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Suite de misères

Publié le 05 juin 2010 par Deestar
Suite de misères Assise sur ma table de travail, je regarde la neige tomber par la fenêtre. Ma boite aux lettres indique plusieurs missives non-lues pendant que la messagerie electronique en signale une dizaine.

Tiens, la coordonnatrice de notre programme, Miss Ren, nous a fait un mail.

La fin du premier semestre est prévue pour le 16 janvier...

Un calcul rapide, à cette date, l'hiver sera à son comble, les chinois tous partis pour fêter leur nouvel an, laisseront l'ancienne capitale totalement vide, désœuvrée comme un géant vidé de ses forces. Un part-time job est aussi difficile à trouver que les déchets de serpent. Je sens qu'une fois de plus ce sera la galère totale.

Tiens et si j'en profitais pour retourner pendant un mois au pays? La nostalgie me gagne. Le doux soleil de la grande saison sur ma peau, les bruits des marchés, l'odeur des safous et bananes-plantains cuits sur des braises en bordure de rue envahi déjà mes narines, la joie de la famille retrouvée, les messes, les voyages, les bons mets. Mes parents, plusieurs fois, m'ont promis un voyage pour les vacances; Si je veux vraiment rentrer autant les bousculer un peu. J'offrirais même de payer un voyage: l'aller. Un mail à papa, un coup de fil à maman.
17 janvier Atterrissage à l'aéroport international de Nsimalen, la famille au complet est venue m'accueillir, les enfants ont tous poussé d'une tête et toutes les filles: Nicaise, Leaticia et Loïca préparent les examens officiels. Les effervescences liées à toute rencontre familiale; les embrassades, les appréciations, les critiques, les commentaires, bref tout le tralala des retrouvailles. À la maison, un Ndomba (met fait à l'aide des feuilles flambées de bananes) de poisson m'attend. On dormit tard cette nuit là.

04 février dans la cuisine Dès le lendemain de mon arrivée, elle est venue très tôt le matin, cela m'avait semblé normal. Elle a posé sur moi un regard plein de curiosité et de complexité. Un remue-ménage de réflexions s'était reflété dans ses yeux au vu de mes piercings (l'un au dessus de la lèvre supérieure et l'autre aux sourcils de l'œil gauche). Elle avait contemplé mes ongles manucurés et ma robe de chambre. Elle ne m'avait point adressé la parole.

Je me suis présentée: '' Salut je suis Davine!''

- Je sais! Je suis Yvette.

Pendant les longs jours qui suivirent, une grande amitié se noua entre nous. Tout le monde partait; les parents au boulot, les enfants en classe. La maison ne gardait qu'Yvette et moi. Moi à recevoir les amis et membres de la familles venus voir la Mbenguetaire, à dormir et visionner, elle à faire son boulot.

On causait beaucoup. On riait très souvent. Je lui parlais de ma vie en Chine, de l'idée que se font les asiatiques en général et les chinois en particulier des étrangers. Les rapports entre différentes communautés, de nos embarras, de nos gênes, de nos frustrations, de mon Harbinois. Elle riait beaucoup. Elle semblait être de 5 ou 6 ans mon ainée. Pourtant sa vie avait débuté ailleurs. Elle me parlait de ses deux fils, elle me parlait de sa vie, simple et misérable. Elle me parlait de ses années de mariage et de son époux. Elle me parlait de sa famille, son enfance, son futur, ses projets.

Pourtant une chose restait floue dans ma tête: Pourquoi avoir quitté son foyer?

Elle avait remarqué les nombreux SMS que mon Harbinois et moi nous échangions; elle avait surtout conscience des appels réguliers que j'effectuais. Mes multiples tours au cyber-café ne lui étaient point étrangers; je crois surtout que le rictus qui apparaissait sur son visage était dû aux étoiles dans mes yeux après lecture d'un SMS ou après réception d'un appel de mon...

J'étais là à lui raconter les délicieuses aventures de mon gars et moi lorsqu'elle s'exclama:

- Pourquoi sembles-tu si contente des effets pervers que cet homme procure sur toi?
-…!!!!!

J'étais abasourdie, je ne comprenais pas.

- Mais Yvette, c'est normal de ressentir ces choses lorsqu'on est avec l'être aimé.

- Comment aimer l'homme? Hurla -t-elle plus fort.

Tout son corps était secoué d'une fureur longtemps contenue, ses yeux tels des océans de feu lançaient des éclairs, sa bouche était tordue d'un pli épouvantable et sa main enserrait le pommeau du couteau dont elle se servait un moment encore pour éplucher les oignons. Un long moment s'écoula. Elle affaissa les épaules, regarda par la fenêtre les oiseaux dans le feuillage du grand manguier.

-J'avais près de 7 ans, commença Yvette, ma mère m'avait envoyée au village pour les vacances. Ma grand-mère dont les champs étaient à plusieurs rivières de là me jugeait trop jeune pour pouvoir l'accompagner. Elle partait d'habitude pour des séjours de sept à dix jours. Elle me laissait donc aux bons soins de sa voisine. Celle-ci veillait sur moi autant que ses moyens le lui permettaient. Elle était gentille et généreuse, elle avait plusieurs fils qui jouaient avec d'autres garçons du village, ils m'amenaient souvent avec eux et j'aimais vraiment leur compagnie.

