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Publié le 11 décembre 2007 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 97 bis

La ripe

Toi qui m’endormis au plus vif
Mon étoile effleurée à lisser
La poudre remuante où tes sœurs
Rompues d’univers en lumière
Se couvrent au levant des songes
Je repasse au sillon ouvert

Matin d’année au mur des sons
Tranché d’un soc éblouissant
J’ordonne au glacier du langage
L’ardeur du feu qui me calcine
Jusqu’au tison grisant des fusées
Germant sous la brume de cendres

Tu répètes l’arbre énoncé
Tu crèves l’oubli sous l’écharde
Tu broies les maillons des mots
Tu réfléchis au miroir les dons
Multipliés par l’éclat des parois
Tu fronces l’ample mur crissant

La ripe que je suis devenu
Gratte le faible friable carreau
Planissant la poussière emportée
Au comble des reflets qui fulminent
D’avoir assez râpé de frissons
Si ne m’écorche plus la vie

Rien n’est donné sans égards.

.
Edmond Humeau (Saint-Florent-le-Vieil 1907 – Vanves 1998). Poème daté de décembre 1949 et publié in La Tour de Feu n° 32-33, printemps-été 1950.

Humeau fit déjà l’objet d’une chronique ici même (Poésie du samedi 69, janvier 2007). Le village du Castellet d’Oraison, où il avait une maison surnommée « l’Humeaudière » et où il écrivit une grande partie de son œuvre et où il repose, lui a rendu un bel hommage le 18 août (une sacrée date !) dernier pour le centenaire de sa naissance, mais je ne l’ai pas su alors. La ripe est un outil de tailleur de pierre, en forme de S et dont une partie est pourvue de fines dents, qui sert au ripage. Et le ripage est l’opération qui consiste à racler la pierre afin de la polir.

 Humeau sculptait le verbe avec l’opiniâtreté d’un laboureur creusant son sillon, la main à plume valant la main à charrue. A chaque visite de son œuvre, guidé par le hasard ou quelque recherche ou souvenir, je tombe sur des pépites qui me parlent. Là, ce fut le hasard (enfin, je crois…) qui me fit feuilleter un vieux numéro de la Tour de feu.

De retour chez moi, j’empoigne l’anthologie des œuvres du poète pour vérifier si la ripe y était bien accrochée. Non seulement, cet outil figure dans l’Age Noir, mais je trouve à sa page la trace d’une mienne visite datant de 2006, sous la forme d’une ordonnance de mon toubib habituel !  Je ne sais pas si alors j’ai bien pris mes comprimés mais je suis sûr que ma lecture incuba en une lente germination jusqu’à aujourd’hui…

Polisseur cosmique de ripe et de râpe, Humeau était un sacré médecin du verbe !


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