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40. Une colocation qui roule

Publié le 23 mai 2010 par Melaniepiqpiq
Un Japonais, une Allemande et une Française dans un camping car. Il n'y a pas si longtemps, on n'aurait pas donné cher de ma peau.
Les temps ont changé. Aujourd'hui, c'est l'entente plus que cordiale.
Notre Japonais de service est la politesse incarnée et la gentlemanerie en personne. Parfois, c'est un peu difficile de savoir ce qu'il veut et pense vraiment, et nous nous demandons même si ce n'est pas par pure politesse qu'il nous accompagne dans notre virée. Comme il nous a été fourni sans mode d'emploi, c'est avec le temps que nous avons appris à décoder ses réponses et à en saisir les subtiles nuances.
« It's OK! » est sa réplique préférée (sans exagérer, on l'entend une cinquantaine de fois par jour).
Une variante à peu près aussi fréquente: «  it's all right ».
Je les prenais pour des parfaits synonymes mais il y a une légère nuance: « all right » exprime légèrement plus d'enthousiasme/de satisfaction que « OK ». Je lui ai posé la question pour en avoir le cœur net et il a confirmé.
Ensuite, il y a « It's not too bad ». Là il faut commencer à se méfier, ça pourrait vouloir dire qu'il n'est pas d'accord ou n'aime pas.
Et quand il hésite avant de répondre « it's all right » or « it's OK » or whatever, ça ne peut pas être plus clair: il n'est pas emballé du tout.
Bref, c'est le roi de l'euphémisme.
Prenons deux exemples:
« Nori, are you hungry? »
S'il répond « No, it's all right! », c'est qu'il n'a vraiment pas faim.
« It's OK! »peut être l'indice d'une faim légère mais soutenable.
« Yes, a little bit »indique qu'il n'est pas loin de tomber d'inanition.
Deuxième exemple: « Nori, how is your hamburger? »
« It's all right » = c'est bon
« It's OK » = j'ai vu mieux
« It's not that bad »= c'est vraiment pas terrible
Une hésitation+réponse quelle qu'elle soit = c'est absolument imbouffable ce truc
Une autre de ses caractéristiques, c'est qu'il passe ses journées à s'excuser pour tout et n'importe quoi (même quand c'est notre faute à nous ou celle de personne), ce qui est un passe-temps comme un autre, remarquez. Nous prenons un malin plaisir à l'embêter avec ça. S'il pleut ou s'il y a un bouchon, nous nous exclamons en cœur: « I hope you feel sorry! ».
Il a toujours peur de mal faire alors que je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi attentionné.
Vous allez certainement croire que j'ai enjolivé les exemples suivants alors que ce n'est que la pure vérité.
Il se réveille avant nous: il sort à pas de loup pour nous laisser ronfler à loisir jusqu'à pas d'heure après nous avoir rajouté à chacune une de ses couvertures (heureusement pour lui, l'heure de check out des campings met des limites à notre marmotterie ou plutôt devrais-je dire à notre koalaterie)
On est encore en train d'émerger que le café est déjà servi.
On va se doucher: les pancakes sont prêts à notre retour.
On laisse échapper un « I look like shit today » en se regardant dans la glace au réveil, la réaction est immédiate « You're always beautiful » ou « You look gorgeous ». On l'a traumatisé le premier jour (les pestes...) en le traitant de goujat quand il a dit à Anke « You look like you just woke up »(elle venait en effet de ronfler 1h à l'arrière du camping car). Depuis, il nous complimente prophylactiquement à peu près 10 fois par jour.
J'éternue une fois: il me propose des antihistaminiques (help Schwester, comment ça s'écrit?!).
Je dis que j'aime bien nager: il se met immédiatement à la recherche d'une plage.
Je frissonne un peu: il vide sa valise pour me tendre le plus vite possible son tee-shirt thermoactil en laine de mérino.
Je me plains de ma crème solaire qui me dessèche les jambes: il dégaine sa précieuse crème hydratante pour le visage et m'enjoins de vider le tube.
On fait part de notre envie d'ajouter un peu de vert à nos repas: il court dévaliser le premier maraîcher(résultat on a 2 kilos de céleri qui moisissent dans le placard)
Du coup, on réfléchit à deux fois avant d'ouvrir la bouche.
En gentleman qui se respecte, il nous a bien roulées dans la farine en nous faisant croire qu'il allait nous laisser payer la bouffe en contrepartie de la location du camping car. Quand on a essayé de lui payer le premier resto, il a poussé les hauts cris: « par bouffe, je voulais dire les courses! »
Mon œil...le lendemain , il ne nous a pas laissées les payer... parce qu'on avait pris en charge la moitié de l'addition du resto.
Si on ne résistait pas, il nous payerait absolument tout, sous le prétexte que « you have to keep your money for the rest of the trip »
Nous avons donc déployé toute notre ingéniosité pour mettre au point quelques tactiques nous permettant de participer aux frais.
La première consiste à courir plus vite que lui. Ça marche surtout dans les stations service pour le règlement des pleins d'essence. La première victoire d'Anke la semaine dernière a traumatisé ce pauvre Nori qui avait peur qu'on le prenne pour un « rude bastard » (je cite).
La deuxième tactique est plus radicale: au moment où Nori s'apprête à payer, l'une lui prend le porte-monnaie des mains et s'enfuit en courant, tandis que l'autre en profite pour dégainer son porte-monnaie et régler la facture. Ça déstabilise le commerçant, mais c'est efficace.
Troisième tactique: la persuasion par la parole. On progresse lentement, mais il y a encore du chemin à faire. Ce soir encore, alors qu'il venait de nous inviter à dîner, il nous a chaleureusement remerciées pour la 20e fois environ pour le lunch qu'on a réussi à lui payer il y a 3 jours...
Le seule moment où nous l'avons vu perdre son calme olympien et sa patience angélique, c'est quand le distributeur lui a avalé sa carte de crédit sans aucune raison... Malgré notre immédiate proposition de lui PRÊTER de l'argent (nous n'avons pas parlé de donner, il aurait fait un ulcère sur place), il n'a retrouvé le sourire et la sérénité que lorsqu'il a eu la confirmation qu'il avait encore de l'argent sur le compte qui alimente sa 2e carte de crédit. Sauvé.
Je termine avec une photo très représentative qui me permet en même temps de vous montrer notre maison temporaire:
40. Une colocation qui roulevoici le monstre... Le camping car, pas ce bon Niro qui descend avec le café et le jus d'orange... Notez en bas à droite une partie des jambes d'Anke qui attend comme une pachate.
Nori, on se moque... mais on t'adore! Surtout, ne change pas!

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