsi. S’étant donnée, elle n’accepta pas d’être plaquée6 ».
Au XIXe siècle, le mouvement ouvrier naissant appelait cela le droit de cuissage, référence au droit qu’aurait eu le Seigneur, au Moyen Age, de dépuceler les filles de ses dépendants au moment de leur mariage. Aujourd’hui on ne pense plus ainsi : de savants médiévistes ont prouvé que c’est une légende qu’ont contribué à forger, au XIXe siècle, des Républicains, pour discréditer l’Ancien Régime7. Contentons-nous donc de parler d’abus sexuels commis dans le cadre du travail.
Il faut dire que longtemps le corps au travail a été méprisé : insalubrité des locaux, absence d’hygiène, promiscuité…Egalement le corps est contrôlé. Dans les premiers grands magasins, par exemple, il était interdit de s’asseoir pour les vendeuses. Il faudra une mobilisation des riches clientes pour que les Députés s’emparent du sujet et votent la loi dite des Sièges (1901) qui fait obligation aux grands magasins de prévoir des sièges derrière les caisses. Au Bon Marché, encore en 1906, il faut demander la permission pour aller aux toilettes, et aux Magasins du Louvre, en 1927, il faut avoir les cheveux longs. Enfin, le corps est abusé. Le patron avait (a) tendance à profiter de son pouvoir. N’oublions qu’au XIXe siècle, on disait que « le patron est maître chez soi ». Ses abus sexuels sont pratiquement impunis. Comment s’en prendre à un notable qui donne du travail à toute une région ? Quant aux contre-maîtres, ils sont souvent couverts par le patron. Et quand la jeune fille est enceinte, ne parvenant pas à apporter la preuve de la paternité, elle est abandonnée dans la plupart des cas. En général, les bonnes, nombreuses au XIXe siècle, tombées enceintes des œuvres du maître de maison, ou de son fils, sont jetées à la rue et terminent dans la prostitution. La plupart du temps la jeune femme est seule face à ces épreuves. Peu syndiquée, elle n’a pas grand chose à attendre d’un syndicat dominé par des hommes qui ne sont pas loin de percevoir les femmes comme des rivales. Seule une avant-garde échappe à cet « anti-féminisme de gauche » et soutient les femmes bafouées.
Cependant, à Limoges en avril 1905 éclate une grève originale, contre le droit de cuissage. La grève démarre dans la célèbre usine de porcelaine de Théodore Haviland. Les ouvrières réclament le départ du chef du département de la peinture, Penaud, qui est brutal, dur, injuste. De plus il a la réputation d’exiger des femmes des faveurs sexuelles. Devant la passivité du patron, les autres usines se solidarisent, des manifestations parcourent la ville, on s’en prend à d’autres contre-maîtres. Mi-avril, c’est l’émeute, un jeune ouvrier de 20 ans est tué par la troupe. Finalement le patron se séparera de Penaud et le travail reprendra fin avril. A une occasion au moins les travailleuse bafouées avaient réussi à se défendre collectivement.
Aujourd’hui, une loi, votée en 1992, définit le harcèlement sexuel comme un crime passible du tribunal pénal s’il est le fait d’une personne ayant autorité sur la victime. L’application de cette loi a permis de mettre fin aux agissements de potentats locaux, maires de communes (Puylaroque dans le Tarn-et-Garonne ou Sainte-Colombe en Seine-et-Marne8) ou de cadres hospitaliers (ainsi un ancien directeur de l’hôpital Saint-Anne à Paris muté comme directeur-adjoint au centre hospitaler de la Rochelle9). Il arrive parfois que les tribunaux décident d’un non lieu, comme ce fut le cas pour le professeur Hervé Le Bras accusé par une de ses doctorantes, tant il est vrai que dans ces cas-là, c’est souvent « parole contre parole »10. Notons cependant qu’en France, il semble que nous ayons évité les excès courants outre-atlantique, où il existe – aux Etats-Unis – un délit de « visual harassment », pour punir les regards un peu trop insistants !
Ch. 3 La Prostitution.
La prostitution, « le plus vieux métier du monde », ne s’est jamais aussi bien portée, avec désormais la prostitution des enfants dans le Tiers monde et le tourisme sexuel. Selon l’ONU, des centaines de milliers de femmes sont concernées. En France, la prostitution a été particulièrement importante au XIXe siècle. Dans des villes en forte expansion, le déséquilibre des sexes en faveur des hommes était important et une morale sexuelle désuète prohibait le plaisir dans le couple, les rapports sexuels n’étant licites que subordonnés à la procréation. C’est donc hors du foyer familial que les hommes, notamment les bourgeois, allaient chercher le plaisir. Pour des raisons surtout sanitaristes, les pouvoirs publics s’emparent de la question et décident, dans les années 1840, de réglementer la prostitution. On va obliger les filles à intégrer des établissements spécialisées, les maisons closes, dites aussi de tolérance. Là elles seront surveillées et suivies médicalement. Il s’agissait d’éviter le scandale dans les rues et de rendre « intact » le client à sa famille. Des voix s’élèvent contre cet enfermement des filles contraire aux droits de l’homme. Donc, dans les années 1880 les filles retrouvent le trottoir, pour peu de temps car bientôt flambe une terrible épidémie de syphilis. Après une longue période d’enfermement, la pénicilline ayant été découverte, les maisons closes sont fermées après la Libération, grâce au vote de la loi Marthe Richard (13 avril 1946).
Aujourd’hui, le problème de la réouverture des maisons est de nouveau à l’ordre du jour. Certains grands élus de Paris y sont favorables, comme Madame de Panafieu. Selon eux ceci permettrait de mettre fin à un certain trouble de l’ordre public. Mais Gisèle Halimi questionne : comment peut-on vouloir mettre, à huis clos, une femme à disposition des appétits sexuels des hommes ? Ce serait créer, parallèlement à l’esclavage sexuel géré par les mafias, un autre esclavage, « pépère, labellisé, inscrit dans les registres de police, et qui réclamera peut-être un jour les 35 heures »11. Car la prostitution, c’est le paroxysme du non-pouvoir d’une femme sur elle-même ; la femme devient marchandise, chose, vendue au plus offrant. Comment peut-on dire que les femmes font ça avec plaisir ? « Aucune femme ne choisit de s’aliéner à elle-même et à son propre corps : choisit-on d’être le bétail que se vendent les spécialistes de la traite des femmes ? »12. La seule solution pour lutter contre cette violence maximale faite aux femmes serait de poursuivre, de punir le client, comme a décidé de la faire la Suède depuis 1999.
Par contre, certain(e)s, mettant en avant le « mon corps m’appartient » des féministes, sont pour la reconnaissance et la banalisation de cette activité13. Elles sont organisées depuis 1973 à San Francisco, depuis 1984 à Amsterdam. Une coordination internationale existe (l’ICPR ou International Committee for Prostitutes’ Rights), animée notamment par Grisélidis Real, récemment disparue. Pour eux et pour elles, toutes les formes de sexualité sont valables. Comment peut-on définir l’une d’entre elles comme l’expression objective d’un rapport de domination ? Marcela Iacub n’hésite pas à dire de la prostitution qu’elle est « l’affirmation de soi, par les femmes, comme sujets de la sexualité ». D’autres, parmi lesquelles Elisabeth Badinter, pensent que les prostituées, et elles seules, doivent définir les conditions dans lesquelles elles acceptent, ou non, de se prostituer. Il faut leur reconnaître un statut professionnel. Les organes sexuels, plaident-elles, doivent perdre leur statut particulier, pour devenir, au même titre que d’autres parties du corps, une force de travail qu’on peut mettre en vente. Ces néo-réglementaristes ont parfois été entendu(e)s, comme aux Pays-Bas en 2001 ou en Allemagne en 2002, où désormais la prostitution est organisée comme une profession quelconque, avec accès à la Sécurité sociale.
Quant à nous, nous avons du mal à percevoir la prostitution comme une banale prestation de services dont il suffirait, pour que tout aille bien, d’améliorer simplement l’hygiène et la sécurité. Nous avons la faiblesse de penser que la sexualité ne s’achète pas. Elle ne vaut que comme don amoureux. Pour la plupart des militant(e)s se réclamant du féminisme, la prostitution est une forme de violence extrême contre les femmes14.
Ch. 4 L’Excision.
Avec l’excision, pratiquée surtout en Afrique, on pourrait penser qu’on aborde un problème qui ne concerne pas la France directement. Or, au moins 30.000 fillettes sont concernées, loin il est vrai des millions d’Africaines. L’excision est une pratique très ancienne, déjà en vigueur avant l’islamisation de l’Afrique. Il existe plusieurs formes d’excision, l’excision proprement dite qui se traduit par l’ablation du clitoris et l’excision dite pharaonique, pratiquée en Afrique de l’Est, Somalie ou Erythrée. Outre le clitoris, on enlève les petites lèvres et on recoud les deux parties de la vulve. On ne maintient un orifice que pour le passage de l’urine, le sexe demeure clos jusqu’au mariage. Quelle que soit sa forme l’excision est invalidante, les femmes l’ayant subi ont une vie sexuelle altérée.
L’excision est destinée à contrôler la sexualité féminine. On se méfie des pulsions sexuelles de la femme, les anciens – ainsi Platon dans le Timée – perçoivent l’utérus comme un être vivant, autonome, mû par le désir de faire des enfants. Il risque de dominer la femme, de la rendre folle comme les Bacchantes. En France au XIXe siècle, des médecins recommandent la cautérisation au fer du clitoris pour combattre la masturbation, une des obsessions de l’époque.
