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La pauvreté (Genevieve Vadeboncoeur)

Publié le 30 juin 2010 par Hugo Jolly

http://www.lcr-lagauche.be/cm/images/worker.jpgLa pauvreté n’est pas un concept nouveau vous me direz. Il est vrai qu’il y a deux cents ans, la pauvreté était déjà un thème sur lequel se penchaient les économistes. Même Adam Smith, père fondateur de la science économique, s’en préoccupait tout en intitulant son ouvrage «Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations». Mais, dans un passage de son livre (souvent cité aujourd’hui pour justifier le concept de pauvreté), M.Smith définissait déjà à cet époque la pauvreté en termes de conditions d’existence. Faisant ainsi un rapprochement entre la condition sociale et l’économie. Il distingue, entre autre, parmi les biens nécessaires, «ceux qui permettent à la personne pauvre d’apparaître en public sans avoir honte et qui lui donne un accès social (…) un espace de fonctionnement».

La pauvreté aujourd’hui est cependant plus visible, plus intense et actuellement très médiatisée. Elle apparaît encore aujourd’hui en terme d’exclusion et elle est souvent rendue dans un discours pessimiste d’individus bénéficiaires de services. On ne présente plus l’homme pauvre comme acteur de changement social, mais plutôt comme étant confiné dans un rôle déterminé à l’intérieur de conditions précaires d’existences qui s’étalent de plus en plus. Les petites gens ne se retrouvent plus seulement dans les ghettos, mais dans tous les quartiers. Ce sont de nouvelles configurations de précarité qui se prolongent à l’intérieur même du lieu de travail. Ce dernier n’assure plus la garantie d’une insertion sociale, tel que les recherches antérieures en santé en faisaient état. En outre, l’individu est en constante interaction avec les différents systèmes  où la construction même de ces systèmes est issue de la confluence des classes sociales. Mais peut-on encore penser le concept des classes sociales pour expliquer la pauvreté? Certains de droite me diront que je suis dépassée. Mais je leur répondrais à mon tour par les questions suivantes :

S’agit-il d’une pauvreté de classe comme ce fut le cas lors de l’industrialisation des sociétés occidentales, ou s’agit-il d’une pauvreté éclatée, par poches territoriales, par catégories sociales, ou même par individu, quelque soit les groupes d’appartenance?

Pour répondre à ces questions, la pauvreté doit d’abord être positionnée dans son  évolution historique.Reprenons l’idée de Karl Marx, la classe sociale s’est exprimée à l’intérieur d’un écart massif entre deux groupes: ceux possédants les moyens de production et les non possédants. En effet, il est vrai de dire que le capitalisme s’est accompagné d’une organisation de la société autour de la notion de travail et de la possession. Mais durant les années que l’on nomme «les trente glorieuses», la croissance macroéconomique s’est accompagnée d’une forte réduction du taux de pauvreté. L’’image proposée à cet époque était que «la marée montante met à flot tous les bateaux». Les gens de droite se reconnaîtront dans cette explication. En effet, on explique par cette croissance économique qu’une profusion de travail assurait aux dires des acteurs concernés (gouvernement et compagnie) la diminution de l’écart entre les classes sociales tel que les ouvriers l’ont connu dans les années auparavant. Derrière cette concomitance, on y a tout de suite vu une causalité durable; la croissance devait éliminer la pauvreté et le concept des classes sociales. Le travail durant cet époque devenait un moyen de permettre un rapprochement entre les dominants (possédants les moyens de productions)  et les dominés (fabriquant les biens). Par les regroupements syndicaux, aux conventions collectives, on donna naissance à la classe moyenne (octroyant un plus grand pouvoir de consommation des biens). Mais en plus de créer une classe tampon pour éviter le clash des classes, le travail devient un moyen d’avoir un sentiment d’utilité sociale (objectifs collectifs) et de se positionner socialement (qui permets la flexibilité et la malléabilité entre les classes sociales). Il devient donc un vecteur d’identité et de statut social. Il permet en outre de consommer, de favoriser son indépendance et assure un réseau de sociabilité.

Mais permettez moi de rappeler un fait primordial. A cette époque, l’absence de travail était amortie par la redistribution collective qui assure à l’individu une place confortable en société (redistribution équitable des richesses). La classe sociale n’apparaît plus comme une donnée sectionné en deux parties. Mais la notion de classe se pose tout de même à l’intérieur même d’un groupe d’individu issu de la nouvelle classe moyenne. Pour ma part, cette interclasse est devenue relativement homogène sur le plan des revenus et de l’accès à la consommation, mais restait différenciée au plan culturel et dans son mode de vie autant sur le plan politique et institutionnel, bien que l’accessibilité  élargie à l’éducation permît une plus grande mobilité sociale ascendante.

