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Louvre /une histoire / vous ne vous y attendiez pas, hein?

Par Anne Malherbe
Aujourd'hui j'ai décidé de vous raconter une histoire.
Une histoire complètement vraie. Et assez hallucinante.
Elle m'est arrivée il y a trois jours.
C'est pourquoi je vous la raconte.
Sinon ça n'aurait aucun intérêt.
Et ce n'est pas sans rapport avec ce blog.
Il se trouve que j'ai un ami conservateur au Louvre.
Donc, des fois, lorsque je n'ai rien d'autre à faire, je lui demande de me montrer les passages secrets du Louvre.
(Car au Louvre, il y a des passages secrets, comme à Versailles et ailleurs. En fait, ce ne sont pas vraiment des passages secrets. C'est juste que seuls les appartements d'apparat étaient vraiment pensés de manière volontaire, parce que justement c'étaient des appartements d'apparat. Et donc ils évoluaient au fil des modes et des besoins. Et les appartements privés subissaient ces évolutions: c'est-à-dire qu'il leur restait la portion congrue qu'on voulait bien leur laisser. Et en outre, il ne fallait pas qu'on devine leur existence. Parce qu'un appartement privé, eh bien ce n'est pas un appartement d'apparat. D'où le fait que les escaliers qui y conduisent sont étroits et mesquins, et qu'on a envie de dire que ce sont des escaliers secrets. Bien qu'en vrai ils n'aient rien de secret.
Si vous regardez bien il y a des portes sans intérêt dans les murs du Louvre. Et si ce n'est pas la porte des toilettes, ou celle derrière laquelle se cachent les gens de service — car vous aurez remarqué que les gardiens, au Louvre, se cachent toujours — il y a des chances pour que ce soit une porte qui masque un petit escalier).
(et hop, une image pour ZAG, qui sinon boude pendant 7 jours)
Donc lundi après-midi j'étais au Louvre avec cet ami. Il venait d'ouvrir une porte dans un mur (si je puis dire), et nous montions les marches secrètes. Et là, soudainement, alors que nous évoquions la Diane du château d'Anet, de Jean Goujon, que nous venions de tout juste d'examiner; là, soudainement, alors que nous nous interrogions sur le problème du raccord de la tête du cerf avec son corps; là, dis-je, il me dit: "Je te laisse là 5 minutes, il faut que je m'occupe des audioguides".
(Si vous écoutez TOUS les audioguides du Louvre, il y forcément une chance pour que vous tombiez sur sa voix. Parce que les conservateurs aussi enregistrent des audioguides. Et lui, il se trouve qu'il a vraiment une voix de conservateur du Louvre.)
Donc très bien, je le laisse à ses audioguides. Apparemment, on se trouvait dans un couloir non loin du bureau d'enregistrement des audioguides. Mais je lui dis quand même "Et moi, que fais-je, mon ami?". Il me répond : "Très chère, continuez à vous promener, vous n'avez guère de chance de vous égarer" (ce langage, je le précise, nous est habituel, ce qui est bien normal, car nous avons été éduqués ensemble).
Bref, il file vers ses audioguides. Et moi je prends un autre couloir, qui faisait un léger coude. (Détail qui ne serait pas sans importance si nous étions dans un conte fantastique. Mais comme cette histoire date d'il y a 3 jours — quoique un chouilla bizarre — ce coude, ici, n'a strictement aucun rôle à jouer).
Je marche un peu dans le couloir. Et là il y a tout ce qu'on peut souhaiter dans une administration: une photocopieuse dernier cri (et en panne), et une autre toute pourrie, une table avec des gobelets sales qui traînent, et bien sûr une machine à café Zanussi. Qui ne sentait pas merveilleusement bon, à vrai dire elle dégageait même une odeur étrange, que je n'avais jamais remarquée dans les machines à café. Mais c'est peut-être l'odeur du faux lait périmé. D'ailleurs on n'en voit plus guère, sinon au Louvre, des Zanussi.
Je passe devant une porte entrouverte où il y a une dame qui est en train de recopier des fiches manuscrites sur son ordinateur (quoi de plus normal au Louvre?). Ensuite je croise un monsieur portant un costume mou noir (c'est-à-dire un costume de conservateur au Louvre), et qui me demande d'un air un peu surpris et non moins affriolé (car j'étais en jupe pas très longue): vous cherchez quelque chose? Je lui réponds "non non merci j'attends un ami", avec un air charmant et soumis, mais non moins dégagé. C'était tout à fait normal visiblement que j'attende un ami dans ce couloir égaré (et non moins fréquenté semble-t-il) du Louvre.
Et puis le couloir avait un bout.
C'est-à-dire que les dix derniers mètres étaient un peu dans l'obscurité (car l'une des ampoules était grillée). Et à la fin de ces dix derniers mètres, il n'y avait rien, sinon une porte.
Pas une porte de conte de fées, trop petite ou exagérément grande avec des gorgones hurlantes sculptées dessus. Sinon j'aurais peut-être eu très peur, et je serais partie assez vite, malgré ma jupe (quoi qu'on coure mieux en jupe qu'en jean, j'ai vérifié). Mais là, c'était une porte normale.
Je sais que certains de mes lecteurs savent que je suis TRÈS curieuse, et que je peux difficilement résister à la tentation. Donc j'ai ouvert la porte. Si tant est que cette porte fût une tentation.
Et là j'entends quelqu'un qui me dit "pleaeaease, don't close the door". Donc je retiens la porte avec ma jambe en Dim-up, Dim-up dont je soupçonnais que la dentelle risquait de dépasser un peu de ma jupe, mais bon ...
Je regarde, et là je vois un peintre. Un peintre célèbre (et je savais que c'était lui parce que, en plus du fait qu'il peignait, j'avais reconnu sa figure, qu'on voit parfois en photos).
Je me suis dit "Tiens, encore une commande de Marie-Laure Bernadac".
Alors je me présente: "Bonjour, je suis critique d'art blablabla, collaboratrice à blablabla, spécialiste de blablabla .... Vous répondez à une commande du Louvre?" " Du tout", me répond-il (tout ça en anglais, bien sûr).
"Alors pourquoi êtes-vous ici?"
"Eh bien, je travaille" (je précise que pendant tout ce temps, ma jambe continuait à retenir la porte, puisque le dit peintre-célèbre ne m'avait pas invitée à avancer; mais entre-temps j'avais vérifié que la dentelle de mon Dim-up ne dépassait pas (d'ailleurs la marque du Dim-up n'était pas Dim-up).
"Vous travaillez? donc vous avez un atelier au Louvre????"
"En quelque sorte"
"Mais je croyais qu'il n'y avait plus d'ateliers au Louvre depuis la Révolution?" (à vrai dire, je n'étais pas tout-à-fait sûre de la date, et je n'ai pas encore pris la peine de vérifier; mais il est sûr qu'il n'y a plus d'ateliers au Louvre depuis un certain nombre de décennies).
"Certes, et donc?" (telle fut sa réponse)
Et donc on n'est plus au XVIIIe. Et donc c'est peut-être un passe-droit douteux, son affaire? A moins qu'en remontant le couloir, j'aie remonté le temps? Mais puisque c'est bien un peintre d'aujourd'hui (pas inconnu du tout je le répète); à moins qu'il n'ait remonté le temps lui aussi?; à moins qu'on soit au XVIIIe siècle, et que ce que je prends pour un peintre d'aujourd'hui est un peintre de l'aujourd'hui du XVIIIe siècle.
Sauf que je n'ai jamais cru aux histoires de retour vers le passé (en tout cas sous une forme aussi grossière et au bout d'un couloir du Louvre qui plus est).
Et puis il me dit: "J'aimerais bien vous montrer ce que je fais, mais il ne vaut mieux pas".
" Ah bon?"
"Parce que ce n'est pas tout à fait dans le genre de ce que je fais d'habitude"
"Ah bon?" (je suis peu bavarde en temps normal, et là, la situation m'avait laissée quelque peu coite, ce qui est bien bête parce que c'était quand même l'occasion de parler de choses intéressantes)
Lui aussi était un peu coit.
Vu les pinceaux fins qu'il tenait, je me suis demandée s'il n'était pas en train de nous faire un faux Raphaël, ou genre. Un faux Watteau, peut-être (mais ça, c'est parce que la veille, j'avais vu le film avec Sylvie Testud, un film qui rassemble à peu près 5 personnes dans une grande salle de l'UGC Bercy).
Mais c'était un peu anormal, ses pinceaux et son chevalet.
Du coup, j'ai quand même fait mine d'avancer. "Noooooooooonn", hurle-t-il, "ça me fait un peu d'air".
"Euh, oui, quoi? si vous manquez d'air, vous pouvez sortir, non?"
Eh bien non, il ne pouvait pas sortir. Car la porte une fois close, il était enfermé de l'intérieur. C'est ce que j'ai compris en voyant le loquet.
Tout cela me paraissait très très suspect. En même temps, il n'y avait ni conservateur ni secrétaire pour demander de déguerpiller. Donc ce n'était peut-être pas si anormal? Quoi que?
Mais j'en avais assez de retenir la porte avec ma jambe, car ç'avait beau être acrobatique, je craignais justement de muscler une jambe au détriment de l'autre. Donc j'ai fini par lui faire un sourire et doucement, sans qu'il le remarque, laisser glisser lentement la porte, jusqu'à ce qu'elle se referme.
La conclusion:
C'est que le Louvre séquestre des gens connus pour faire des faux.
Mais mon copain conservateur a cru que je plaisantais. J'ai eu beau hurler que c'était vrai, il a cru que je lui racontais n'importe quoi (parce que le problème, c'est que parfois j'ai tendance à lui raconter des choses délirantes — mais c'est bien normal, lui aussi m'en raconte, on a été éduqués ensemble).
(L'histoire n'est pas sans rapport avec ce blog, disais-je, puisque, normalement, bien que le Louvre soit hors-sujet par rapport à ma ligne éditoriale, il s'agit bien d'un peintre d'aujourd'hui, si toutefois nous n'avons pas l'un et l'autre remonté le temps)
(Et je m'estime chanceuse que cette histoire se passe au Louvre, parce que ça va faire augmenter mes stat')

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