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Le pardon en question

Publié le 25 mai 2010 par Bscnews

Pardon et rédemption - Arnaud Taeron

Savez-vous pardonner ? 

Quelle option choisissez-vous lorsqu'un tiers ose incommoder le courant de l'existence de votre petite personne ? La vendetta cruelle, la loi du Talion impitoyable ou bien la politique de l'autre joue tendue, la culture des bonzais zens, les pâtisseries qui ragaillardissent, le sourire de l'autruche clémente? On a souvent l'idée - héritage biblique - que le pardon est l'apanage du Bon -"héros" que l'on flétrit d'une nuance un peu nouille mais respectable quand même- tandis que la rancune et sa cousine la vengeance, elles, concernent les Méchants - que l'on montre du doigt "bouh bouh" tout en frissonnant d'admiration contrite. Ce sont des clichés réducteurs insupportables et qui reflètent bien l'ascension dangereuse du paraître sur l'être.

 
Entrée des Enfers. Perséphone et son mari Hadès accompagnés de leur toutou impitoyable, l'effrayant Cerbère à trois têtes, accueillent les GM fraîchement vermoulus. Refroidis par l'impassibilité revêche du nocher Charon, sitôt quitté le Styx sinistre, voilà pourtant qu'ils se métamorphosent en bouillonnants plaideurs du forum: chacun essaie de s'accaparer les funestes grâces d'Hadès Le Riche et de gommer ses crimes en amphores de vin.

C'est que l'enjeu est de taille éternelle et d'ailleurs, au-dessus des deux têtes impériales se sont mis à clignoter des panneaux d'affichage mortellement explicites et indiquant les alternatives de leur avenir post-mortem. Un tribunal s'installe sur une planche de bois soutenue par des colonnes. Minos, Eaque et Rhadamanthe, juges attitrés ad mortem eternam, feignent de se sentir concernés par le sort des âmes qui leur font face.

Tous espèrent les Champs Elysées, le printemps éternel à l'ombre d'une verdure luxuriante à trinquer avec les héros. Mais les vols à destination du Paradis sont de plus en plus rarement distribués. Le Tartare fait le dos rond et engloutit chaque nuit de nouveaux prisonniers. Mais on murmure dans les couloirs du Pro-Léthé-re que des plaintes récurrentes se font entendre auprès du syndicat des gardiens : les conditions de travail deviennent épouvantables et le patron s'enrichit à leurs dépens. 

Le sort en est jeté pour le premier appelé à la barre et des frissons parcourent l'assemblée gémissante : le pré de l'Asphodèle lugubre s'apparente pourtant à la punition la moins douloureuse. Le fantôme s'apprête simplement à vivre éternellement une existence morne et insubstantielle ! Le suivant est condamné à bien pire ! Le Tartare promis fait pousser un cri d'horreur à l'inculpé. Il imagine déjà ses premiers pas souffreteux dans cette région aride et sans vie, jonchée d' étangs glacés, de lacs de soufre ou de poix bouillante, où il côtoiera les âmes malhonnêtes, les voyoux d'ici-bas. Les autres répriment l'effroi qui les domine à le suivre dans cet endroit entouré par des fleuves aux eaux boueuses, par des marécages à l’odeur nauséabonde, remparts qui empêchent toute âme d'échapper à sa peine.

Soudain intermède macabre : les Parques s'invitent, précédées des Furies. Rassurez-vous ! Les vieilles fileuses ne sont là qu'à titre décoratif dans le récit, leur rôle en ce lieu est achevé. On sait bien que le troisième âge raffole de la rubrique nécrologique, aussi les Parques ne se lassent pas de compter les têtes qu'elles ont abattues d'un coup de ciseau. D'un rire protéiforme et terrifiant, les Furies haranguent la foule des pénitents - pour lesquels le tribunal a été sans appel - avec des slogans provocateurs : Grande braderie des supplices ! Tartare en folie : venez découvrir nos dernières attractions ! Galère au rocher avec Sisyphe ! Délice de Tantale ! La roue enflammée d'Ixion ! Le tonneau joueur des Danaïdes ! Accréditation presse : consulter Mégère, bureau de droite. Toutes nos promotions sur www.vengeance.com ! Et pour nos grands gagnants de la semaine, adhésion immédiate et gratuite ! Forfait illimité !

Sanglots dans les rangs : c'est que les Bienveillantes exécutent leur rôle avec beaucoup de rigueur et leurs grandes ailes, leurs serpents pour cheveux et le sang qui coule de leurs yeux achève de les rendre antipathiques. C'est alors qu'un silence de mort fait résonner l'immensité noire : une femme chétive s'est approchée du tribunal aux bras de son mari et clame :

- Ne l'envoyez pas dans le Tartare !

