Magazine Culture

Gueule de loup - Sarah Cohen-Scali

Par Emmyne

51FsP9YzuoL__SS500_Arthur, neuf ans, est enlevé un soir chez lui alors que ses parents sont absents. Son père, Jean, policier de la brigade des stupéfiants, n'est pas habilité à enquêter sur son kidnapping. Néanmoins, il est prêt à tout pour retrouver son fils sain et sauf. Tout. Mais il est des choses qu'il n'est pas en mesure de prévoir. Le compte à rebours est lancé. Une course contre la montre - contre la mort - commence. Parsemée de dangers, elle mènera Jean jusqu'à une frontière inconnue...

- Editions L'Archipel - Collection Archimystère -

Ce livre relève à la fois du roman noir et du thriller. Et pourtant le rythme est lent, l'intrigue ténue. Il s'agit d'un récit très différent des romans policiers proposés aux adolescents.

Gueule de loup ne raconte pas une enquête, ni même une quête; pas de héros et/ou de narrateur de l'âge de son lectorat. Pas d'aventure, de sentiments à partager. Pas d'empathie. Plutôt de la fascination. Au point que je me suis demandée si ce roman conviendrait à des adolescents. Le thème est fort mais loin de leur univers. C'est celui de la paternité. Le sujet, hélas plus proche, celui de la drogue. Un sujet aux frontières du sujet. Ambigu.

Ce roman raconte le road movie du policier Jean Leroy dont le fils a été kidnappé. Quatrième enfant enlevé, trois corps retrouvés. Bien que divorcé, Jean Leroy vit une relation fusionnelle avec son fils Arthur qui lui voue une admiration exclusive malgré ses méthodes et discours d'éducation très personnels et un sens certain de l'improvisation. Une complicité fraternelle et virile, des mots vrais et directs sans tabou, un amour absolu.

" A part les histoires, il y avait aussi ce que son père appelait " l'éducation à la maison ". Les cours de maths : Deux nombres à apprendre par coeur. Deux. Le reste, on s'en bat l'oeil. Le 17, les flics, et le 18, les pompiers. Les cours d'éducation civique : Une dame plantée sur un trottoir n'attend pas forcément son mari. Un mec, quelque soit sa fonction, directeur d'école ou instit, qui te met la main au zizi, tu lui envoies un coup de pied dans les couilles.[...] Il y avait les " cours de philo " : Quant on meurt, on meurt. Y'a rien après, ni le paradis, ni l'enfer, ni les anges, ni le diable. Et les créatures mythiques, à part dans les livres, y'en a pas. Que dalle. A commencer par le Père Noël. Si t'as envie d'un cadeau, tu demandes et on négocie le deal. "

Lors de l'enlèvement de son fils, Jean avale par erreur un comprimé contenant une drogue de substitution expérimentale qui lui donne des hallucinations. De terribles hallucinations qui l'orientent sur la piste du kidnappeur, des visions comme télépathiques. Jean rejoint Djamel l'étudiant à qui il a confisqué la drogue afin d'en savoir plus, d'en prendre plus aussi. Flirtant avec la démence, il s'accroche à l'espoir que cette substance agit sur ce que le jeune homme appelle " le cerveau des émotions ", lui permettant ainsi d'établir un lien avec son fils, de ressentir ce qu'il subit, d'appréhender son environnement. Des blessures apparaissent sur le corps de Jean. Automutilation ? Il est assailli de souvenirs qu'il s'efforce de déchiffrer. Pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre ? Quelle " correspondance " est en jeu ? En jeu, sa vie. La drogue qu'il absorbe le détruit aussi sûrement que de savoir son fils aux mains d'un tueur d'enfant. Gueule de loup, c'est autant le récit d'un sacrifice par amour que celui de la dépendance, des effets secondaires, des crises de manque et des délires que l'on fantasme sur une drogue. Une folie et un cauchemar. Etouffant. Angoissant aussi. Jean Leroy est victime d'amnésie. Des heures disparues, des failles temporelles qui accentuent cette inévitable perte des repères et le paradoxe entre ce temps qui s'étire et la tension de l'urgence.

Ce roman n'est pas un réquisitoire contre la prise de drogue. Il est plus dense. Et border-line. La substance médicale consommée dans ce livre n'a aucune existence officielle.  On découvre que son expérimentation sur des personnes est illégale. Pourtant Jean poursuit les prises, parce qu'il aime son fils, encore et encore sans limite de dose et de délai parce que la dernière lui permet de le prendre dans ses bras pour l'arracher à la séquestration, pour l'emmener loin de la souffrance, pour le ramener à sa mère.

A l'épilogue, Jean est dans le coma. Nul se sait s'il reviendra. Mais ce que sait Djamel, c'est qu'avec un seul de ces comprimés, Jean pourrait partir, ne pas être condamné à une vie sous tubes...

Un roman aussi fort que la relation qui unit l'homme et l'enfant, émotionnellement prenant, dérangeant.

C'est pourquoi je réponds oui, il conviendra aux jeunes lecteurs à partir de 15 ans. Justement pour ses questions sans réponse. Parce que la discussion, la réflexion, viendront après la lecture. Parce que quand ça frappe à la tête et au coeur, c'est l'effet d'une excellente littérature pour adolescent.

*

De Sarah Cohen-Scali sur ce blog une anthologie vampirique : Les dents de la nuit

*


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Emmyne 573 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines