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"Le marché des designer toys", bonus n°2 : entretien avec Rolito

Publié le 11 juin 2010 par Blogcoolstuff
marché designer toys
Le lecteur de Some Cool Stuff connaît sans doute mon goût pour le travail de Rolito (voir notamment un précédent entretien que m'avait accordé l'artiste lillois à l'occasion de la sortie du second volume du jeu "Patapon"). Ce n'est pourtant pas uniquement cette subjective inclination qui m'a incité à me tourner une nouvelle fois vers lui quand il m'a fallu réunir les informations nécessaires à l'élaboration du papier pour Etapes:. En effet, qui mieux que lui pouvait tout aussi bien décrire les débuts de l'industrie du toy design que sa situation actuelle ou encore évoquer le fonctionnement des géants asiatiques d'une part et l'expérience de l'auto-production d'autre part ?
Tu es un graphiste et un artiste dont l'univers se développe depuis de nombreuses années sur tout type de supports. D'une manière générale, qu'est-ce que ça représente de spécifique pour toi de voir ton monde prendre corps en 3D ?C'est un peu un mélange d'excitation presque enfantine et l'accomplissement d'un rêve. Je crée beaucoup de personnages, le character design a une place prépondérante dans mon travail et les jouets de mon enfance y sont pour beaucoup.Je "collectionne" aussi, même si le terme "collectionner" n'est pas vraiment approprié : je ne suis pas un complétiste, je fonctionne plutôt au coup de coeur, mes goûts étant plutôt éclectiques, allant du jouet mainstream - Lego, Candy toys japonais, etc - au "designer toys", comme les productions de Michael Lau, Devilrobots...
Tu as été un des premiers français à participer activement à l'univers du jouet d'artiste, en tant qu'artiste mais aussi au travers de ta participation à Toy2R. Pourrais tu décrire comment ça fonctionnait alors une boîte comme Toy2R ? Je veux dire notamment quel type de deal était proposé aux artistes dont un modèle de jouet était produit ? Ma première incursion dans le monde du "toy design" s'est faite par le biais de Raymond, président de Toy2R. Nous nous sommes rencontré en 2002 dans son toy shop de Kowloon. A cette époque, Hong Kong était en quelque sorte l'eldorado du toys, avec des "personnalités" comme Michael Lau, Eric So, des événements comme le Toycon, des magazines dédiés, etc...Pendant cette première rencontre, Raymond et moi avons discuté de toys dans nos anglais approximatifs. Nous étions dans son shop, entouré d'une multitude de jouets, c'était un peu la caverne d'Ali Baba, mes yeux brillaient... Il a découvert mon travail grâce à mon site et m'a de suite proposé de créer mon propre jouet.Contractuellement c'était un peu informel. J'étais salarié à l'époque et les considérations financières m'importaient peu. Je n'étais animé que par mon envie et ma passion. A vrai dire, je ne voyais qu'une chose à savoir la possibilité de faire ce dont j'avais longtemps rêvé : créer des jouets.Il y a pour moi quelque chose de vraiment magique là dedans. Ce n'est pas juste un énième support lambda, c'est une véritable passerelle entre mon enfance et ma vie actuelle de créateur. Il y avait aussi une sorte de transgression très jouissive dans le fait de sortir du pur produit dérivé qu'est généralement le jouet pour en faire un réel moyen d'expression.En ce qui concerne les royalties, je n'ai plus vraiment les chiffres en tête. Nous étions partis sur un montant par exemplaires qui devait correspondre à quelque chose entre 8 et 12 % du prix wholesale selon le projet.Pour moi, les vrais avantages de ces projets avec Toy2R c'était bien entendu la création des jouets elle-même mais aussi les déplacements en Asie (Singapour, Hong Kong, Taiwan, Japon) ainsi que les nombreuses rencontres liées à ces projets (Jaime Hayon, Devilrobots, Dalek pour ne citer qu'eux). sans oublier les nombreux "cadeaux".... Pour un fan de jouets comme moi, je trouvais plus d'intérêts à recevoir des tonnes de toys plutôt qu'un gros chèque...De toute manière le calcul est vite fait : les royalties sur un jouet limité à 500 exemplaires ne font pas de toi un homme riche. Ca couvre à peine le temps de recherche, le design, le travail sur le packaging, etc... Pour moi ce n'est vraiment pas une source de revenu faramineuse... Dans la grande majorité des cas, pour véritablement gagner de l'argent, il faut soit être producteur, soit détaillant... Ou alors être très "côté" - doué en fait - comme Kaws... ou hyper productif comme Kozik.L'idéal c'est d'allier les deux : être créateur et produire soi-même, à l'intar de Michael Lau ou Ashley Wood. Mais il faut être conscient des risques que l'on prend, autant du point de vue de l'energie déployée que de l'investissement financier, et surtout savoir s'entourer.