Minos, d'humeur affable, répond sèchement : 

- Madame, ce n'est pas à vous d'en décider. Pas de réclamation ici. Et puis, si je puis me permettre une réflexion désagréable, vous avez un couteau dans le dos. Quel précieux mari vous a ainsi parée ?

- Il m'a tuée mais je lui ai pardonné.

- Veuillez m'excuser...?

- Soyez cléments, je vous en prie.

Rhadamante soupire, fait un geste d'abandon à Minos et lui dit en confidence :

- Encore une chrétienne... ça commence à pulluler par ici. Va falloir qu'on agisse avant qu'on nous rencarde au chômage... Vieilles comme le crime qu'elles poursuivent, même les Furies, ministres officielles de la vengeance des dieux, en restent le bec cloué. C'est que le pardon a ses mystères que la vengeance ne connaît pas. 

Le pardon - Arnaud Taeron

 

Qu'est-ce que pardonner ? 

C'est à la fois reconnaître la faiblesse de l'autre, relativiser les erreurs de son humanité défaillante mais aussi ravaler son orgueil blessé et assumer un statut inconfortable de perdant. Pardonner, c'est donner encore quand on a tout perdu : lire Concerto à La Mémoire d'un Ange d'Eric-Emmanuel Schmitt, formidable recueil de paraboles poignantes sur le sujet, ne manquera pas de vous illustrer cette réalité douloureuse. Le pardon est un acte qui demande une force de caractère au delà de l'imaginable, une volonté de fer associée à une bonté exemplaire. Cest un acte compliqué car il est tributaire d'une conjoncture délicate durant laquelle il ne peut pas faire l'économie de l'effort couplé de deux consciences : l'une qui doit effacer l'affront et l'autre qui doit capituler en reconnaissant la médiocrité de ses actes. Oui, le miracle du pardon est la réparation conjointe de deux blessures narcissiques. Faire du tort est inéluctable : c'est un penchant naturel de l'être pour apaiser ses propres terreurs, ses maux intestins, ses hurlements muets ; c'est un moment intempestif où l'on oublie l'Autre que l'on paralyse de nos aigreurs passagères. Aussi, que nous soyons offenseur ou offensé, la vie nous amène malheureusement à accomplir ce "rite" compliqué du pardon.


Comment pardonne-t-on ?

Le pardon est une notion ambivalente parce qu'il s'appuie, communément, sur le présupposé de notre non-liberté d'action. En effet, si nous sommes libres de nos choix et de nos actes, pourquoi serions-nous pardonnables ? Pourquoi pardonnerais-je à X d'avoir agi ainsi contre moi si j'étais entièrement sûre que c'était un acte délibéré pour me faire du mal ? Pour que le pardon soit possible, il faut que je mette en place des raisons qui le déculpabilisent... que je m'arrange dans ma conscience pour me persuader qu'il ne recommencera pas parce qu'il agissait poussé par une force extérieure, la volonté d'un esprit qui s'est déjà transformé et n'existe plus tel quel.

Mais si l'on refuse le déterminisme ? Si l'on pense que l'on est libre d'agir et de faire, comment envisager sereinement le pardon ? Pour excuser, il est plus commode de penser que l'humain est défaillant, que l'erreur est humaine, que l'on a été mal conçu ! Bref, rendre responsable un tiers - la génétique, un dieu, toute substance psychotrope. La maxime "l'erreur est humaine" a donné la possibilité incroyable à l'homme de pouvoir se décharger du poids de ses actes. Est-ce bien ou mal ? Voilà qui serait le sujet d’une dissertation passionnante. Soulignons juste ici que l'homme de bien est celui qui profite de l'aubaine pour ne pas recommencer. Le monstre est celui qui persévère.

Reste une dernière question tout aussi ténébreuse : comment être sûr que l'on a vraiment pardonné?  Comment savoir si le pardon accordé est définitif et irréversible et que le doute et la colère ne reviendront pas empester nos tempes de refrains maudits ? 

En effet, on est forcé de constater qu’un pardon pur ne peut qu’être l'oeuvre d'un être pur et non pas d’un être qui aura simplement refusé de voir l'acte commis, aura joué les aveugles avertis, aura spéculé en espérant que l'avenir lui donnera raison ou aura souhaité une compensation à sa clémence... Alors quoi !? le pardon véritable est-il humainement impossible ? Les mystiques répliqueront que c’est au travers d’une divinité seule que le pardon est pleinement réalisable, les autres seront plus évasifs et discrets parce que... le pardon reste tout de même un sacré mystère.


Si vous m'avez suivi jusqu'à cette ultime ligne, tentez déjà de pardonner ma plume incorrigible qui ne sait pas se tarir.


Bien à vous,


Texte : Julie Cadilhac - Illustrations / Arnaud Taeron


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