Dans un certain nombre de traditions africaines, on continue à pratiquer l’excision pour être conforme à la tradition. L’excision est un rite de passage, de l’enfance à la classe des femmes, avec cette idée qu’une fille non excisée ne trouvera pas à se marier. Chez les Kikuyu du Kenya, les filles sont entourées de chants, pourvues de cadeaux, exemptées pendant 3 ou 4 mois de toute tâche ménagère. Une fois délestées de ce clitoris considéré comme laid et sale, les filles se sentent dans la norme.Pour beaucoup en effet l’ablation du clitoris est considérée comme une mesure d’hygiène. On pense qu’au moment de l’enfantement, il risque de gêner le passage du nouveau-né, même de le blesser. Certains auteurs, comme Ambroise Paré au XVIe siècle exprimaient la crainte qu’il ne gêne le travail de l’organe mâle pendant l’acte d’amour. Enfin la clitoridectomie peut être vue comme un marquage du corps destiné à définir les rôles sociaux. Le clitoris, décrit comme un pénis atrophié (en sanscrit le clitoris ou yoni-longa, se traduit par « le pénis de la vulve), doit être gommé. Son ablation permet de parachever la différentiation sexuelle.
Quoiqu’il en soit, cette pratique est punie en France, passible même de la Cour d’Assises comme maltraitance à enfants. La blessure infligée n’abîme pas seulement le corps, elle détruit l’intégrité de la personne, conteste à la femme le droit de s’épanouir. Il y a aujourd’hui une chirurgie réparatrice, méthode inventée par le docteur Foldès. Plusieurs procès récents se sont traduits par des condamnations à la prison avec sursis de mères immigrées ou d’exciseuses. Parfois elles sont relaxées. Mais la justice française, justice de l’ancienne puissance coloniale, est-elle la mieux placée pour combattre cette coutume invalidante ? Il est préférable que les pays africains eux-mêmes l’interdisent, comme le Sénégal l’a fait, une première en Afrique, en 1998.
Conclusion.
Les violences faites aux femmes ne sont pas un archaïsme en voie de disparition. Il y a même, du fait de la crise, une augmentation de la violence à l’égard des femmes, une tendance à un retour viriliste. De plus l’idéologie des « gagneurs », des « battants », est elle aussi viriliste, avec cette idée qu’il ne va pas falloir « se faire baiser ». Enfin, les jeunes gens qui participent à des « tournantes », sont dans la hantise de perdre la face devant les copains, taraudés par la peur de perdre l’estime ou l’admiration du groupe. Placés dans une société au sein de laquelle le sexisme est omniprésent – par la publicité, la télé ou le cinéma pornographique -, ils ont spontanément un comportement de petits machos.
Bibliographie succincte :
-Françoise Couchard, L’excision, Paris, PUF, Collection Que Sais-Je ?, 2003.
-Liliane Daligand, Violences conjugales, Paris, Albin Michel, 2006.
-Marie-Victoire Louis, Le droit de cuissage. France, 1830-1930, Paris, Editions de l’Atelier, 1994
-Georges Vigarello, Histoire du viol (XVIe-XXe siècle), Paris, Seuil, Points-Histoire, 1998.
On trouvera quelques contributions intéressantes dans cet ouvrage par ailleurs inégal :
-Sandrine Treiner, coord., Le livre noir de la condition des femmes, Paris, XO Editions, 2006,
par exemple Malka Markovich, « La traite des femmes dans le monde », p.449-483.
Troisième Volet. La Femme au travail et la lente conquête des droits politiques.
Ch. 1 La Femme au travail.
Traditionnellement en France, les femmes sont très présentes dans le monde du travail. Déjà en 1906, les femmes représentaient 37,7% des ouvriers, alors qu’en Allemagne elles n’étaient que 26,4%. Au XIXe et au début du XXe siècle, la situation est contrastée, selon que l’on est une femme de la bourgeoisie ou une femme du peuple. La première est une idole étincelante, on parle de « beau sexe ». La beauté de sa toilette, le prix de ses bijoux attestent de la réussite du mari (c’est la « femme-enseigne »). Les seules activités qui lui sont permises sont le soin de la maison et les activités caritatives. Et pour ce faire, pas besoin d’instruction, seule une éducation, religieuse et pratique, donnée par des religieuses, suffit. Les lycées de jeunes filles ne seront créés qu’après le vote de la loi Camille Sée, en 1880. De même, l’admission des jeunes filles dans les universités est exceptionnelle avant la guerre de 14, les établissements secondaires féminins ne délivrant pas le bac mais un simple diplôme de fin d’études. Il ne sera permis aux jeunes filles de passer le bac qu’en 1924. Les jeunes filles du peuple ne sont pas mieux instruites mais elles sont au travail très tôt. Certaines travaillent avant le mariage pour se constituer une dot, dans des usines qui sont parfois flanquées d’un pensionnat tenu par des religieuses, comme dans le Bugey par exemple. Elles étaient présentes dans tous les secteurs d’activité, sans formation, car l’apprentissage était réservé aux garçons. Sous qualifiées, elles étaient donc sous payées : leur salaire était en général la moitié de celui des hommes. Ainsi, dans le département de la Seine en 1893, dans une usine de chaussures, une coupeuse gagnait 3 francs par jour contre 6 francs pour un coupeur. Les syndicats ouvriers n’étaient pas véritablement préoccupés par ce problème, car les ouvriers comme les patrons considéraient le salaire de la femme comme un salaire d’appoint. La place de la femme n’était pas à l’usine mais à la maison. Ainsi, en 1913, la section lyonnaise de la Fédération du Livre (CGT) exclut un de ses membres, Louis Couriau, parce qu’il avait laissé travailler sa femme.
La double journée de travail.
Cette présence des femmes au travail n’a fait que s’accentuer au XXe siècle. En 2000, les femmes représentent 45% de la main-d’œuvre. Elles sont très nombreuses dans les emplois peu qualifiés du tertiaire, caissières, vendeuses, aide à la personne. Beaucoup de femmes sont également employées à temps partiel : 83% des emplois à temps partiel sont tenus par des femmes. Avec la crise ce chiffre va en augmentant : en 1990, 23,6% des femmes actives travaillaient à temps partiel, en 2007 ce sont 34,2% des actives. Ceci est préoccupant car l’écart entre salaires masculins et féminins, après avoir diminué jusqu’aux années 1990, se creuse à nouveau. De nos jours, on considère que le salaire féminin est inférieur du quart au salaire masculin, pour travail et qualification égale.
Après la journée de travail à l’extérieur, la femme commence une deuxième journée de travail à la maison. En effet, malgré une certaine évolution, c’est sur elle que reposent encore l’essentiel des tâches domestiques, ménage, courses et soins des enfants. Elle y consacre 4 h. 36 par jour contre 2 h. 13 pour l’homme15. Si le père intervient davantage qu’avant auprès de sa progéniture, ce n’est que ponctuellement et la plupart des familles mono-parentales sont dirigées par des femmes. C’est d’ailleurs la situation de ces femmes qui élèvent seules leurs enfants qui est la plus préoccupante. Leur nombre est en constante augmentation.
II. Des bastions masculins ébranlés ?
Depuis la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre de lieux de travail ou de formation, jusqu’ici réservés aux hommes se sont ouvert aux femmes. La magistrature, par exemple, a été ouverte aux femmes par la loi du 11 avril 1946. Elles sont désormais, en 2000, 45% des magistrats, mais en haut de la hiérarchie, les hommes continuent à être très majoritaires. Ce n’est qu’en 1984 qu’une femme, Simone Rozès, devient Présidente de la Cour de Cassation. Si l’ENA est mixte dès sa création en 1945, Polytechnique ne s’ouvre aux femmes qu’en 1971. Et il faudra attendre 1981 pour que la première femme Préfet soit nommée, 1982 la première femme Recteur d’Académie. Malgré ces progrès, en 1992 les femmes ne sont que 2,6% des Préfets, 3,7% des Ambassadeurs. . Et aujourd’hui, sur 107 présidents d’université ou directeurs de grande école, les femmes ne sont que 15. Certains se félicitent de l’entrée des femmes dans la Police – elles peuvent être Commissaires depuis 1974 - ou l’Armée, depuis la professionnalisation de celle-ci en 1999. Désormais l’homme n’a plus le monopole de la « violence légale », disent-ils.
Cette faible proportion des femmes parmi les cadres se retrouve dans le privé. En France, elles ne sont que 8% dans les Conseils d’Administration des grandes entreprises, mais 0% chez Veolia, EADS ou Capgemini. Anne Lauvergnon, PDG d’Areva ou Laurence Parisot, dirigeante du Medef et membre des CA de Total et de GDF-Suez, sont des exceptions. En Allemagne les femmes ne sont que 11% des membres des CA ; en Suède (22%) et en Finlande (21%) la situation est un peu meilleure. Mais seule la Norvège a atteint un chiffre de 41% de femmes dans les CA des grandes entreprises, car une loi de quota a été votée en 2004, obligeant les entreprises à avoir au moins 40% de femmes à leur tête. C’est de ce pays que propose de s’inspirer Brigitte Grésy, l’Inspectrice générale des Affaires sociales chargée de cette réforme : obliger les entreprises de plus de 1000 salarié(e)s à avoir 20% de femmes dans leur CA en 2012 et 40% en 2016, sous peine de voir annuler les nominations déjà faites. Mais si cette réforme passe, le sort de millions de femmes travailleuses en sera-t-il pour autant modifié ?
On peut en douter, d’autant qu’un certain nombre de dispositions ont creusé les inégalités entre les femmes. Ainsi l’AGED (Allocation de garde d’enfant à domicile) encourage les femmes les mieux rémunérées à rester en activité, en permettant la déduction des impôts du salaire versé à une employée de maison. Par contre l’APE (Allocation Parentale d’Education), non imposable, entraîne la mère – en général moins bien rémunérée que son mari – à quitter son emploi, sans être sûre de le retrouver une fois l’enfant élevé.
La formation des filles.