Un jour, ils m'ont comme d'habitude proposé d'aller visiter les alentours d'un avocatier comme cela est de coutume pour ramasser quelques fruits. Là bas j'ai trouvé le feuilles de palmes étalées au sol, ils m'ont demandé de me déshabiller et tous, cinq au total sont...

Lorsque maman vint me chercher, cela était déjà devenu leur plaisir régulier. En ville nous avons déménagé pour un quartier nouveau et le cadre me plaisait beaucoup, il y avait des fleurs et une grande aire de jeux. Nos voisins avaient des filles de ma tranche d'age, Florence et Dora. On a vite sympathisé. Tout serait resté idem si Osva, leur oncle n'était pas venu vivre avec eux. Il était étudiant et offrait à ma mère de m'aider à repasser mes leçons du primaires gratuitement.

Un jour dans ma chambre, alors que j'étais concentrée à faire mes calculs, il plongea sa large main sous ma robe...

Un ruisseau de larmes trouva sa source dans les yeux si adorables d'Yvette. Elle continua.

J'ai commencé à me renfermer sur moi-même, à l'école ce n'était pas non plus la grande forme. Maman travaillait dans une compagnie aérienne qui utilisait le mode de roulement pour son personnel. Elle a fait la connaissance d'un homme bien plus âgé qu'elle et qui promettait de l'épouser. Il aménagea avec nous et chaque fois que maman bossait de nuit, le dégoutant bonhomme me retrouvait dans ma chambre. Il menaçait de me tuer ou m'accuser de manipulation si j'osais dire cela à une tierce personne.

À mes 13 ans, une fièvre typhoïde eu raison de maman. Sa sœur puînée offrit de nous prendre, mon frère et moi. Chez tata Bella, les fins de mois n'étaient point faciles à arrondir, un met décent sur la table relevait d'un défi majeur, les besoins des uns et des autres étaient pris en compte par les principaux concernés. Mon frère arrêta l'école et se lança dans la vie active, faisant ce qu'il trouvait et selon ses capacités. Toutes mes cousines (plus grandes que moi), avaient plusieurs amants qui assuraient leur confort matériel et ravitaillaient même la maison. À mon endroit, les remarques les plus irascibles fusaient.

Revenant d'une balade, la pluie m'avait surprise en chemin. J'essayai de m'abriter sous une toiture vieillotte lorsqu'un garçon m'invitait à m'abriter dans sa cambuse. Le mobilier était beau, l'atmosphère chargée d'odeur d'épices, le cadre agréable. Il m'offrit une tasse de lait chaud. Et plus tard m'invita à me servir à manger, il était un fin cordon bleu, je dois l'admettre. La faim qui me tenaillait eue raison de ma politesse.

Il s'appelait Léon, il était de cinq ans plus âgé que moi, il avait appris la menuiserie et travaillait dans celle qui l'avait formée. Son patron, Monsieur Viva, un homme d'une grandeur d'esprit incomparable avait été plus qu'un père pour lui. Il exprima son besoin de me revoir, je redoutais les hommes, pire je les haïssais tous, sans exception. La pluie tombée, je résolus de ne plus croiser le chemin de ce garçon. Pourtant le manque de confort, la faim et les remarques acerbes me contraignirent à y retourner.

À 17 ans, j'étais enceinte. Il a offert de prendre toutes les responsabilités. À 21 ans, j'étais mariée avec deux fils que j'aimais plus que tout. Mon mari savait être patient, je crois très romantique aussi. Pendant mes grossesses il rapportait fleurs et petits cadeaux. Si les cadeaux me faisaient plaisir, les fleurs, les poèmes et les cartes m'agaçaient. Les plus durs moments étaient nos nuits, je les répugnait, pire, voir les soirées arriver relevait du supplice extrême, je vivais des nuits comme les punitions, sans doute le prix à payer pour le confort dont je bénéficiais. Je préférais parfois passer la nuit au salon, sur la canapé ou à même le sol lorsqu'il insistait trop. La majorité du temps on se bagarrait et c'est après essoufflement que je cédais, c'est bizarre, je ne ressentais aucun plaisir, aucune envie, aucun accomplissement, aucune récompense, aucun effet bénéfique, au contraire je restait avec un gout de souillure, un poids d'avoir accompli un acte répréhensible, intolérable, salissant, condamnable. Je trouvais comme toute excuse la conception, seul bénéfice à reconnaitre à cet acte bestial.

Je crois que Léon m'a vraiment beaucoup aimée. Après plusieurs années de cette vie, il m'a dit plusieurs fois qu'il irait voir ailleurs, je lui ai répondu qu'aucune autre chose ne me ferait plus plaisir. Ses sœurs, sa mère, mes tantes ont tout dit; après ces réunions j'essayais de simuler mais les images trop immondes envahissaient toujours mon esprit déjà tourmenté. Lorsqu'à quatre mois de grossesse, je fis une fausse couche, je décidai de prendre ma vie en main, je ne supporterais plus cette gymnastique nocturne et satanique qui de surcroît ne m'apportait rien. J'ai fais mes bagages et suis partie.

Un long moment s'écoula, Yvette s'assit comme libérée d'un poids qui lui pesait depuis longtemps.

À la place de Davine qu'auriez-vous dit ?




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