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Requiem pour un con

Publié le 02 juin 2010 par Ruminances

cerveau.jpgJ'ai toujours éprouvé un sentiment bizarre devant les hommages rendus aux morts lors des funérailles. Pire encore quand il s'agit de funérailles nationales. La chose m'a toujours semblé grotesque. C'est toujours sur un militaire ou sur un policier, morts de vieillesse ou dans l'exercice de ses fonctions que l'hommage s'abat.

Les cols blancs se pointent précédés de la faune médiatique, jamais les uns sans les autres. Déroulé de tapis, tribune et mouchoirs. On enduit des tartines glorifiantes à la mémoire de ceux dont plus personne ou presque n'a rien à foutre. Tout ça, non pas pour honorer le disparu, c'est hélas trop tard, mais pour servir, en la perpétuant, la cause qu'il ou elle défendait avec beaucoup de conviction et une grande dose bêtise.

En toute circonstance on défend le système dans lequel le mort s'était moulé une vie durant : rien à gauche, idem à à droite, droit devant !

Mais qui se soucie de la mort du quidam ordinaire ? De ce voisin suspicieux qui observe le passant avec la lorgnette de l'espion ? Celui qu'on voit tous les jours, à qui on dit bonjour ou à qui on fait la gueule ou qu'on envoie caguer à l'occasion ? Qui pour lui rendre l'hommage que le système tout entier lui doit ? Ces anonymes, droits dans le bottes du pouvoir, partis sans mot dire et qui ont leur vie durant défendu le moule étouffant de la non vie, contribuant par la même occasion à empêcher leur prochain d'avoir la vie ou les idées qu'ils souhaitaient, fiers d'avoir cimenter l'édifice de la stupidité nationale.

Aucun hommage, pas le moindre mot de la part des officiels. Ils meurent comme ils ont vécus : connement ! Si au moins ils s'étaient fait sulfater lors d'un cambriolage ! Même pas.

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Marcel Le Gnouf, mon voisin le plus proche, est mort. Il habitait le n°1 de la rue, moi le 3.  Depuis le temps que j'attendais ça, c'est pas trop tôt. Il était con le Marcel ! Con comme un barreau de prison. Tout pareil. Vous pouvez penser qu'il est très vilain de se réjouir de la disparition de son voisin, je m'en fous.

Marcel était un homme de principes. A peine arrivé dans le quartier, il avait tenu à le marquer d'une ligne jaune. Au début, j'ai pensé à un excès de timidité, mais à bien l'observer, j'ai compris que c'était du dur qui nous tombait dessus. Ses principes, il les avait chopés très tôt dans la vie, au contact de son père qui, lui aussi, s'appelait Marcel.

Dès les premiers mots échangés, j'ai su que Marcel et moi, ça ne faisait pas deux. Du tout. Par bribes, dans une langue éructée, il racontait des épisodes de sa vie. Son discours était souvent ponctué de coup de pied au cul, de baffe, de raclée… Chaque anecdote se concluait systématiquement par un hop-la laissant présumer une difficulté majeure à illustrer le propos autrement que par onomatopée. Une jachère, le Marcel.

Il avait commencé à travailler à l'âge où le certificat d'étude lui semblait aussi difficile à obtenir que d'atteindre la constellation d'Orion avec un ULM. Voyant ses notes, son père, guère mieux que lui, lui tartina la trogne à gros coups de paluches, l'attrapa par le colebaque et le déposa chez un artisan maçon pour lui apprendre les manières. Ce dernier, patient, mais pas trop, finit par le gratifier de quelques torgnoles avant de faire un retour à l'envoyeur. Désespéré, son père lâcha prise : « si au moins il avait eu son certificat, aujourd'hui il pourrait avoir la chance d'être flic ! ». La mère de Marcel ne disait jamais un mot. Elle comptait les chiures de mouches sur le plafond du salon.

Petit à petit, Marcel fils s'était fait un trou dans le cahot de la vie. Après pas mal d'échecs, il avait travaillé pendant des années et des années comme manutentionnaire dans une imprimerie normande. Pour sa retraite, il choisit la Bretagne et en Bretagne, mon quartier. C'est la vie. Il avait porté des tonnes de papier qu'il disait. Ses collègues l'avaient surnommé Trombone. Pourquoi ?… Trombone par-ci, Trombone par-là. Cela ne lui plaisait pas, mais il ne disait jamais rien.

Il s'était forgé une pensée qui empruntait au gourdin l'essentiel de ses principes politiques. Il avait pour l'autorité une foi aveugle. Tout ce qui n'était pas droit, il fallait le redresser. Il trouvait que la France n'était pas bien gouvernée. Que les hommes politiques étaient mous du genou. Nos relations ont connu un virage fatidique quand je l'ai surpris à glisser de la propagande du Front Nat dans ma boîte aux lettres. Je l'ai fait patienter quelques instants et suis allé à la maison chercher de l'eau de javel et une éponge. C'est contre les microbes que je lui ai dit et j'ai ajouté : toi t'es un gros microbe. Dégage de ma boite si tu veux pas que je te frotte à la javel. Il m'a gardé rancune jusqu'à sa mort.

Marcel «était un procédurier. Pour un oui, pour un non, il cherchait à porter plainte. Il aimait les pétitions.

A quoi tout cela lui a servi ? A rien. Puisque Sarkozy, pourtant friand d'hommages funéraires, n'a pas daigné lui en rendre un.


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