Curieusement bien que la femme soit encore largement dominée sur le lieu de travail, dans les lieux de formation, la jeune fille brille. Plus attentive, plus ordonnée, plus sage, la jeune fille intègre mieux les normes scolaires que le garçon16. Globalement elles réussissent mieux que les garçons. Mais au lycée, elles ont tendance à choisir les filières littéraires aux débouchés incertains (féminisées à 70%) plutôt que les séries scientifiques. Elles sont bien moins présentes que les garçons dans les filières scientifiques à l’université et ne constituent que le tiers des effectifs en classes préparatoires, 42% en écoles de commerce et 19% en Ecoles d’ingénieurs. Dans l’enseignement professionnel, elles se dirigent plus volontiers vers le tertiaire, les métiers du secrétariat ou le paramédical. Enfin, les garçons, grâce à une éducation à la rivalité, voire au combat, réussissent mieux aux concours17.
Conclusion.
Le nombre des femmes au travail progresse. On se rapproche de 50% des actifs. Mais la disparité entre hommes et femmes, au niveau des emplois occupés et des salaires, subsiste. De même le partage des tâches ménagères et éducatives est toujours inégalitaire, au détriment de la femme. Et malgré l’augmentation du nombre des diplômées, les femmes n’ont encore que très peu de pouvoirs dans le monde de l’entreprise et de la haute administration.
Bibliographie succincte :
-Christine Bard, Les femmes dans la société française au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2001.
-Baudelot Christian, Establet Roger, Allez les filles !, Paris, Seuil, 1992.
-Baudelot Christian, Establet Roger, Quoi de neuf chez les filles, Paris, Nathan, 2007.
-Margaret Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte, Collection Repères, 2000.
Ch. 2 La lente conquête des droits politiques.
Cette assignation de la femme à la maison, à l’intérieur, justifiée par un certain nombre de lieux communs (elle aurait les nerfs fragiles, elle serait sous l’influence des prêtres) explique qu’on ait tant tardé à lui donner des droits politiques. L’homme a conquis le suffrage universel en 1848, la femme a dû attendre 1944.
La modernisation politique de la France oublie « le deuxième sexe » (1789-1900).
Et pourtant les femmes se sont senti tout autant concernées que les hommes par la Révolution française. Le 5 octobre 1789, ce sont 6 à 7000 parisiennes, effrayées par la disette menaçante, qui partent à Versailles et ramènent à Paris « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». En cas de famine, le roi distribuait quelques secours à « son » peuple, il valait donc mieux l’avoir avec soi, à Paris. Entre 1789 et 1793, elles furent de toutes les insurrections. Elles participaient aussi à des clubs féminins, tout en occupant leurs mains, ce qui leur valut le surnom de « tricoteuses ». Olympe de Gouges, une jeune veuve, rédige en 1791 la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, un texte dans lequel elle demande le droit de vote pour les femmes18. Elle sera arrêtée et exécutée en novembre 1793, car on lui reprochait de diviser la Nation. A peu près au même moment, en Angleterre, Mary Wollstonecraft demandait elle aussi l’égalité hommes-femmes dans A Vindication of Rights of Women.
En France, peu à peu les femmes sont renvoyées au foyer, exclues des affaires de la cité. On considère qu’elles sont représentées, elles et les enfants, par le père de famille. Certes, au terme de la révolution, elles ont obtenu l’égalité dans les successions, le droit de divorce, mais l’adoption du Code Civil (1804), devenu Code Napoléon, entraîne une régression. Non seulement la femme n’a plus de droits politiques, mais dans la famille elle est placée sous la tutelle du mari. Ainsi, l’article 213 dit que « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari », et l’article 214 : « La femme est obligée d’habiter avec son mari et le suivre partout où il juge à propos de résider ». Ce n’est qu’en 1938 que la femme obtiendra la capacité civile, c’est-à-dire le droit d’agir en justice, la possibilité d’ouvrir un compte en banque, alors que jusqu’ici l’homme administrait seul les biens de la communauté, y compris la dot. Le divorce est momentanément maintenu, mais dans un seul cas, celui de l’adultère dûment prouvé. Le droit au divorce sera finalement supprimé au début de la Restauration (1816), il ne sera rétabli qu’en 1884 (loi Naquet).
De la même manière que le régime de la Restauration avait redonné le pouvoir au roi dans le pays, il redonne au père tous les pouvoirs dans la famille. Une certaine littérature médicale justifie cette infériorisation de la femme dans la cité par de soi disantes raisons naturelles (la femme/femelle vouée à la maternité et toujours, ce moindre contrôle de ses sens, l’hystérie féminine). La Révolution de 1848, qui suscite bien des espoirs dans les colonies (abolition de l’esclavage) ou, un moment, en milieu ouvrier (création des Ateliers nationaux, sorte de première assurance-chômage), oublie les femmes. Elles seront privées du droit de vote, avec les aliénés et les condamnés de droit commun. Elles ont pourtant mené le combat autour du journal La Voix des femmes. Mais un seul député acceptera de les recevoir, Victor Considérant. Un certain nombre de personnages importants, comme Michelet, se prononcent contre le droit de vote des femmes. Le mouvement ouvrier naissant, en particulier Proudhon, est anti-féministe. Seul Fourier envisage une libération véritable des femmes.
Au cours des années suivantes, des femmes ne cesseront de mener le combat, certaines s’engageant fortement dans la Commune de Paris en 1871, comme Louise Michel ou Elisabeth Dimitriev. Pour les discréditer, leurs adversaires les qualifient de Pétroleuses, leur imputant l’incendie de nombreux bâtiments parisiens. Leur sexe dit faible ne leur épargnera pas la répression, le bagne de Nouvelle-Calédonie pour Louise Michel. Et toujours, quelques voix masculines isolées se font entendre : John Stuart Mill, en 1869, publie The Subjection of Women (De l’assujettissement des femmes). Toujours en 1869, parmi les premiers, l’Etat du Wyoming, aux Etats-Unis, donne le droit de vote aux femmes.
Vers l’obtention du droit de vote.
Quand meurt Hubertine Auclert, en 1914, une des premières suffragettes françaises, le mouvement qu’elle a contribué à créer en 1909, l’Union française pour le suffrage des femmes, rassemble 12000 militant(e)s. Des féministes se présentent aux élections : elles recueillent en général 4% des voix, bien sûr comptées pour nulles ! En 1914, des féministes, aidées par le quotidien Le Journal, appellent à voter Blanc : un demi-million de bulletins portant la mention « Je désire voter » sont déposés dans les urnes. A la veille de la déclaration de guerre, une manifestation de 6000 personnes pour le droit de vote des femmes défile à Paris. D’autres organes de presse, comme le journal La Fronde, créé et dirigé par Marguerite Durand, appuient cette mobilisation. Les hommes politiques sont moins nombreux à se mobiliser. Quand ils le font, c’est timidement : ainsi en 1906, un député catholique propose que les femmes votent aux élections municipales, mais sans pouvoir être élues. Même cette timide avancée n’est pas acceptée.
Parallèlement, en Angleterre, les suffragettes, rassemblées autour d’Emmeline Pankhurst et de ses filles, se font entendre, n’hésitant pas à recourir à l’action directe ou à la grève de la faim, malgré de nombreux emprisonnements. Le 4 juillet 1913, au cours du célèbre derby d’Epsom, l’une d’entre elles, Emily Davidson, meurt après s’être jetée sous le cheval du roi. Les anglaises de plus de 30 ans obtiendront le droit de vote en 1918, celles de plus de 21 ans devront attendre 1928 ! La révolution russe donne le droit de vote aux femmes en 1917, la Turquie kémaliste en 1930 et l’Espagne en 1931.
Mais en France, ça bloque toujours. Le Sénat, assemblée réactionnaire, s’est opposé à plusieurs reprises dans l’entre-deux-guerres au vote des femmes, alors que l’Assemblée nationale y était favorable. Le Parti radical, qui domine la vie politique française à l’époque, n’en veut à aucun prix, sous prétexte que les femmes, réputées être sous l’emprise du clergé catholique, voteraient à droite. Donc, pour se concilier les bonnes grâces du parti radical, la SFIO et le PC ont accepté que le programme du Front populaire fasse silence sur le vote des femmes, alors que c@e point figurait dans le programme de chacun de ces deux partis. Pour montrer sa bonne volonté, faisant un geste dérisoire en direction des femmes, Léon Blum nomme 3 d’entre elles sous-secrétaires d’Etat dans le premier gouvernement de front populaire. De même, dans la ville de Louviers (Eure) dont il est le maire, Pierre Mendès France fait élire, en décembre 1936, 6 conseillères municipales adjointes au rôle consultatif19. Le PC l’avait fait, en 1925 comme en 1929. A chaque fois le Conseil d’Etat invalidait leur élection.
Finalement, c’est par l’ordonnance du 21 avril 1944 que le chef du gouvernement de la France libre, le Général de Gaulle, permettra aux femmes de voter, pour la première fois lors des Municipales du 29 avril 1945. Le vote des femmes n’amènera pas un raz-de-marée de droite, leur vote est à peu près conforme à celui des hommes. Par contre, c’est avec lenteur que les femmes font leur place dans la vie politique, comme responsables politiques ou élues. Ainsi, en 1958 elles ne sont que 1,3% des députés, 1,1% des maires, 2,4% des conseillers municipaux20. Trente ans après, la situation n’a que peu changé (en 1988, 5,6% de femmes parmi les députés), alors que certaines figures féminines ont fait irruption sur la scène politique : Simone Veil et Françoise Giroud, Yvette Roudy ou Edith Cresson, mais aussi Arlette Laguiller, première femme à s’être présentée aux élections présidentielles en 1974.
