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Interview : Kim Chapiron raconte "Dog Pound" !

Par Dime

Interview Chapiron raconte Enola Vale. Prison pour mineurs. Violence froide, implaccable. Destins fragiles d'adolescents à fleur de peau. C'est en somme le menu de "Dog Pound", deuxième long métrage de Kim Chapiron, qui avait créé une véritable polémique en 2005 avec "Sheitan". Tout juste auréolé d'un beau succès au prestigieux festival de Tribeca avec le prix du meilleur jeune réalisateur, le cofondateur du collectif Kourtrajmé s'est confié à toutlecinema. Accessible et sympathique, Kim Chapiron vous ouvre les portes de sa prison à partir du 23 juin. Rencontre choc avec un cinéaste sur qui il faudra désormais compter ! 

Kim Chapiron s'adresse à vous !

Toutlecinema : Quelle a été ta première réaction lorsque le producteur George Bermann t’a parlé du sujet ?

Kim Chapiron : Ce sujet me touche beaucoup. Les jeunes, l’adolescence, cet âge fragile, nerveux, où l’on veut tout changer, où l’on s’étonne de tout... C’est un âge qui me parle. Je prends toujours autant de plaisir à visionner des films sur l’adolescence. Avec "Dog Pound", nous avons affaire à une adolescence à fleur de peau, dans un autre continent. C’était donc l’aventure totale pour moi !

Interview Chapiron raconte
Le milieu carcéral au cinéma, c’est quelque chose qui t’intéressait dans l’absolu ?

Je connaissais assez peu le milieu de la prison mais l’association ARAC m’a permis d’y mettre un pied juste après "Sheitan". Grâce à elle, j’ai projeté mon premier film à Fleury-Mérogis, la plus grande prison d’Europe, à la Maison d’Arrêt pour les Femmes (MAF) et dans d’autres établissements pénitentiaires. Ce bref contact avec le milieu carcéral m’avait sensibilisé de manière forte. A l’exception de ces expériences, je n’avais aucune raison de faire un film sur la prison. J’ai donc dit à George Bermann que ce sujet était bien trop fragile et grave pour que je débarque de nulle part. J’ai alors passé une année à sillonner les prisons juvéniles américaines aux côtés de mon coscénariste, Jérémie Delon.

Comment s’est déroulé ce voyage à travers les USA ? Cela s’est fait à l’arrache ou de manière structurée ?

C’était très structuré. Le voyage devait nous confronter à cette réalité. Il nous fallait la sentir afin de la retranscrire le plus fidèlement possible. Mon coscénariste, qui vit à New York, et moi-même avons choisi de nous orienter vers le Midwest des Etats-Unis afin d’éviter de faire un énième film de prison sur les côtes Ouest ou Est. Nous avons choisi l’Amérique profonde. C’est encore un sujet que je trouve magnifique. 

Comment les prisonniers réagissaient-ils aux questions posées ?

Nous avons travaillé dans la transparence. Nous sommes arrivés sans démarche sociale. Nous n’étions ni psychologues ni éducateurs. J’insiste sur le fait que le film ne s’inscrit absolument pas dans une démarche sociale. Cela serait tellement déplacé de ma part dans la mesure où j’ai rencontré des gens engagés, qui travaillent au plus près des détenus. Ma démarche est avant tout artistique. Quand je parlais du projet aux détenus, ils étaient intéressés mais aussi excités à l’idée de voir, d’une certaine manière, leurs histoires transposées sur grand écran. Ceci dit, ils étaient aussi très étonnés d’avoir de la visite, eux qui n’en reçoivent que très peu. 

Enola Vale est-elle une vraie prison ?

Non. Ce nom rend hommage aux différentes réserves indiennes qu’on a visitées durant nos recherches. Enola signifie "solitude" dans un des dialectes indiens. Associé à vale, on obtient "la vallée de la solitude".

Interview Chapiron raconte
Comment as-tu bâti les personnages ?