Il y a effectivement eu une amélioration du statut des travailleurs grâce à  la législation sociale et une résorption des inégalités les plus criantes. De plus, les catégories professionnelles se sont diversifiées. Mais pourtant, le partage des richesses aujourd’hui demeure encore très inégalitaire et affecte même le lieu de travail. Nous constatons que le rapport de force demeure, mais se présente de façon plus élancée. Parlons alors de la flexibilité comme étant le maître mot de la précarisation des emplois et de la transformation de son rôle au plan de l’explication des classes sociales. Le transfert des rapports de forces vers l’extérieur des lieux même de travail (en autre avec l’arrivée de la zone de libre échange), crée ainsi des conditions précaires qui s’étalent à différents individus et groupes sous différents territoires (femmes, immigrants et jeunes par exemple).  Les patrons brisent le contrat social établi dans les trente glorieuses qu’ils avaient avec les employés.

Laissant ainsi la mobilité économique dans une errance sociale, sans ancrage collectif comme autrefois. Alors, dans cette nouvelle configuration des rapports sociaux, on ne peut se limiter à une explication marxiste classique des classes sociales, soit le prolétaire et le bourgeois. On doit aussi prendre en compte les rapports dans le hors travail qui structurent des « groupes hors classes » qui gravitent hors du système direct de production  ( la mafia par exemple) et des classes « non-classes », tel les prisonniers ou les itinérants.

Mais plutôt que d’enrayer le concept des classes pour expliquer la pauvreté, n’est-ce pas alors son interprétation qui fait défaut mes chers amis de la droite? On peut se poser la question. En effet, la reprise actuelle démontre que la pauvreté résiste à l’amélioration des conditions économiques tel que défendu par nos chers gouvernements. Cela peut s’expliquer par la nature même de cette croissance qui fait appel, à travers ses grands changements technologiques, à une main-d’œuvre que l’ont veut de plus en plus qualifiée et laisse aux pauvres, les tâches subalternes.

La croissance s’accompagne dès lors d’un accroissement significatif de l’inégalité entre les groupes, mais aussi à l’intérieur même de ces groupes. En outre, je crois que nous sommes face à une nouvelle forme de pauvreté. Elle n’est pas obligatoirement  due à la reproduction sociale, mais acquise et entretenue dans un processus social et économique qui n’est pas amorti par notre État actuel : on ne naît pas pauvre, on le devient dans un système où la protection sociale ne permet pas la redistribution équitable des richesses.

Le cumul de différents facteurs entretient l’engrenage de la pauvreté  et elle est signe selon moi d’un dysfonctionnement social et non comme une pathologie individuel issue d’un seul et unique rapport de force économique. Comme le mentionne Robert Castel dans son ouvrage « De l’indigence à l’exclusion» :

La pauvreté apparaît comme la résultante d’une série de rupture d’appartenances et d’échecs à constituer un lien qui, finalement, projettent le sujet en état de flottaison, dans une sorte de no man’s land social.

L’individu productif n’est plus à l’intérieur du bateau collectif. Les propriétaires des moyens de productions se l’ont approprié et mettent par dessus bord les ouvriers issues de différents groupes. Certains se noient, d’autres survivent du mieux qu’ils peuvent la tête hors de l’eau. Cette image démontre la disparité et l’étalement entre la protection sociale et le pouvoir économique. Par conséquent, le travail n’est plus qu’un élément parmi d’autres dans la formation des identités sociales sur ces différentes îles. Le genre (homme/femme), la génération (les groupes d’âge), les loisirs pratiqués et les modes de consommation sont tout aussi importants.

Le constat que l’on peut poser actuellement pour appuyer notre nouvelle analyse de l’impact des classes sociales sur la pauvreté  est que  l’individualisme de masse limite désormais toute possibilité d’organisations sociales et d’actions collectives en laissant derrière lui une consommation conditionnée. La consommation est devenue le centre des rapports entre les individus. Une « sorte de consumérisme individualiste et passif » qui amène une symbolique particulière selon notre appartenance.  En effet, les rapports sociaux reliés à la consommation restent inégalitaires à l’intérieur des groupes,  à l’intérieur des territoires sur lequel l’individu se trouve et des cultures. Les conditions de vie des individus dépendent largement de leur appartenance à un groupe ou à un autre, de la position sociale de ce groupe en tant que dominant ou dominé. Et ces inégalités sont amplifiées par les processus d’exclusion et de domination entre les hommes et les femmes.



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