Le débat sur la parité en politique est lancé au début des années 1990, avec notamment la parution du livre de Françoise Gaspard et alii, Au pouvoir Citoyenne. Liberté, Egalité, Parité. Le manifeste dit des 577, paru dans Le Monde en 1993, et signé d’hommes et de femmes célèbres, demande que dans les assemblées élues figurent autant de femmes que d’hommes. C’est finalement le 28 juin 1999 que le Parlement réuni en Congrès à Versailles vote la loi favorisant « l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». Promulguée le 6 juin 2000, la loi décide de la parité des candidatures pour les scrutins de liste (50/50), la parité par tranches de 6 pour les élections régionales ou municipales (pour les villes de plus de 2500 habitants), afin d’éviter que les femmes ne soient placées en queue de liste. Enfin, la loi incite les partis à pratiquer la parité aux législatives au moyen d’une sanction financière proportionnelle à leur manquement au principe paritaire. Sera-ce un tournant décisif, l’égalité abstraite des individus a priori sexuellement indéterminés n’ayant pas permis de faire reculer l’effacement effectif des femmes dans la vie politique ? Aux élections législatives de 2007, 41,6% des candidats furent des femmes et à l’arrivée, les femmes représentent 18,5% des députés. Le nombre des élues municipales a beaucoup augmenté (en 2008, elles seraient 35% des élus), mais seules 6 femmes (sur 38) sont Maires de villes de plus de 100.000 habitants. On note la même timidité au niveau des conseils généraux, dont seulement 4 sur 96 sont dirigés par des femmes, 3 conseils généraux n’ayant aucune élue (Ariège, Tarn-et-Garonne et Haute-Corse).
Conclusion.
On est frappé de la lenteur avec laquelle les femmes sont devenues « sujets politiques ». On s’est longtemps satisfait de voir l’homme, le père de famille, représenter le foyer familial. C’était l’unité de base de la société et ses membres étaient priés de s’y fondre, d’abdiquer leur personnalité. Il n’était pas rare d’ailleurs que dans l’ancienne France – celle d’avant 1789 – on donne le droit aux veuves riches de voter pour désigner tel ou tel édile local…alors que les hommes pauvres étaient exclus du scrutin. L’accession des femmes au corps électoral ne s’est pas traduite, on l’a vu, par un tremblement de terre politique, ce que craignait le Parti radical. Pas plus d’ailleurs que l’accession au vote des jeunes gens de 18 à 21 ans après 1974. Par contre, les femmes ont eu beaucoup de difficultés à se faire une place dans les Assemblées, comme élues. Il a fallu qu’une loi oblige les tenants mâles du pouvoir, la loi sur la parité, à leur faire une place. Seront-elles plus efficaces, plus désintéressées, dans la gestion du pays ? Peu d’éléments permettent de l’espérer. Ne vont-elles pas plutôt décider de singer les hommes pour survivre dans cette jungle ?
Bibliographie succincte :
-Bereni L., « Les féministes françaises et la parité », in Cohen A., Lacroix B., Rintort P., Les formes de l’activité politique : éléments d’analyse sociologique du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, PUF, 2006, p.123-141.
-Guéraiche William, Les femmes et la République. Essai sur la répartition du pouvoir de 1943 à 1979, Paris, Editions de l’Atelier, 1999.
-Jenson Jane, Sineau Mariette, Mitterrand et les Françaises. Un rendez-vous manqué, Paris, Presses de Sciences Politiques, 1995.
-Zancarini-Fournel Michelle, Histoire des femmes en France, XIXe-XXe siècles, Rennes, PUR, 2005.
Appendice I. Les violences en temps de guerre.
Dans les Balkans, au cours des guerres qui ont ensanglanté les pays de l’ex-Yougoslavie, les diverses armées ont systématiquement violé les femmes des régions conquises. Le viol était utilisé comme une arme pour imposer la suprématie d’une ethnie. De même en Birmanie, d’après Le Nouvel Observateur (octobre 2004), les généraux laissaient leurs soldats violer les femmes des zones où vivent les minorités ethniques pour imposer leur politique de birmanisation. En 2009, un rapport de Human Rights Watch mettait à jour les milliers de viols perpétrés par les soldats de l’armée régulière de la République Démocratique du Congo. Même les GI’s américains, en 1944-45, ont commis des viols, 2500 en Grande-Bretagne, 3500 en France, 11000 en Allemagne, sans comparaison cependant avec les viols commis par les troupes soviétiques dans les territoires qu’elles venaient de libérer du nazisme.
Quant aux violences infligées aux femmes en France au moment de la Libération, les femmes tondues, les faits sont désormais bien connus. Parmi plusieurs études, celle de Fabrice Virgili, issue d’une thèse, La France « virile ». Des femmes tondues à la Libération (Paris, Payot, 2000), nous permettra de faire le point. De nombreuses femmes furent arrêtées à la Libération, par d’authentiques résistants ou plus souvent par des résistants de la dernière heure. Accusées d’avoir entretenu des relations sexuelles avec des Allemands, beaucoup seront tondues. Combien ? Sans doute autour de 20.000. Peu de départements y ont échappé, il y eut des « tontes » dans 80 préfectures. La plupart du temps l’événement était quasi officiel, en présence des nouvelles autorités. La punition avait lieu publiquement, la femme était tondue au milieu des siens. Le châtiment fut spectacle, la mise en scène était souvent la même. La femme était dénudée, promenée dans les rues, son corps souvent marqué d’une croix gammée tracée au goudron. Parfois elle reçoit une fessée mais est très rarement violée. On pratique plutôt un enlaidissement de son corps, en lui coupant les cheveux. Déjà la tonte, au Moyen Age, était le châtiment de l’adultère. En tondant la femme, on fait disparaître « l’arme du crime », les cheveux, un des principaux moyens de séduction. Beaucoup de femmes tondues quittent la ville, certaines se suicident, d’autres se cachent. Ainsi, en septembre 1983, les gendarmes découvrent « la recluse de Saint-Flour », une femme qui se cachait depuis…39 ans !
La tonte a plusieurs significations. Cette violence exercée ensemble contre la complice de l’ennemi est une affirmation collective qui permet de retrouver son unité. Mais c’est aussi l’exigence d’une pureté retrouvée, avec cette idée que l’ennemi souille. Le métissage du vainqueur et du vaincu (il y aurait eu 200.000 naissances de ces relations entre soldats allemands et femmes françaises) est perçu comme le germe de la disparition de la nation (cf. les arguments des partisans de l’avortement quand les femmes du Nord de la France ont été violées par les soldats allemands en 1914). Finalement la foule rejoue un combat dont elle a été absente, sans faire couler de sang… mais au prix de combien de souffrances. La victoire ne serait pas complète si, en même temps que le territoire, il n’y avait pas reprise en main du corps de la femme, reprise en main de sa sexualité.
Quatrième Volet. Femmes et religions.
Introduction.
Jusqu’à aujourd’hui, la condition de la femme a été déterminée par de grands textes religieux. La religion, c’est d’abord l’explication du monde. Chacune des trois grandes religions nous explique comment le monde a été créé – le fameux récit de la Genèse dans la Bible – d’où le terme « créationniste » appliqué à cette explication de l’origine du monde et de l’homme. Mais c’est aussi, et surtout, un ensemble de règles morales destinées à rendre la vie en société possible. C’est une façon d’indiquer à chacun sa place, de l’amener à se résigner à sa position seconde si tel est le cas et de justifier la position éminente de certains. De toute façon, les religions relativisent le passage sur terre, l’essentiel se jouant après la mort, et dans la tradition chrétienne la souffrance sur terre permet d’accumuler des mérites qui donneront le bonheur éternel dans l’au-delà. Cette deuxième caractéristique des religions : apprendre à souffrir en silence, à encaisser les coups (si on te donne une gifle, tends l’autre joue) a amené certains hommes politiques ou chefs d’entreprise à soutenir les Eglises. Ils ont maintenu cette attitude au XIXe siècle, malgré les progrès de la science et la remise en question de l’explication traditionnelle de l’origine du monde – avec les découvertes de Darwin – et la victoire progressive de l’évolutionnisme sur le créationnisme. C’est Napoléon Ier par exemple, lui-même athée, qui disait à propos de la religion : on n’a jamais rien trouvé de mieux pour faire obéir les hommes. Et avec le Concordat de 1801, qui s’applique encore aujourd’hui en Alsace et en Lorraine du Nord, il redonne à la religion ébranlée par la Révolution française, une place officielle.
Dans le cadre des sociétés réglées par la religion, chacun a sa place, une fois pour toutes. Ce sont des sociétés immobiles par opposition aux sociétés mobiles, en principe, d’aujourd’hui. On parle pour ces sociétés traditionnelles de sociétés organiques : de même que dans le corps humain chaque organe a sa place et ne peut en occuper une autre, dans ce type de société, chaque être humain est assigné à une place, remplit une fonction et est prié de s’y tenir. Sinon, il (ou elle) trouble un ordre immémorial, sacré, et la société est autorisée à déchaîner les pires sanctions pour châtier le déviant. Ainsi, dans la France d’Ancien Régime, les gens étaient répartis en trois ordres. De haut en bas : ceux qui prient (le Clergé), ceux qui défendent et dirigent (la Noblesse), ceux qui travaillent (le Tiers Etat). Cet édifice social était couronné par le roi (en France seulement un homme) qu’on compare à la tête, les autres catégories sociales étant comparés aux membres du corps, obéissant à la tête/roi. Quant au roi lui-même il obéit à Dieu. De même qu’il n’y a qu’un seul Dieu dans l’univers, créateur de toute chose, il y a un seul chef sur terre, l’empereur puis le roi, un seul chef au niveau de la famille, le père (paterfamilias) à qui obéissent femme et enfants.
Ch. I. La place de la femme dans quelques grandes traditions.
La femme dans l’Antiquité.
Dans la Grèce ancienne, le statut de la femme n’est pas identique dans toutes les cités, mais elles sont toujours dans une situation d’infériorité. Aujourd’hui on ne croit plus qu’il ait existé à un moment donné des sociétés matriarcales, même si dans certaines cités, l’île de Lesbos par exemple, où a vécu la poétesse Sapho, elles étaient davantage respectées. A Athènes, la femme n’a pas le droit de cité, ne participe pas à la riche vie politique. Athènes est une démocratie d’hommes libres. Avant le mariage, la femme n’a pas vu son mari. Au moment du mariage, elle est transférée avec solennité du domicile du père à celui du mari, tenant un gril et un tamis. On attend d’elle qu’elle reste à la maison, dans le gynécée. C’est la reine de l’intérieur, comme l’explique Xénophon dans L’Economique :
« A l’homme les travaux de l’extérieur, labourer une jachère, semer, planter, faire paître le bétail ; à la femme les travaux de l’intérieur, c’est à l’abri que doivent être élevés les nouveaux-nés, à l’abri que doit être préparée la farine. Comme elle, la reine des abeilles, la maîtresse de maison doit rester à la maison…penser à l’avance à ce qui doit être mis de côté, et veiller à ne pas faire pour un mois la dépense prévue pour une année ».
Alors que le petit garçon, à partir de l’âge de 7 ans, est scolarisé dans l’école du grammairien, la fille reste dans le gynécée où on lui apprend à filer, à tisser la laine. Dans l’Antiquité, les Spartiates avaient la réputation d’être libres. On les surnommait les « montre-cuisses ». Beaucoup soulignaient la liberté d’allure de ces femmes. En fait ceci semble dû à la mobilisation permanente des hommes, souvent éloignés de la cité par des guerres, ce qui permit aux femmes, conjoncturellement, de prendre de l’importance.
La femme dans la tradition chrétienne.
Quand le christianisme s’implante puis devient la religion officielle de l’Empire romain, avec la conversion de l’empereur Constantin, les femmes ont déjà subi leur défaite historique. Comme dans bien des domaines, le christianisme reprendra les coutumes traditionnelles, les durcissant même parfois. Il faut dire que les textes sacrés sur lesquels est basée cette religion sont anti-féministes, en particulier l’Ancien Testament. Tout d’abord, selon la Genèse, Dieu a d’abord créé l’homme, puis la femme dans un second temps :
« Yahvé Dieu dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie…Alors Yahvé Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme ».
Donc la femme est en position seconde, dès les origines. De plus, c’est par Eve, la première femme, qu’a été commis le péché originel, source de tous nos malheurs. C’est Eve par sa curiosité qui a croqué la pomme la première et a incité Adam à faire de même.
Cet antiféminisme perdure dans la tradition chrétienne. Ainsi Tertullien, au Ve siècle, a de terribles paroles :
« Femme ! Tu es la porte du diable ! C’est à cause de toi que le fils de Dieu a dû mourir. Tu devrais toujours t’en aller vêtue de deuil et de haillons ».
Certes Jésus, le fils de Dieu – notez au passage que c’est un homme que Dieu nous a envoyé – est né d’une femme, Marie, ce qui a priori tend à la revaloriser. Cependant cette femme a enfanté en restant vierge – c’est le dogme de l’Immaculée Conception – démontrant au passage toute la répugnance du christianisme face au sexe, au corps féminin. Chez Saint-Paul, dans son Epître aux Ephésiens (Nouveau testament), il y a l’affirmation de la suprématie du mari sur la femme :
« Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur : en effet leur mari est le chef de sa femme, comme le Christ est le chef de l’Eglise ; or l’Eglise se soumet au Christ ; les femmes doivent donc de la même manière se soumettre en tout à leur mari ».
Cette place seconde de la femme explique que Saint Paul prescrive à la femme d’aller « tête couverte », fasse preuve d’humilité. Dans son Epître aux Corinthiens, le même Saint Paul :
« Toute femme qui prie la tête découverte fait affront à son chef, c’est-à-dire à son mari. L’homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et le reflet de Dieu ; quant à la femme, elle est le reflet de l’homme. Ce n’est pas l’homme en effet qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme ; et ce n’est pas l’homme, bien sûr, qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit avoir sur sa tête un signe de sujétion ».
Reconnaissons cependant qu’il y a dans le message de Jésus beaucoup de compassion, de miséricorde, d’esprit de pardon. Il n’hésite pas à faire la leçon aux puissants, les Pharisiens. Voilà comment il s’adresse à ceux, selon Saint Jean, qui s’apprêtaient à lapider une femme adultère, car dans l’Ancien testament, celle qui a trompé son mari mérite d’être tuée à coups de pierres :
« Dès l’aurore, il parut à nouveau dans le Temple, et tout le peuple venait à lui. Il s’assit donc et se mit à les enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent alors une femme surprise en adultère et, la plaçant bien en vue, ils disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Moïse nous a prescrit dans la Loi de lapider ces femmes-là. Et toi qu’en dis-tu ? » Comme ils insistaient, Jésus leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». A ces mots, ils se retirèrent un à un, et Jésus dit à la femme : Va et ne pèche plus ».
Notons que chez les Juifs religieux, les femmes doivent cacher leur chevelure ou se raser la tête et porter perruque. Dans le quartier ultra-orthodoxe de Mea Shéarim, à Jérusalem, la tenue des femmes est sévèrement surveillée par une « police de la vertu ». La ségrégation des sexes est générale : files d’attente séparées dans les magasins, les lignes d’autobus, avec les femmes à l’arrière dans ceux-ci.
La femme dans le Coran.
Les Musulmans s’appuient sur un ensemble de règles issues de plusieurs textes. Le plus important d’entre eux, le Coran, livre saint composé de sourates (chapitres), elles-mêmes divisées en versets, a été écrit par le prophète Mahomet sous la dictée de Dieu. Il a vécu en Arabie entre 570/580 et 632. A ce livre saint s’ajoute la tradition, constituée par les hadiths (dits ou faits du prophète) et les commentaires des savants, la charia ou loi coranique. Tout ceci fixe des règles de vie, la place de l’homme, de la femme. Tout est prévu, chacun a sa place dans la société, c’est la société organique. Le tout l’emporte sur l’individu, avec un avantage, chacun sait où il est, sait quels sont ses droits et ses devoirs. Tout cela peut fonctionner à condition que chacun joue le jeu, ne sorte pas du rôle, de la place qui lui sont assignés.
Le problème pour la femme : elle a plus de devoirs que de droits. Sa situation est précisée dans la sourate 4 (175 versets) intitulée « Les femmes », dans la sourate 24 (64 versets), « La lumière » et en divers autres endroits. La femme a un statut, une personnalité légale. Elle est reconnue comme un être à part entière. A ce titre elle peut posséder des biens. En cas de répudiation, de divorce, elle récupère sa dot. A la mort des parents, elle a droit à l’héritage, mais dans une part moindre que le garçon (elle a la moitié de la part du garçon). De même en justice, son témoignage est recueilli, mais il a une moindre valeur que celui de l’homme. Ainsi pour être contredit, le témoignage d’un homme doit l’être par deux femmes. De la même manière, en pays d’Islam, un homme peut prendre plusieurs épouses. Avant le Prophète, semble-t-il, en nombre illimité. Après, 4 femmes, pas plus, et seulement si l’homme a les moyens de les entretenir avec équité.
Le destin de la femme est donc le mariage, en général à la puberté. Cela varie selon les pays : 16 ans en Egypte, 17 ans en Tunisie, longtemps 15 ans au Maroc, 18 ans aujourd’hui. En Arabie saoudite et dans les pays du Golfe, souvent de petites filles sont mariées à des adultes, dans ce cas la « consommation » du mariage est différée. L’épouse a des droits : à la nourriture, à l’hébergement, à l’habillement, et des devoirs : tâches domestiques, ménage, éducation des enfants et bien sûr des devoirs sexuels, elle doit satisfaire les besoins du mari :
« Vos femmes sont un champ de labour pour vous. Venez à votre champ de labour comme vous le voulez », in Le Coran, « La Génisse », II, 223.
Le père est le patriarche, le chef incontesté, il est l’interface entre la famille et la société. En ville, un des rares endroits où les femmes peuvent se rencontrer sont les bains publics. En effet l’homme se dédit à la Cité. Il est important pour lui de ne pas perdre son honneur, de ne pas perdre la face. Pour cela il est nécessaire d’être conforme aux normes…et aussi que sa famille le soit. La conduite morale des femmes doit être irréprochable : chasteté des filles, fidélité de l’épouse, continence de la veuve ou de la divorcée. Les hommes de la famille ont un pouvoir de contrôle sur les femmes, le mari sur sa femme et ses filles, le frère aîné sur ses sœurs. Les juges et les religieux les soutiennent totalement dans leurs prises de sanction. La virginité des filles étant considérée comme un bien familial, celles qui ont mené une vie assez libre pendant leurs études se font reconstituer l’hymen à la veille du mariage. Quant à la femme âgée, même si elle demeure mineure à l’égard du mari, elle a un grand pouvoir sur la maisonnée, elle est respectée par tous. Asexuée, elle n’est plus celle qui par ses actes pourrait nuire à l’honneur de la famille, faire envie à d’autres hommes. Traditionnellement, on n’aime pas beaucoup les mariages d’amour, on se méfie d’une femme amoureuse, elle peut être immorale. Pudeur, modestie sont appréciées. Passivité et soumission sexuelle au mari sont de mise. L’adultère est puni sévèrement, selon la loi coranique la femme coupable peut être punie de lapidation. Ce fut un beau scandale quand Tariq Ramadan, ce musulman policé, n’a pas dénoncé radicalement cette coutume, demandant simplement un moratoire, c’est-à-dire une suspension de cette pratique. Si le mari surprend sa femme légitime, ou le frère aîné sa sœur, avec leur amant, la tradition veut qu’ils puissent la tuer sans que l’opinion publique n’y trouve à redire.
Quant à la pratique du sport par les femmes, elle n’est pas sans poser des problèmes en pays d’islam. Il détermine en effet chez celles-ci une profonde transformation de l’expérience subjective et objective de leur corps. Elles cessent désormais d’exister seulement pour autrui, ou pour le miroir. A priori, l’activité physique, le sport – quand il n’est pas de compétition – permettent de se sentir bien dans son corps. Mais aux yeux des rigoristes, celles qui, rompant la relation tacite de disponibilité, se réapproprient leur image corporelle, et du même coup leur corps, apparaissent comme dangereuses (Notons que l’affirmation de l’indépendance intellectuelle produit des effets semblables). Ainsi en Iran par exemple, le sport n’est pas interdit aux femmes, mais elles sont obligées de revêtir des tenues spécifiques qui gomment les formes et cachent les cheveux.