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Tu as participé à des séries collectives de minis mais tu as aussi eu la possibilité de t'exprimer sur des pièces spécifiques et plus importantes et pour lesquels l'identité de l'artiste est mise en avant afin de valoriser le jouet. En terme de négociations, de royalties et ce genre de chose, qu'est-ce que cela change ?
Pour être honnête la série collective n'est pas vraiment un exercice que j'adore. J'ai commencé par participer à une série collective (sur un même support) de Toy2R en attendant que mon propre jouet voit enfin le jour. Evidemment, à ce moment là, j'étais vraiment super excité de participer : mes premiers pas dans cet univers! Mais peu à peu, j'ai compris que mon envie était de créer mes propres formes et de ne pas forcément "poser" mon design jusquà l'écoeurement sur tous les supports possibles et imaginables !Pour ce genre de cas de figure, le pourcentage peut varier. Je me souviens que pour un projet j'avais touché 1000 dollars US, pour un autre un 5% du prix wholesale, pour un autre encore 10% plus des "samples".Je ne suis certainement pas le bon exemple, c'est ma passion qui prenait le pas sur les questions financières et puis l'époque aussi : il y avait alors beacoup moins de projets toys liés au monde du "designer toys". Aujourd'hui, c'est beaucoup plus formaté, courant, voir presque anodin.
Beaucoup plus récemment tu as eu l'occasion de dessiner deux modèles de Be@rbrick Patapon pour Medicom. Etait-ce foncièrement différent comme mode opératoire par rapport à l'époque des début du mouvement chez Toy2r ?Effectivement ça fait une grande différence ! Je suis depuis longtemps en contact avec Ryu, le président de Medicom. Pour plusieurs raisons - notamment du fait de mes rapports avec Toy2R - nous n'avions pas pu travailler ensemble avant.Personnellement, concernant ces projets que tu évoques, je n'étais impliqué que dans la création. C'est mon agent qui s'est logiquement occupé de la partie contractuelle.Contrairement à mon travail avec Toy2R (avec qui je n'avais pas vraiment de contrat), Patapon est une licence, donc tout à été très carré en terme de contrat et d'achat de licence. Pour faire simple Medicom a acheté la licence et m'a ensuite versé un pourcentage sur les ventes. Il me semble que c'est entre 3 et 5% si mes souvenirs sont bons.Il peut également arriver que l'on soit rémunéré pour la création du packaging.Medicom est une société qui mise sur son exigence en terme de choix, de qualité et d'innovation, il était donc tout naturel que les contrats soient très bien ficelés. Ceci étant dit, travailler avec Medicom sur un Be@rbrick était un rêve, donc peu importait si c'était très rémunérateur ou pas.
