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Rigueur, vous avez dit rigueur ?

Publié le 26 mai 2010 par Copeau @Contrepoints
Rigueur, vous avez dit rigueur ?

La France s'engage-t-elle dans la rigueur ? Oui disent les syndicats et les socialistes, puisque les dépenses publiques vont diminuer (ce qui n'a jamais été dit d'ailleurs). Le Premier Ministre dit non : il y aurait rigueur s'il y avait hausse des impôts. Mais en même temps on se propose d'augmenter les « contributions » qui ne seraient pas des impôts ! Nos voisins grecs, espagnols, portugais, italiens sont-ils soumis à la rigueur ? Et le nouveau gouvernement anglais ? Dominique Strauss-Kahn impose-t-il, via le FMI, une super-rigueur aux Roumains ?

En fait tout le monde a tort et raison à la fois, parce qu'il existe une vraie et une fausse rigueur. Augmenter les impôts pour reprendre aux gens ce qu'ils ont gagné par leur mérite, c'est de la fausse rigueur, elle conduit au désastre. Restreindre les dépenses publiques, réduire les déficits et alléger les prélèvements, voici la vraie rigueur. Il faut être rigoureux pour l'Etat, qui vit du revenu des autres, et pas pour ceux qui ont travaillé ou entrepris.

Rigueur monétaire ?

Rappelons d'abord que la rigueur peut-être monétaire ou budgétaire. On oublie que la première rigueur que l'on doit mettre en place, c'est la rigueur monétaire. Si l'offre de monnaie (la masse monétaire en circulation) augmente plus vite que les besoins de l'économie (la demande de monnaie), qui, eux, dépendent de la production d'un pays, du revenu réel à long terme (revenu permanent) qui en découle, cette monnaie supplémentaire ne sera pas conservée par les ménages ; elle sera dépensée, et, comme il n'y a pas eu de création de richesses en face, ce supplément de dépenses n'aura pour effet qu'une hausse de la moyenne des prix, c'est-à-dire une inflation.

La rigueur monétaire, ce n'est pas de raréfier artificiellement la création de monnaie, pour freiner l'économie et pour que chacun se serre la ceinture, mais c'est créer de la monnaie en quantité raisonnable, compte tenu de la croissance possible, et c'est refuser de faire varier cette création au gré de la conjoncture. En clair, c'est une politique d'accroissement modéré et régulier de la masse monétaire, donc d'un même pourcentage chaque année (le k% de Friedman) : assez vite pour ne pas freiner artificiellement l'économie, assez lentement pour ne pas provoquer de l'inflation. La rigueur monétaire signifie donc ne pas se préoccuper de la conjoncture, mais maintenir le cap quoi qu'il arrive, dans un seul but : lutter contre l'inflation.

En gros, c'est ce qui avait été fixé par les traités européens, et imposé à la Banque Centrale Européenne par ses statuts. Mr Trichet et la BCE ont à peu près rempli leur contrat pendant dix ans, malgré quelques manipulations du taux d'intérêt (à cause de la FED), et une inflation qui n'était pas zéro, mais plutôt 2 ou 3%. Cependant le tournant essentiel a été pris la semaine dernière : la BCE a été priée d'envoyer aux orties sa politique de rigueur et a dû commencer à acheter des titres de la dette publique grecque, espagnole, portugaise ou autres : en clair, elle monétise la dette. L'institution la plus stable de la zone euro a perdu toute crédibilité en se pliant aux ukases laxistes des hommes politiques européens. Il n'y a plus de rigueur monétaire en Europe, l'euro plonge et demain nous le paierons par un retour de l'inflation, objectif avoué ou inavoué de nombreux hommes politiques, car l'inflation allège le poids de la dette sur le dos des épargnants, remboursés en monnaie de singe.

Rigueur budgétaire ?

Quand on parle de rigueur dans les médias, on fait plutôt référence à la rigueur budgétaire. Le contraire de la rigueur, c'est le laxisme : l'explosion des déficits (donc de la dette publique) et la dérive des dépenses. Il n'est pas nécessaire de rappeler en détail que lorsque les déficits publics annuels atteignent 10%, voire 12 ou 14% du Pib, on est aux antipodes de la rigueur. Dans certains pays d‘Europe, cela signifie que la moitié des dépenses publiques sont financées à crédit. C'est le laxisme, prélude à la banqueroute, qui entraine une dette publique supérieure à 100% du PIB. Nos hommes politiques les plus lucides s'en inquiètent.

Mais ils auraient dû s'en inquiéter quand ils ont mis en place des politiques keynésiennes de relance, toutes centrées sur la hausse des dépenses publiques et des déficits. Les déficits ne sont pas tombés du ciel. Certes, ils ont été aggravés par la crise et donc la chute des recettes, mais fondamentalement ils ont été voulus par les hommes politiques : pendant des mois ne se sont-ils pas vantés de sauver leur pays grâce à ces politiques de relance ? Maintenant que leurs déficits sont devenus abyssaux, mettant en péril leur capacité de remboursement et même d'emprunt (puisque les taux d'intérêt ont explosé en raison de la prime de risque), voilà que nos pyromanes se transforment en pompiers pour éteindre l'incendie.

Rigueur fiscale ?

Mais nos pompiers pyromanes ont-ils pris la bonne lance à incendie ? Dans beaucoup de cas, ils annoncent diminution des dépenses et hausse des impôts. Or cette deuxième solution ne peut qu'aggraver la situation et constitue une mauvaise rigueur. C'est ainsi que le Portugal a annoncé une hausse de la TVA, de l'impôt sur le revenu et de la taxation des bénéfices des entreprises. En France on se prépare à augmenter certains impôts ou certaines taxes, notamment sur « les plus riches » ou sur « les revenus du capital ». C'est ainsi qu'il est de plus en plus question d'assouplir, de relever, voire de supprimer le bouclier fiscal.

Pourquoi la hausse des impôts est-elle une fausse rigueur ? C'est une rigueur injuste, qui vient frapper ceux qui ont entrepris, produit, créé, travaillé, épargné : quand l'impôt progresse, c'est une atteinte à la propriété de chacun sur les fruits de son activité. C'est une mauvaise rigueur car toute hausse des impôts a un effet démobilisateur (effet Laffer) : qui va travailler si on lui reprend l'essentiel de ce qu'il a gagné ? Donc c'est un mauvais calcul économique. On nous dit que les politiques de rigueur auront un effet récessionniste. C'est vrai s'il s'agit de rigueur fiscale, car plus les impôts grimpent, plus la croissance ralentit. C'est en outre un mauvais calcul, car si la hausse des taux d'imposition ralentit la croissance, elle diminue la matière imposable et les recettes fiscales diminuent aussi : chacun paie plus en pourcentage, mais chacun est moins riche, donc paie finalement moins d'impôt. Résultat prévisible des plans de rigueur par hausse des impôts : une récession plus forte, des déficits plus élevés.

Rigueur dans les dépenses publiques ?

La vraie rigueur budgétaire consiste donc à réduire les dépenses publiques, pour réduire vraiment les déficits. Dans plusieurs cas, c'est ce qui a été annoncé : en Espagne, en Grèce, les salaires des fonctionnaires seront diminués : suppression des 13° et 14° mois, diminution du salaire de 5%, etc. En France, le sujet est tabou et une (légère) revalorisation est même prévue. Certes, on ne remplacera qu'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, mais c'est une goutte d'eau et surtout cette réduction est plus que compensée par les embauches dans les collectivités locales et divers établissements publics.

On nous explique maintenant que cette rigueur (toute relative) des dépenses va accentuer la récession. C'est à nouveau se référer au dogme keynésien. C'est justifier la relance qui nous a conduits au désastre actuel. Les dépenses publiques n'ont jamais engendré ni richesse, ni relance ; elles ne font que ruiner ceux qui les financent aujourd'hui (par l'impôt) ou par la dette (donc l'impôt de demain). En réalité, c'est l'offre qu'il faudrait relancer, en accompagnant cette baisse des dépenses d'une baisse des impôts, pour jouer sur les incitations à produire.

Mais la rigueur n'est-elle pas politiquement impraticable ? N'allons-nous pas assister à une explosion sociale ? Lorsque le FMI (donc D. Strauss-Kahn, qui aura du mal à convaincre du bien fondé de ces politiques ses amis) impose à la Roumanie de réduire de 25% les salaires, de 15% les retraites, de 10% le nombre de fonctionnaires, on peut se poser des questions. Mais l'apparence d'impossibilité vient d'une vision statique des choses : si le rôle de l'Etat reste inchangé, si les services publics restent en l'état, si la protection sociale continue à passer par la Sécu, le problème est insoluble, sauf à ne plus payer les retraités ni les fonctionnaires. Ce qui peut tout régler, c'est de déplacer radicalement la frontière entre secteur privé et secteur public, de privatiser les services publics, la protection sociale, l'éducation, un grand nombre de services fournis par les collectivités locales.

Comment réduire les déficits ? En réduisant les dépenses. Comment rendre supportable cette réduction ? En privatisant. Sinon on se trouve dans une impasse. La véritable rigueur, celle qui permet des créer de vraies richesses, passe par une réforme radicale de l'Etat. Nous ne vivons pas une crise du libéralisme, mais une crise de l'étatisme, donc une crise du socialisme. La vraie rigueur, c'est de rompre avec le socialisme, de gauche ou de droite.

Image : la dépense publique en pourcentage du PIB en Europe. Ratio dépense publique sur PIB par pays en Europe, selon les données les plus récentes d'Eurostat. Légende : marron > 55%, rouge 50-55%, orange 45-50%, jaune 40-45%, vert 35-40%, bleu 30-35%, violet < 30% (non utilisé actuellement). Licence CC, auteur Marc Baronnet

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