Ch. 2. La femme dans les sociétés chrétiennes.
Quelle a été la situation de la femme en France pendant les siècles où le christianisme avait une position dominante, c’est-à-dire avant la Révolution française ?
-sur le plan politique, elle a pratiquement été absente du pouvoir, car en France s’appliquait la loi salique qui réservait la couronne aux personnes de sexe masculin. Comme on le disait précédemment, la femme n’a obtenu le droit de vote qu’en 1944. Avant, on considérait que la femme était représentée par le mari, ou les filles par le père. Car on votait parfois dans la France d’Ancien Régime, pour élire les délégués aux Etats généraux par exemple, ou dans les villages pour prendre des décisions importantes. Les plus riches se réunissaient sur la place de l’église et votaient après débat. Et parfois, parmi une assemblée essentiellement masculine se trouvaient deux ou trois veuves aisées, habilitées donc à représenter leur foyer fiscal. Donc la femme n’est pas complètement absente de la vie publique, elle est là quand le mari est empêché, ici par la mort, d’exercer son rôle. Le plus célèbre exemple de l’intervention d’une femme dans les affaires publiques, quand toutes les solutions ont échoué, est celui de Jeanne d’Arc. Etonnant destin que celui de la pucelle, vous remarquez au passage, comme dans le cas de Marie, que c’est une Vierge qui nous sauve la mise…c’est-à-dire une femme qui n’a pas encore vécu son destin de femme. Née vers 1412, elle entendit à 13 ans des voix lui ordonnant de libérer la France envahie par les Anglais. C’était la Guerre de Cent ans, depuis 1328. A bout d’imagination, les grands seigneurs la conduisirent à Chinon auprès de Charles VII. Elle conduisit l’armée qui délivra Orléans, en mai 1429. Puis ayant rendu confiance aux troupes, elles-ci parvinrent à Reims, où le roi fut sacré et ainsi légitimé, en juillet 1429. Capturée par les Bourguignons, elle fut vendue aux Anglais. Déclarée hérétique et sorcière, elle fut condamnée à être brûlée vive à Rouen, le 29 mai 1431, à 19 ans !
-sur le plan économique, la femme est très présente tout au long de ces siècles, mais plutôt en position seconde, aux côtés du mari, qui est le chef de l’entreprise. Le développement du capitalisme, dopé par la découverte de l’Amérique, renforce cette prééminence masculine. Les grandes lignées d’hommes d’affaires, les Fugger d’Augsbourg, les Médicis de Florence ou les Krupp d’Essen voient des mâles se succéder à la tête des entreprises.
-On aurait pu penser que le domaine des Beaux-Arts leur aurait été ouvert. Détrompez-vous. En France, l’Académie royale de peinture, son annexe à Rome (la Villa Médicis), l’Ecole des Beaux-Arts qui en dépend à Paris sont réservés aux hommes. Cette dernière ne s’ouvrit aux femmes qu’en 1897. Pourquoi une ouverture si tardive ? Essentiellement parce qu’on y travaillait à partir de modèles vivants. Il eut été inconvenant qu’une femme dessine un homme nu ! Ainsi, il faudra la recommandation spéciale de la reine Marie-Antoinette pour que Madame Vigée-Lebrun soit admise à l’Académie de peinture au XVIIIe siècle. Encore au XIXe siècle, une femme peintre remarquable, Berhe Morisot, dut se contenter d’aller copier au Louvre, chaperonnée par sa mère. C’est là qu’elle fit la connaissance d’Edouard Manet qui lui donna des leçons de peinture, complétant ainsi sa formation.
-Dans l’Eglise, a priori il y a autant de femmes que d’hommes. Et pourtant tous les postes de direction sont occupés par les hommes : le pape, les cardinaux, les évêques, les prêtres sont des hommes. On n’a fait appel aux femmes, pour la catéchèse, l’encadrement des familles au moment des funérailles, que récemment, contraint et forcé, devant la crise des vocations. L’Eglise catholique refuse toujours d’ordonner des femmes. L’Eglise anglicane a scissionné sur cette question. Ce qu’il faut remarquer quand on regarde les siècles passés : la femme est reconnue par l’Eglise comme un être humain d’égale dignité, ce qui entraîne le respect à son égard, la polygamie est interdite. Et l’Eglise a accepté que des femmes célibataires se dédient à temps complet à Dieu et à l’Eglise. Elle a reconnu le droit à l’existence de communautés religieuses, les couvents. A condition qu’elle renoncent à leur sexualité, à leur féminité même, les femmes sont les bienvenues dans ces établissements. Comme les femmes en pays d’islam, les religieuses font disparaître leurs cheveux sous des coiffes et ensevelissent leur corps sous d’amples vêtements de couleur sombre en général. En France, les premiers couvents sont nés au début du Vie siècle, à Arles à l’initiative de Césarie, sœur de l’évêque Césaire, dans le Poitou à l’initiative de Radegonde, née vers 520, épouse du roi Clotaire Ier. C’est pour fuir ce mari violent (il avait tué le frère de Radegonde) qu’elle fonde le monastère de Sainte-Croix à Poitiers. Les biens sont mis en commun, la vie est austère et ces saintes femmes se dédient à l’enseignement et aux soins aux malades. Les couvents féminins eurent donc des rôles variés. Ils permettaient aux femmes battues de trouver refuge et surtout de réguler le marché matrimonial, en faisant diminuer le nombre de filles à marier.
Ch. 3. Les femmes dans les pays d’Islam.
La tentation de la réforme (l’Ijtihad) vite repoussée.
L’idée était, sans renier le Coran, de faire prévaloir l’esprit sur le texte. En effet l’apparition du salafisme wahhabite au XVIIIe siècle en Arabie saoudite a rendu la situation de la femme plus sévère. Ses penseurs font prévaloir une lecture littérale des textes d’autorité. Ils reprochent à l’Occident de la Déclaration des Droits de l’Homme de se situer sur une base trop individualiste. Pour eux, la religion a pour fonction de cimenter le corps social. Son oubli risque d’entraîner l’effondrement de la société. A la fin du XIXe siècle sont apparus des réformateurs musulmans, Qacem Amin (1865-1908) par exemple, égyptien d’origine turque, présente un programme d’émancipation de la femme. Il demande l’abandon du voile, de la polygamie (tolérée seulement si la première épouse est stérile), l’instruction de la fille comme du garçon. Tahar Haddad (1899-1935), un tunisien, ose s’attaquer aux dispositions de la charia relatives au statut de la femme, en matière de répudiation par décision unilatérale du mari, et également aux dispositions concernant l’héritage. Rapidement mis au ban de la Zitouna, il fut considéré comme hérétique.
Ainsi, dans aucun pays arabe il n’y eut de réforme en profondeur, seulement des réformes partielles, l’émigration des hommes ayant obligé les femmes à prendre des responsabilités.
Situation contrastée des femmes dans les pays d’islam.
-Contrôle des naissances : certes l’islam encourage la natalité, mais le Coran n’interdit pas le contrôle des naissances, certains versets conseillent même de limiter le nombre des enfants si les moyens de la famille sont insuffisants. Ainsi, en Algérie, Tunisie et Egypte existent des centres de Planning familial. Bien sûr ces possibilités sont davantage utilisées par les femmes instruites, aisées, car pour beaucoup de femmes du peuple, avoir de nombreux enfants est la meilleure manière d’obtenir le respect, de se faire reconnaître. Quant à l’avortement, il est toléré quand la grossesse risque de mettre la vie de la mère en danger.
-Scolarisation des filles : globalement elle est en progrès, mais elle est l’objet d‘un bras de fer entre Réformateurs et Traditionalistes. Les réformateurs y sont favorables, non pas tant pour que la femme occupe un emploi, mais pour qu’elle soit une meilleure compagne pour le mari, une mère plus compétente. Les traditionalistes sont contre, car l’instruction risque d’éloigner les femmes de la religion, de les rendre immodestes, impudiques. De toute façon, il vaut mieux les instruire à la maison plutôt qu’à l’école et les écarter de certaines disciplines (biologie, musique, éducation physique…) jugées dangereuses. Globalement ces derniers considèrent que l’instruction risque de « déféminiser » les jeunes filles, de rendre les mariages plus difficiles. Curieux écho aux polémiques qui avaient lieu sur le même sujet en France au XIXe siècle.
-La polygamie : la loi sunnite traditionnelle autorise 4 femmes, et c’est l’homme qui décide, il n’a pas besoin de l’autorisation de ses autres épouses. Il lui suffisait de justifier de revenus suffisants. En fait aujourd’hui, dans le monde musulman moins de 10% des mariages sont polygames (sauf en Afrique noire), et même plusieurs pays l’ont interdite (la Tunisie dès 1956, l’Irak). En Syrie, il faut prouver devant un tribunal qu’on a des revenus suffisants. Au Liban, au Maroc, elle n’est pas interdite, mais l’épouse peut la rendre impossible en le stipulant sur le contrat de mariage. En Algérie, si on veut prendre une deuxième épouse, il faut informer la première. Si elle n’est pas d’accord et que le mari persiste, elle peut demander le divorce. En Egypte, le Président Sadate était parvenu à la proscrire (décret-loi Jihane en 1979), mais ce décret sera annulé en 1985.
-La répudiation. Elle fait partie de la tradition. Le mari prononce la formule de répudiation devant témoin (n’importe quel adulte) et la femme doit quitter la maison dans un délai de 3 mois. Elle récupère sa dot, ou ce qu’il en reste, et sa famille est tenue de la reprendre. Aujourd’hui elle est interdite dans de nombreux pays arabes et le droit au divorce est reconnu en Tunisie, Algérie, Maroc, Egypte…La femme peut aussi le demander si le mari a disparu depuis plus d’un an, s’il est incapable de l’entretenir, s’il veut prendre une deuxième épouse…Au Maroc en 2005, Mohamed VI (roi et commandeur des croyants) a réformé le code de la famille (la Moudawana) dans un sens progressiste, initiative majeure de ses premières années de règne. Mais les hommes lui opposent une résistance sourde. Certains affirment : « En cas de divorce, si vous croyez que je vais partager mes biens », d’autres : « Je ne vais pas me marier, c’est tout ». Les tribunaux auront-ils la volonté de faire plier ces résistances ? En Egypte, si l’épouse veut conserver une partie du patrimoine commun, elle doit obtenir un divorce aux dépens du mari, et pour ce faire réunir de nombreuses preuves et témoignages des violences exercées à son encontre par le mari.
-Le problème de la garde des enfants. Dans de nombreux pays (Algérie, Tunisie, Egypte…), la femme perd son droit de garde si elle se remarie. De toute façon, même quand la mère a la garde des enfants, ceux-ci demeurent sous la tutelle paternelle (ou sous celle du parent homme le plus proche). C’est cette conception de la mère (instrument permettant au mari de constituer ou d’accroître sa lignée) qui est à l’origine des enlèvements d’enfants, dont on a parlé en France ces dernières années.
Notons le paradoxe : bien des codes de la famille affirmant l’infériorité de la femme, avec les incapacités qui en découlent, sont en contradiction avec bien des législations civiles qui font des femmes des citoyennes à part entière, électrices et éligibles. Une femme peut être députée, ministre, tout en demeurant, suivant le code de la famille, sous la coupe de son époux.
La plupart de ces sociétés sont des sociétés pour les hommes. A la naissance d’un petit garçon, on organise de grandes festivités. Caressé, cajolé, admiré par les femmes de la famille, le petit mâle a toutes les libertés, on développe son narcissisme. Pendant que les filles aident la mère, il joue. Au Paradis, les femmes ne sont présentes que pour le plaisir des hommes pieux. On promet aux martyrs de belles jeunes filles, les houris. Ces avantages se paient : l’homme doit être à la hauteur ! Il doit faire preuve de virilité, notamment face aux femmes étrangères à la famille. Il a en quelque sorte une obligation de machisme. Si l’homme ne se conforme pas à l’image de l’homme viril, il est aussitôt déprécié, dévalué, moqué. Enfin, beaucoup de ces hommes sont perturbés par la femme occidentale. Ils ont l’impression que tout est permis avec elle. On la juge non seulement abordable, mais offerte. Son comportement est à l’opposé de celui qu’on attend d’une femme décente. Elle est perçue comme « disponible ». Etant « libre », n’est-elle pas à la disposition de tout homme ? La chasse est donc ouverte, à cela s’ajoute le phénomène de la revanche du « dominé » sur les femmes du « dominateur », attirance d’autant plus grande que ces femmes ont longtemps été interdites. Il existe, en terre d’islam, vis-à-vis des femmes, un « affolement du masculin ».
Ch. 4. Les femmes musulmanes dans l’immigration et la question du voile.
Les femmes musulmanes dans l’immigration : situation.
A priori, loin du pays d’origine la pression sociale est moins forte, le contrôle par la famille élargie moins important. Et on peut penser que l’influence des européennes, moins dociles, aura des conséquences. Et en effet certaines se transforment, elles doivent faire face à des situations complexes que l’homme résolvait naguère au pays. Accompagnant les enfants à l’école, elles s’impliquent comme mères d’élèves. Elles fréquentent les centres sociaux, notamment les centres de Protection maternelle et infantile. Elles occupent même parfois des emplois modestes. Et elles découvrent que le modèle occidental n’est pas aussi détestable, pas aussi incompatible avec le modèle de femme qui est le leur. Au fil des ans, elles acquièrent de l’ambition pour leurs filles, les poussent à étudier, à obtenir un métier et ainsi l’autonomie. Elles en viennent à souhaiter « autre chose » pour leurs filles. Mais les pères réagissent souvent mal, soit par une forme de démission, soit par des accès d’autoritarisme, ce que les enfants ont du mal à accepter.
Au moment de la puberté, quand la surveillance se fait plus dure, les jeunes filles sont partagées entre le désir d’avoir les mêmes droits et libertés que leurs compagnes non musulmanes ou que leurs frères, et le souci de ne pas heurter de front la famille. Le conflit est vif quand, à 16 ans, certains parents envisagent de retirer la fille de l’école pour la marier. Le « mariage arrangé » est en effet très souvent à l’origine de drames. La jeune fille n’est pas toujours ravie d’épouser un coreligionnaire souvent en retrait par rapport à leur propre évolution. Quant à épouser un non musulman, elles hésitent de peur de se couper de leur famille. L’islam rend difficiles les unions entre une musulmane et un non musulman car les enfants risquent de ne pas être élevés dans la religion musulmane.
Cette modernisation, qui a entraîné la présence plus grande des femmes dans l’espace public, est la source d’une double angoisse : celles des hommes et celles des femmes traditionnelles qui estiment avoir tout à perdre de la désacralisation des rôles familiaux. Car l’émancipation de la femme met en cause le modèle patriarcal, la stabilité familiale. Or, le noyau familial n’est-il pas le dernier lieu de sécurité,notamment en temps de crise ?
La signification du voile en France aujourd’hui.
Le Coran parle du voile à deux reprises. Le verset 55 de la Sourate 33 dit ceci :
« Vos épouses peuvent se découvrir devant leurs pères, leurs enfants, leurs neveux, leurs femmes, leurs esclaves ». Et le verset 59 : « O prophète ! Prescris à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, d’abaisser un voile sur leur visage. Il sera la marque de leur vertu et un frein contre les discours du public »., ou selon une autre traduction : « Se couvrir de leurs voiles, c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées ».
Vous remarquez que le Coran ne prescrit pas la forme précise du voile. Dans certains pays, les traditions locales ont amené l’adoption d’un voile qui couvre tout le corps, laissant apparaître seulement les yeux, le niqab (Arabie saoudite) ou même en Afghanistan ajoutant une sorte de grillage au niveau des yeux (la burqa). Donc originellement le voile apparaît pour la femme comme une protection. Au lieu d’éduquer les hommes, de leur apprendre à réfréner leurs pulsions, de ne pas voir dans chaque femme une femelle, on a préféré cacher l’objet du désir. Mais ce faisant, on a construit une société de ségrégation totale entre les deux sexes. Le voile, c’est la continuation de l’enfermement dans l’espace public.
Mais dans beaucoup de pays, le voile n’est pas une survivance chez les vieilles femmes, comme l’était la coiffe chez les bretonnes dans les années 1950. Il est porté par des jeunes filles comme un drapeau. On a l’impression qu’en France, le recours au voile est une façon de critiquer la dureté du pays d’accueil. Les jeunes issus de l’immigration se sentent rejetés, de l’emploi, du logement, voire des discothèques. Constamment leur est rappelée leur étrangeté. De plus, la France a des problèmes avec son passé colonial. Les jeunes issus de l’immigration sont perçus comme les fils et les filles de ceux qui ont chassé les français d’Afrique du Nord. Et les voilà maintenant chez nous ! Beaucoup de nos compatriotes ne sont pas prêts à leur faire une place.
On peut également noter chez les jeunes femmes qui décident de porter le voile le refus d’une des caractéristiques de notre modernité : la dictature du corps imposée par les médias audiovisuels, par la mode. Cette marchandisation du corps, féminin notamment, apparaît intolérable à certain(e)s. On peut comprendre leur refus de montrer leur nombril…ou la ficelle du string.
Dans ce contexte, certains ont revalorisé la tradition. On a assisté à un processus de « refidélisation ». Le sentiment de « hoggra », sentiment d’être dominé, humilié, explique en partie les formes prises par la « résistance » et en particulier le port du foulard ou du voile. Le retour à l’islam sert de rempart face à la crise. Il produit de la solidarité, avec un danger, le communautarisme. Après les attentats du 11 septembre notamment, les Musulmans sont suspectés d’être « les ennemis de l’intérieur ». Ils sont stigmatisés, les contrôles de police au faciès se multiplient. Ils ont l’impression d’être des citoyens de seconde zone. Ils se rebellent : le foulard, signe historique de soumission, de dépréciation, est transformé par les jeunes femmes en symbole de leur dignité. Enfin, le foulard comme stratégie de résistance, permet de ne pas rompre avec les parents. Il est difficile dans le peuple de s’émanciper en rompant avec la famille.
Les partisans de la loi contre le voile à l’école en 2004, ou de la loi contre la burqa aujourd’hui, jouent la dramatisation, disant de ces vêtements qu’ils sont le porte-drapeau de ceux qui utilisent voile ou burqa à des fins politiques. En effet, les intégristes tentent d’instrumentaliser ces jeunes femmes, surfant sur les sentiments d’indignation, de stigmatisation de nombreux immigrés (cf. le Parti des Musulmans de France de Latrèche). Mais il est dangereux de nier la légitimité de la révolte sous prétexte qu’elle n’emprunte pas les expressions les plus claires politiquement. Attention à ne pas présenter l’islam et les musulmans comme un danger ! Tout ce qui contribue à diaboliser cette culture est dangereux. La question du voile est le révélateur de questions plus profondes. Ce n’est pas une simple manipulation des intégristes. S’il n’y avait pas « demande de foulard » l’offre serait inopérante. Ce recours au foulard ne peut s’analyser comme un archaïsme, propre à une tradition religieuse, ce qui serait fertile en dérive islamophobe. Il n’en reste pas moins qu’il n’est pas banal de voir de jeunes filles utiliser un symbole patriarcal pour en faire un outil de résistance. Malheureusement dans ce cas résistance ne rime pas avec émancipation.
Conclusion.
Tenter de comprendre n’est pas approuver. Bien sûr il n’est pas question d’encourager le port du voile, encore moins celui de la burqa, comme on ne peut encourager l’excision au nom de la différence culturelle. Le voile comme l’excision sont un marquage discriminant du corps des filles. Comprenons cependant que le port du voile est un moyen d’attirer le regard, une forme d’exhibitionnisme, une attitude de repli aussi devant les duretés du pays d’accueil. Donc n’accentuons pas l’isolement de ces jeunes femmes en les excluant de l’espace public. Les interdictions ne sont pas les meilleures solutions pour résoudre ces problèmes.