Les personnages de "Dog Pound" sont vraiment un mélange d’inspirations du réel, de nos différentes recherches effectuées dans les prisons, mais aussi d’inspirations purement cinématographiques. Un film comme "Scum" d’Alan Clarke, que m’a présenté George Bermann, m’a inspiré. "Sa majesté des mouches" ou dans un autre registre "L’enfance nue" de Maurice Pialat sont également des influences importantes pour ce film. Les longs métrages qui scannent cette jeunesse confrontée à elle-même m’interpellent considérablement. Autrement, l’exercice consistant à se servir de la réalité pour illustrer un film me plait. J’aime quand mes comédiens puisent dans leur vécu pour étoffer leurs prestations.  

Un mot sur Adam Butcher, la révélation du film, qui a remplacé in extremis le chanteur K’naan à qui devait revenir le rôle-titre ?

Adam Butcher, c’est de la folie totale. Tous les jours, j’étais soufflé par sa prestation, par l’intensité de son jeu et par toutes les idées qu’il propose. Son implication physique était impressionnante. Il s’est explosé les poignets, les mains, il s’est tout éclaté. Je pousse toujours les acteurs jusqu’au bout notamment dans les scènes de violence. Adam est un acteur généreux, qui se donne à 100%. Il a d’ailleurs trouvé le moyen d’aller deux fois en garde à vue pendant le tournage. La production a du le chercher devant le tribunal.  

Ton travail sur les personnages est empreint de sensibilité. Ceci dit, n’as-tu pas peur que le public ne retienne que la violence du film ?

Heureusement, pour l’instant, comme en attestent les projections qui ont été faites, ils ne retiennent pas que la violence. Mais je pense que c’est bien de ressentir les deux.

Peux-tu comprendre que certaines personnes soient gênées en s’attachant à des personnages assez violents, qui ont commis des délits parfois graves ?

Bien entendu. Mais pour moi, la violence est tellement dans l’air du temps. C’est une note que l’on entend partout en ce moment. Faire un film sur la violence, c’est aussi faire un film qui raconte notre époque. Je fais partie de cette génération extrêmement et tristement lucide qui s’oppose à celle de nos parents qui était beaucoup plus portée par l’utopie.

Quelle est la pire remarque que l’on puisse te formuler sur "Dog Pound" ?

Avec "Sheitan", j’ai vécu un festival d’agressions. Je me suis pris des coups de batte de base-ball par les critiques. Cela m’a rendu assez solide. Par le biais de Kourtrajmé (ndlr : collectif d’artistes qu’il a cofondé avec Romain Gavras), nous avons réalisé plusieurs courts métrages et clips sur des sujets sensibles qui déclenchaient aussi des réactions très fortes. Je suis donc vacciné contre les critiques acerbes ! Je pense qu’au final, c’est quand même très sain de réagir devant un film, même violemment.

Comment définirais-tu le message principal de ce film ?

Je parlerais plus de témoignage. "Dog Pound" est un témoignage sur la vie, le parcours de trois jeunes pris au hasard, trois destins extrêmement fragiles dans un lieu ultra violent.    

La concision du film, qui fait aussi sa force, est-elle un choix artistique ou une contrainte liée au budget ?

Un choix artistique. C’est le luxe d’avoir une coproduction européenne. J’ai eu la chance d’avoir le final cut. A aucun moment, j’ai senti poindre sur moi des consignes. Pas une seule scène n’a été retirée.

Va-t-il sortir aux Etats-Unis ?

Oui, notre distributeur s’appelle Elephant Eye et s’est occupé récemment de la sortie de "Precious". C’est une belle écurie, ils aiment beaucoup le film qu’ils ont acheté il y a quelques semaines à Cannes. J’ai hâte de vivre la sortie américaine, ça va être quelque chose d’assez fort. A ce propos, c’était déjà génial de voir la réaction du public américain à Tribeca.

D’ailleurs ton prix au festival de Tribeca (ndlr : meilleur jeune réalisateur) a-t-il déjà eu des répercussions sur toi ou sur le film ?

Le prix a conforté les distributeurs internationaux dans leur désir d’acheter le film. Du coup, plusieurs ventes se sont déclenchées. Robert de Niro (ndlr : fondateur du festival) a vu le film. Il l’a beaucoup aimé et m’a posé plein de questions sur la mise en scène. J’étais vraiment tout chose.

 

De bon augure alors !

Oui, j’espère.


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