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"Ontologie de l'accident" Catherine Malabou

Par Manus

"Ontologie de l'accident" Catherine Malabou

Dans "Ontologie de l'accident", essai sur la plasticité destructrice, éd. Léo Scheer 2009, Catherine Malabou invite le lecteur à l'accompagner dans sa réflexion sur les chocs psychiques et cérébraux, notamment en s'appuyant sur les philosophes ou écrivains tels que Spinoza, Freud, Proust ou encore Duras. 

Catherine Malabou est une philosophe française, et enseignante à l'Université de Paris-X-Nanterre.  Spécialiste de philosophie contemporaine française et allemande, elle s'est intéressée particulièrement à la pensée de Hegel et Heidegger.  

Elle dirige une collection de philosophie aux Editions Léo Scheer et collabore notamment à la revue Lignes. 

Ce remarquable ouvrage décortique les traumatismes - vieillesse, maladie, choc - et les conséquences que ceux-ci engendrent chez l'être, impliquant la découverte d'un changement chez la personne, une transformation de l'identité.

Dans cet essai, l'auteur entend par plasticité destructrice, cette conséquence traumatique "qui ne se répare pas, sans compensations ni cicatrices, qui coupe le fil d'une vie en deux, ou en plusieurs segments qui ne se rencontreront plus."

En s'appuyant sur Freud qui explique la notion de pulsion - "excitation qui ne peut trouver sa décharge à l'extérieur du psychisme et dont il n'est pas possible, de venir à bout par des actions de fuite" - , engendrant la tentative de fuite (qui se forme), Malabou joint son analyse sur la constitution de l'identité "qui se fuit, qui fuit l'impossibilité de se fuir".

"La plasticité destructrice rend possible l'apparition ou la formation de l'altérité là où l'autre manque absolument", ajoute-t-elle.

Ce changement d'identité, cette métamorphose de l'être, appelle irrémédiablement à des questions provenant de l'entourage de la personne, des proches, qui tel l'exemple pris par Deleuze avec Grégoire, incite à la réflexion quant à la douleur, à la souffrance (et en l'absence de celle-ci d'une certaine façon).

Plus loin, Malabou évoque le sujet de la vieillesse - thème ô combien d'actualité au vu de la Pyramide des âges en Europe -, et explique au lecteur, cette évidence, que la vieillesse, est comme un aboutissement naturel, une fin naturelle qui arrive lors du déclin chez l'être.  

C'est dans ce contexte que Marguerite Duras est prise en exemple.  Celle-ci, tel qu'elle le décrit elle-même, a vieilli prématurément.  On retrouve cette réflexion dans "L'Amant", où d'emblée, Duras aborde la description de son visage.

"Tout commence par une rencontre, celle d'un homme dans un aéroport.  Cet homme lui dit : "Je vous connais depuis toujours.  Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j'aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté.""

L'auteur de cet essai, s'interroge à juste titre sur sa surprise de découvrir Duras, jeune, jolie, et toujours à la fleur de l'âge, se transformer en "femme tassée, crapaude, lippue, avec ses grosses lunettes, sa voix éraillée et sa cigarette pendante."

Elle nous explique, que cette transformation fut brutale, et non pas une vieillesse "classique" qui s'étend sur de nombreuses années, habituant l'entourage à l'apparition sporadiques mais régulières de rides.

Ici, Duras a vieilli d'un seul coup.  La transformation fut instantanée.  Un peu comme certaines personnes qui, suite à un choc émotionnel, se réveillent le lendemain avec les cheveux blancs.

Duras dit : "Très vite dans ma vie il a été trop tard.  A dix-huit ans il était déjà trop tard.  Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue.  A dix-huit ans j'ai vieilli.  Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. (...) Ce visage là, nouveau, je l'ai gardé.  Il a été mon visage, il a vieilli encore, bien sûr, mais relativement moins qu'il n'aurait dû.  J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée.  Il ne s'est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite.  J'ai un visage détruit."

Dur d'entendre une femme évoquer de la sorte son vieillissement.  Malabou rebondit sur cet extrait pour nous expliquer que les affres de la vie de Duras (alcool, mort de proches, rupture avec sa famille),  pourtant, ne sont pas les causes de ce changement radical.

C'est à partir de cet exemple que l'auteur nous conduit à réfléchir sur la vieillesse et la mort, et les changements irrémédiables que ceux-ci opèrent chez chacun d'entre-nous.

Après avoir évoqué la vieillesse, Malabou aborde la mort, les morts prématurées, celles naturelles liées à l'âge, d'autres choquantes et révoltantes car survenues inopinément.

"Ce qui s'est produit chez Marguerite Duras, ce soudain affaissement du visage, cette vieillesse précoce, cet accident de vie et de plastique, se produit peut-être aussi, secrètement, à des degrés divers et de différentes manières, chez chacun de nous.  On se forme à la mort.  Ce qui ne signifie justement pas, comme les philosophes nous le font croire, que l'on s'y prépare, que l'on conçoit sa mort comme une oeuvre, que l'on façonne sa finitude. (...)"

Ainsi, dans cet essai, Catherine Malabu tente, avec finesse et intelligence, de répondre à ces questions au fond si simples mais pourtant essentielles : comment expliquer la vieillesse, celle notamment prématurée ?  Comment expliquer les métamorphoses qui transforment les êtres ? Et comme écrirait Robert Maggiori dans le cahier des libres de Libé : "Comment penser l'identité de celui chez qui advient "le plastiquage ontologique et existentiel " de l'identité ?

Panthère.


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