Quel type de rémunération l'artiste est-il en droit d'espérer quand il voit un de ses jouets produit ? Des royaltie. Mais sur des séries limitées, vendues à des prix raisonnables, on ne peut donc pas véritablement gagner beaucoup d'argent. Ensuite tu as tes exemplaires que tu peux vendre toi-même : c'est déjà plus intéréssant.Tu peux également dealer avec le producteur pour avoir ta propre série limitée en exclusivité que tu peux également vendre toi-même.Les mini series peuvent être plus rémunératrices, à la fois pour l'artiste (il y a beaucoup plus d'exemplaires en jeu) et pour le producteur (petits prix, blind box avec versions "secrètes", etc... ). Il y en d'ailleurs de plus en plus... En revanche, tu gagnes énormément en terme d'exposition. A plus forte raison si le projet est une réussite.Beaucoup d'artistes se sont construit une image et ont bénéficié d'une exposition particulière en participant à de nombreuses séries collectives et à des multitudes d'expositions de DIY. Je pense que ça a été un tremplin intéréssant pour certain. C'est peut-être moins le cas aujourd'hui : faire un jouet ou participer à une série est beaucoup plus commun.
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Tes deals avec les différents producteurs de jouets avec lesquels tu as travaillé ont été de quel type ? Genre on se tape dans la main et c'est parti ou alors il y a négociation et contrat ?
Avec Toy2R c'étais plutôt très informel, un peu trop parfois : pas de contrat, impossible de fixer une date précise sur la sortie, des retards de plusieurs mois (cf la mini serie Rolitoland Safari). Parfois aussi des problèmes en terme de qualité, suite à un changement d'usine intempestif... Sans parler des soucis sur la manière de communiquer, sur les choix artistiques. Mais j'ai une tendresse particulière pour cette époque de ma vie, un peu foutraque mais tellement excitante !Avec Medicom tout est plus rigoureux, là aussi peut-être trop parfois !
Pour finir, pourquoi être passé à l'auto-production et avoir créé Black Polito ?Pendant longtemps j'ai eu de multiples propositions de différentes boîtes ( Kidrobot, Play Imaginative, Red Magic, etc...) pour créer un jouet. Malheureusement, à chaque fois, on m'a systématiquement demandé de faire une nouvelle version du Rolitoboy. C'était soit une mini série, soit un gros rotocaste avec peu de pièces... Il n'y avait pas beaucoup de place pour des projets hybrides.Je suis conscient que la viabilité d'un projet passe aussi par les considérations financières, mais là ça prenait vraiment le pas sur la création. Je me retrouvais systématiquement dans un cadre un peu étriqué qui ne me plaisait pas. J'ai donc mis de côté ces propositions.J'avais déjà goûté à la production avec le Rolitoboy Ninja Tune. A l'époque, Toy2R ne voulait pas trop se mouiller, en particulier pour la production du CD avec le remix de Dj Food accompagnant le jouet. J'avais donc décidé de le produire moi-même en y investissant mes petites économies. Evidemment beaucoup de problèmes à régler, pas d'infrastructure, aucune distribution... Je me suis heurté à tous ces problèmes, sans tous les résoudre d'ailleurs... Mais ça m'a vraiment donné l'envie d'aller vers l'auto production. Etre "indépendant" est important dans mon travail, prendre un peu plus de risques, mener le projet de bout en bout. Vendre moi-même le Black Polito m'a permis de m'affranchir des réseaux de distributions, j'ai ainsi pu rentabiliser le projet et le commercialiser sans multiplier les marges (distributeur, revendeur...).Ce projet est très important pour moi : c'est le croisement d'une histoire d'amour avec le Japon et ma passion pour les jouets. Je voulais absolument travailler ce projet dans la pure tradition japonaise, et le produire là-bas. Les usines qui produisent les Sofubi ont un côté très "artisanal" qu'on pourrait rapprocher, d'une certaine manière, à l'artisanat ancien. A tel point que cette industrie est aujourd'hui presque menacée. De moins en moins de gens veulent reprendre ces usines et le personnel est vieillissant.J'aime la manière dont le Japon appréhende l'univers du character design et plus particulièrement le toy design. Je me sens plus proche des productions japonaises que des productions occidentales. Les productions américaines et européennes manquent un peu d'âme à mon sens... Je ne me l'explique pas... et bien entendu ça n'engage que moi !



Toutes les photos illustrant cet entretien sont de Hadrien Dastugue / AltS. Un grand merci à lui.

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