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L’Amérique dans tous ses états

Publié le 09 juin 2010 par Savatier

 Voici un livre qui se révélera particulièrement utile à tous ceux qui rêvent de s’embarquer pour les Etats-Unis, qu’ils soient touristes, étudiants, hommes et femmes d’affaires ou candidats à l’expatriation. Ils sont fous ces Américains (Les Carnets de l’info, 176 pages, 14€), sous-titré, non sans humour « guide de premiers secours pour survivre aux USA » est l’œuvre de Tamarik, une franco-ukrainienne qui a étudié à Paris et vient de passer les six dernières années chez l’Oncle Sam.

Cet essai présente un réel intérêt pratique en mettant en lumière, de la manière la plus pragmatique qui soit, les principales différences culturelles qui opposent les deux rives de l’Atlantique. Il apporte en outre au candidat au voyage les conseils qui lui permettront de comprendre un univers différent du sien, tout en évitant de commettre des gaffes inutiles. L’approche ne se veut pas scientifique – on ne trouvera dans aucun chapitre de références aux excellents travaux d’anthropologues ou de sociologues, tels Edward T. Hall ou Gert Hofstede. Elle est essentiellement basée sur l’observation et l’expérience, ce qui ne l’empêche pas, loin s’en faut, de se révéler pertinente. J’ai pu retrouver, au fil des pages, tout à la fois des situations que j’avais personnellement vécues lors de mes multiples séjours aux Etats-Unis et une partie du contenu du cours de relations interculturelles franco-américaines que je donne chaque année à mes étudiants et aux cadres d’entreprises.

Dès les premières lignes, l’auteur apporte une précision capitale : « Les Américains ne sont pas des Européens qui ne parlent que l’anglais, et les Européens ne sont pas des Américains qui parlent des langues étrangères ». Celui qui n’intègrerait pas cette notion, qui ne prendrait pas conscience du gouffre culturel séparant les deux peuples, se réserverait en effet de redoutables déconvenues. De même, imaginer que les Etats-Unis s’apparentent à l’image que le cinéma et les séries télévisées véhiculent serait une grave erreur.

Pour Tamarik, tout commence avec le contenu des bagages du voyageur, ce qu’il faut emporter et… éviter d’emporter, comme les vêtements transparents ou qui découvriraient trop le corps, surtout pour les visiteurs de l’Amérique profonde ultra-puritaine. Les codes vestimentaires sont détaillés, de même que les comportements à adopter, à l’arrivée, pour éviter tout problème au contrôle de l’immigration et à la douane (beaucoup de produits, pour nous courants, sont interdits, là-bas, à l’importation). Viennent ensuite de judicieux avertissements à destination des conducteurs qui envisageraient de se déplacer en voiture, mais aussi sur la nourriture que l’on trouvera sur place, dans les restaurants ou les supermarchés, et sur la pratique des sports, qui devient aujourd’hui une sorte d’obligation sociale.

Sans doute le chapitre intitulé « le choc des cultures » fera s’effondrer bien des illusions, car cet immense pays, que l’on croit souvent à la pointe du modernisme, souffre d’une vétusté chronique de ses infrastructures, depuis les routes mal entretenues et les conduites d’eau antédiluviennes jusqu’à la pauvreté de la couverture du réseau téléphonique portable et la lenteur de l’Internet. A cela, il convient d’ajouter des services publics réduits au minimum. La personnalité de l’Américain moyen est assez bien présentée, entre inaltérable optimisme, paranoïa exacerbée depuis le traumatisme du 11 septembre, conviction messianique de l’absolue supériorité du modèle américain et priorité donnée à l’esprit d’action sur celui d’analyse. Ce dernier point explique pour partie la méfiance qu’éprouvent les Américains envers le monde intellectuel, ou, plus simplement, cultivé. La popularité de Georges W. Bush, avant de s’effondrer pour les raisons que l’on sait, trouvait là une justification non négligeable : il était tout, sauf un intellectuel – la médiocrité de ses discours en faisait foi. Le relatif succès de Sarah Palin répond à des critères similaires. Ce rejet de l’intellectualisme se traduit encore par une absence quasi générale d’humour, surtout si celui-ci fait appel au second degré, à l’autodérision, au non-dit, aux sarcasmes et, pire encore, à la religion, au sexe et à leurs domaines connexes. A titre d’exemple, si une femme « arbore un tatouage de fleurs et de cœurs entrelacés d’un ruban ʺJesus is my loverʺ », il est hautement déconseillé de lui lancer, avec un sourire entendu : « J’espère que votre petit ami n’est pas jaloux… »

