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Nedjma, l'Étoile

Publié le 31 mai 2010 par Desiderio

J'ai eu envie de reprendre un livre de Kateb Yacine que je considère comme un immense écrivain et il m'a paru parler d'aujourd'hui :

Mustapha tourne le dos à Mourad, et s'assied sur un ponton... « Elle était revêtue d'une ample cagoule de soie bleu pâle, comme en portent depuis peu les Marocaines émancipées ; cagoules grotesques ; elles escamotent la poitrine, la taille, les hanches, tombent tout d'une pièce aux chevilles ; pour un peu, elles couvriraient les jambelets d'or massif (la cliente en portait un très fin et très lourd)... Ces cagoules dernier cri ne sont qu'un prétexte pour dégager le visage, en couvrant le corps d'un rempart uniforme, afin de ne pas donner prise aux sarcasmes des puritains... Elle m'a parlé en français. Désir de couper les ponts en me traitant non seulement comme un commissionnaire, mais comme un mécréant, à qui l'on signifie qu'on n'a rien de commun avec lui, évitant de lui parler dans la langue maternelle. Pas voulu que je l'accompagne en tramway... Le couffin n'était pas si lourd... J'aurais pu la suivre jusqu'à la villa, si elle ne m'avait vu au moment de descendre ; du tramway, je l'ai vue gravir un talus, disparaître ; puis mon regard s'est porté au sommet du talus. Elle avait ôté sa cagoule ; je l'aurais reconnue entre toutes les femmes, rien qu'à ses cheveux... » Mustapha interrompt sa rêverie, sans quitter le ponton, le regard attiré par l'eau. La nuit tombe ; Mourad n'a pas fini de parler ; il dit qu'il était le seul des trois à se trouver tantôt à la gare... Voyant Rachid s'approcher à son tour du ponton, Mourad gaffe encore, avec une sorte d'insistance :
— Je ne peux expliquer décidément ce que le voyageur avait de ridicule et d'attristant ; c'était peut-être, comme Mustapha, un collégien en rupture de ban...

Kateb Yacine, Nedjma

Qui est Nedjma, est-elle française ou maghrébine ? Fille d'un pays ou d'un autre ? Le monde a-t-il vraiment changé en soixante ans ? Quels sont les rêves de cette fille et comment ressemble-t-elle tant à la Nadja de Breton ou la Sylvie de Nerval ou à Yvonne de Galais du Grand Meaulnes ? En quoi cet univers nous rappelle-t-il tant de textes classiques, même si l'on parle d'un autre monde culturel apparemment si opposé ? Pourquoi est-ce un texte écrit en français par un Algérien afin de parler de cette réalité étrangère, de l'étranger ou de l'étrangère qui est en nous ? Quel est ce monde de faux-semblants et est-ce que la littérature peut dire le monde avant qu'il ne soit ? Comment dire que c'est un roman français s'inscrivant dans une vieille tradition française et qui pourtant n'a plus comme cadre la vieille France, son Valois, son Paris, sa Beauce ou sa Sologne. Nedjma, c'est le désir et l'interdiction de l'autre.


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