Toutes les religions ont contribué à identifier le sexe féminin au péché. Malgré l’existence de libéraux dans chacune des grandes traditions religieuses, aucun signe d’évolution importante n’est vraiment décelable en ce début de XXIe siècle.
Bibliographie indicative.
-Nous avons utilisé la traduction de la Bible en français réalisée par l’Ecole biblique de Jérusalem, publiée en 1961 à Paris par les Editions du Cerf, 1670 pages.
-et la traduction du Coran, précédée d’un abrégé de la Vie de Mahomet (p ?1-111) par Savary, imprimée à Bourges en 1958, 580 pages.
-Delumeau Jean, La Peur en Occident, Paris, Livre de Poche, coll. Pluriel, 1978, pour la citation de Tertullien.
-Tillion Germaine, Le harem et les cousins, Paris, Seuil, 1966.
-Soulard Isabelle, Les femmes du Poitou au Moyen Age, Geste Editions, 1996, sur « l’invention » des monastères de femmes.
-Actes du Colloque « Femmes et Islam », 15-16 décembre 1999, organisé par le Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes, Paris, consultable à la Bibliothèque universitaire de la Rochelle.
-Bouzar Dounia, Kada Saïda, L’une voilée, l’autre pas. Le témoignage de 2 musulmanes françaises, Paris, Albin Michel, 2003.
-Chahdortt Djavann, Bas les voiles !, Paris, Gallimard, 2003.
-Bouamama Saïd, L’affaire du foulard islamique. La production d’un racisme respectable, Roubaix, Le Geai bleu, 2004.
-Chouder Ismahane et alii, Les filles voilées parlent, Paris, Ed. La Fabrique, 2008.
Sélection d’articles du journal Le Monde sur la condition de la femme en pays musulman :
-13 octobre 1994, Jérôme Fenoglio et Alain Giraudo, « Le Coran sur les stades ».
-16-17 décembre 2001, Fehti Benslama, « La virilité en Islam ».
-28-29 décembre 2003, Mouna Naïm, « Vies de jeunes femmes à Riyad ».
-13 mai 2004, Marion Van Renterghem, « Iraniennes. Vies privées ».
-27 novembre 2008, Florence Beaugé, « Les Marocaines déçues par l’application du Code de la famille ».
-20 avril 2010, Patrice Claude, « Egypte. Les femmes se rebiffent ».
Articles sur le débat dans l’extrême gauche au sujet de la loi de 2004 sur le foulard à l’école.
-Le Monde, 7 février 2004, Caroline Monnot, « Le voile fait aussi désordre dans l’extrême gauche ».
-in Rouge, n°2039, novembre 2003, Daniel Bensaïd, à propos de Tariq Ramadan, mais aussi n°2037, 30 octobre 2003 ; n°2044, 18 décembre 2003 ; n°2049, 29 janvier 2004 ; n°2050, 5 février 2004.
-pour Lutte Ouvrière, voir son mensuel théorique Lutte de Classe, n°84, novembre 2004 « Quand une partie de l’extrême gauche fait la cour aux islamistes ». et sa brochure Les religions et les femmes, Exposé du Cercle Léon Trotsky, n°97, 4 février 2005.
Au sujet de la présentation d’une jeune femme voilée aux Régionales de 2010 par le NPA.
-Le Monde, 6 février 2010, Caroline Fourest, « NPA : Nouveau Parti Antiféministe ? ».
-Le Monde, 20 février 2010, p.18-19, « Le foulard qui sème la zizanie à gauche », plusieurs articles contradictoires.
-La controverse au sein du NPA résumée par deux articles de tonalité différente :
in l’hebdomadaire du parti Tout est à nous ! n°48, 25 mars 2010, p.11 (Josette Trat et alii), et n°50, 8 avril 2010, p.11 (Catherine Samary et alii).
Le débat en cours sur la burqa.
Parmi de très nombreux articles de presse, quelques exemples pris dans Le Monde :
-23 juin 2009, Dounia Bouzar, « La burqa, un signe sectaire et non religieux ».
-24 juin 2009, une enquête « Vivre en France avec le niqab ».
-13 novembre 2009, « Les obstacles juridiques à l’interdiction du port de la burqa dans l’espace public ».
-24-25 janvier 2010, « Drôle d’attelage contre la burqa. L’un est communiste (André Gerin), l’autre très à droite (Eric Raoult).
N.B. L’endroit où l’on peut le plus aisément, et gratuitement, consulter les anciens numéros du Monde à La Rochelle, ce sont les Archives Départementales, situées aux Minimes, près de la Faculté de Droit.
Annexe 2. Compte rendu de lecture mis sur le site de la revue Dissidences (dissidences.net)
Ismahane CHOUDER, Malika LATRECHE, Pierre TEVANIAN, Les filles voilées parlent, Paris, La Fabrique, 2008, 346 p., 18 €.
Cet ouvrage recueille le témoignage de nombreuses jeunes filles ou jeunes femmes, certaines scolarisées d’autres pas, qui ont décidé, envers et contre tout, de garder le voile islamique. La loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostentatoires a entraîné pour les lycéennes voilées une véritable mise à l’écart (« On m’a envoyée dans une salle à part, où je recopiais les cours heure par heure », Zahra). Mais surtout cette loi a enhardi les Français moyens qui, si l’on en croit les nombreux témoignages, ne se sont pas privés dans la rue ou dans les transports en commun, d’apostropher ou d’agresser les porteuses de voile (« Cette loi a rendu les gens haineux, prêts à bondir dès qu’ils croisent un foulard », Malika). Certains instituteurs ont appliqué de manière extensible cette loi, interdisant aux mères voilées d’accompagner les élèves en sortie scolaire. De même certaines femmes racontent les difficultés qu’elles ont rencontré sur leur lieu de travail, du harcèlement au licenciement pur et simple.
Quand on demande à ces femmes les raisons pour lesquelles elles portent le foulard, la plupart répondent que c’est une affaire intime. Elles le font pour satisfaire Dieu, par soumission à lui, ajoutant que si elles sont soumises à Dieu, elles ne le sont pas aux hommes. Plus précise, Khadija affirme que « porter le voile, c’est inviter les gens à ne pas s’arrêter à mon corps, mais chercher à comprendre ce que je suis d’autre ». Plus précise encore, Fadila définit le voile comme une espèce de « repousse-homme ». On se fait moins embêter, avoue-t-elle, dans les quartiers quand on porte le voile. Mais c’est là que le bât blesse. Et si au lieu de raser les murailles, d’adopter une attitude « pudique », les filles et la société exigeaient des hommes une attitude respectueuse, leur expliquaient que le sérieux des filles n’est pas proportionnel aux centimètres carrés de tissu qu’elles portent. Ce n’est pas de la séparation des sexes que naîtra l’harmonie sociale mais d’une vie en commun basée sur le respect mutuel.
Ces jeunes filles, qui ont été ainsi reléguées, stigmatisées pour s’être entêtées à porter le voile en veulent à la France, ne croient plus que c’est le pays des droits de l’homme et envisagent de faire leur vie ailleurs. Mais l’une d’entre elles qui a tenté de s’installer à Abou Dhabi n’a pas tenu ! (p. 294). Elles en veulent aussi beaucoup aux militants, renvoyant la gauche et la droite dos-à-dos. Seule Christine Delphy, qui préside le Collectif des féministes pour l’Egalité, échappe à leur colère. Même la LCR, bien que plusieurs avouent leur penchant pour le « petit facteur », est clouée au pilori. On lui reproche son paternalisme…et son racisme. Hanane, qui se déclare « islamo-gauchiste et fière de l’être », explique que la cellule de Saint-Denis de la LCR a refusé son adhésion au cours de l’été 2004 : « même dans le champ militant je vis l’exclusion ». Elle s’est donc rapprochée des Indigènes de la République. Quand on regarde les textes de la LCR sur le sujet, on note en effet de la part de la majorité un refus du voile (« réponse déformée à une situation d’oppression », P.-F. Grond, Rouge n° 2044, 18 déc. 2003). Même pour les minoritaires, Catherine Samary, Léon Crémieux, Alain Mathieu, le voile est « une forme d’oppression des femmes » (Rouge n° 2049, 29 janv. 2004). Et les uns et les autres sont également contre la loi : « Ni Voile, ni Loi », tel fut leur slogan, les minoritaires ajoutant « nous sommes contre cette loi : depuis quand punit-on les victimes ? ».
Donc soutenir ces femmes sous prétexte qu’il n’y aurait pas un modèle unique d’émancipation – « la femme libérée qui a nécessairement les cheveux à l’air », comme le dit une des jeunes filles – ou encore parce que chacune a le droit de choisir, serait se situer en deçà des réformateurs musulmans de la fin du XIXe siècle qui demandaient, comme Qacem Amin (1865-1908) l’abandon du voile et de la polygamie et l’instruction de la fille comme du garçon. Ce serait aussi se situer à rebours d’un processus de « civilisation des mœurs » (Norbert Elias) qui a permis de commencer à vaincre les préjugés d’un Saint Paul qui prescrivait aux femmes de prier « la tête couverte », avec ces arguments : « l’homme, lui, ne doit pas se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et le reflet de Dieu ; quant à la femme, elle est le reflet de l’homme » (in Epître aux Corinthiens). En cela Saint Paul est fidèle au récit de la création du monde fait dans la Genèse, premier livre de la Bible. Chez les Juifs religieux aussi, les femmes doivent cacher la chevelure ou se raser la tête et porter une perruque. Dans le quartier ultra-orthodoxe Mea Shéarim, à Jérusalem, la tenue des femmes est sévèrement surveillée par « une police de la vertu ». La ségrégation des sexes est générale : files d’attente séparées dans les magasins, les lignes d’autobus, avec les femmes à l’arrière.
Salles Jean-Paul

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