A la lecture de cet essai, ceux qui ne connaissent pas encore les Etats-Unis prendront conscience des dimensions paradoxales de ce pays. Ainsi, les Américains se montrent farouchement individualistes (ce que confirment les travaux d’Hofstede), mais cet individualisme n’est guère comparable à celui des Français : « [leur individualisme] est dans le contexte d’un groupe, le nôtre dans le développement d’une personnalité et d’un charme individuel. Nous ʺcultivons notre jardinʺ pour notre plaisir propre, ils cultivent leur compte en banque ou tondent leur pelouse pour montrer à leur communauté combien ils ont réussi. » Cette différence induit d’importantes conséquences : là où nous n’avons cure de ce que pensent nos voisins du mode de vie que nous choisissons, les Américains se trouvent soumis à une pression sociale que l’on ne rencontre que dans les sociétés de culture communautaire (Proche-Orient, Asie, Afrique) où l’individu n’existe qu’en relation avec son groupe de référence. Cette pression les oblige à constamment respecter des règles contraignantes de comportement et des impératifs hygiénistes concernant la pratique d’un sport, d’une religion ou encore – puritanisme oblige – à entretenir un rapport à l’alcool, au tabac et à la sexualité qui relève de la diabolisation. Le fait que certaines communautés chrétiennes qui communient sous les deux formes aient remplacé le vin par du jus de groseille en donnent un exemple aussi consternant que significatif.

Les relations hommes/femmes, très différentes de celles que nous entretenons en Europe, font l’objet d’un intéressant développement. De même, le chapitre 8, dédié au « politiquement correct » sera utile pour éviter de multiples bévues. L’auteur en donne une définition claire : « une obsession nationale qu’il ne faut pas prendre pour la marque d’un esprit ouvert. C’est juste la frilosité d’une société en perpétuelle autocensure » – une notion qui, hélas, envahit et empoisonne progressivement notre propre espace… En illustration du propos, figurent des phrases à éviter ainsi que leur traduction politiquement correcte, dont certaines relèvent, il faut toutefois l’avouer, de la plaisanterie. Ainsi, « Ton mec, il se rase parce qu’il est chauve comme un œuf » deviendra (de manière très lacanienne) : « Ta moitié signifiante aurait-elle des problèmes folliculaires ? »

A noter encore, un chapitre traitant des croyances religieuses, fort utile pour des Français habitués à la laïcité. Car, là encore, l’Amérique apparaît dans tous ses contrastes : chaque année, les universitaires de ce pays obtiennent une large part des prix Nobel, ce qui atteste la haute qualité de la recherche scientifique mais, parallèlement, une forte proportion de la population manifeste des croyances totalement irrationnelles. On apprend ainsi que « 68% pensent qu’anges et démons s’activent quotidiennement sur la planète » et qu’il y a « 30% de chrétiens intégristes qui croient que la Bible est à prendre au pied de la lettre », ce qui explique les délires créationnistes et millénaristes qui fleurissent dans l’ensemble des états. L’auteur aurait tout aussi bien pu évoquer les prédicateurs qui prétendent guérir d’un simple attouchement toutes les maladies, comme le trop célèbre Benny Hinn, et construisent d’immenses fortunes aux dépens des allumés, des gogos et, surtout, de vrais malades à qui ce genre de manipulation (dans tous les sens du terme) peut être fatal.

Elle souligne en revanche le désastre de santé publique dû au puritanisme religieux, surtout auprès des jeunes : « Depuis les années 1980, le gouvernement américain a favorisé l’enseignement de l’abstinence sexuelle. Et malgré les fonds fédéraux alloués, les résultats ne démontrent que l’inexorabilité de l’effervescence hormonale adolescente. […] un quart des filles de quatorze à dix-neuf ans ont une MST […] et un Américain sur six a un herpès génital. Le taux des mères adolescentes est le plus élevé des pays industrialisés. » En réintroduisant l’éducation sexuelle dans les programmes d’enseignement, Barack Obama passe pour un suppôt de Satan auprès des conservateurs, mais cette mesure était nécessaire pour inverser ces tendances inquiétantes, que confirme d’ailleurs le rapport annuel ONUSIDA.

Si Ils sont fous ces Américains sert de guide aux voyageurs (des particularités régionales étant d’ailleurs prises en compte), l’essai pourra intéresser bien d’autres lecteurs désireux, plus simplement, de passer un bon moment. En effet, l’auteur a délibérément choisi de traiter son sujet avec un humour constant, parfois grinçant, voire noir. Sans doute le livre agacera-t-il les inconditionnels des Etats-Unis qui, ne s’y étant jamais rendus, en ont construit une image fantasmée, idéalisée, car ils seront confrontés à des réalités factuelles qui contrarieront leur rêve. Mais, une fois encore, le paradoxe américain s’impose. Jorge Luis Borges voyait dans les Etats-Unis de la seconde moitié du XXe siècle le « royaume de la vulgarité », jugement sévère, mais dans bien des cas parfaitement justifié. Pourtant, certains aspects de la culture américaine sont tout à fait positifs ; ainsi, il n’y a guère que dans ce pays que réside une facilité d’entreprendre et une liberté d’innover qui font trop souvent défaut sur notre vieux continent, par trop frileux dès qu’il s’agit d’encourager les initiatives.

Illustrations : Panneau sur la route 66 - Panneau publicitaire religieux. 


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