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Duchamp et la sagesse populaire (by notre invité Marcello)

Publié le 07 juillet 2010 par Lifeproof @CcilLifeproof

Duchamp et la sagesse populaire (by notre invité Marcello)

Marcel Duchamp, Fontaine, 1917

Récemment, un collègue italien m'a parlé d'un sketch tiré d'un film italien de 1982, intitulé "Così parlò Bellavista".

La scène étant longue et les dialogues un mélange d'italien et napolitain, voilà un petit résumé: deux hommes du peuple sont amenés par un professeur de philosophie à visiter une exposition d'art contemporain. Ils admirent notamment une oeuvre de Tom Wesselmann qui représente une salle de bain. Après la visite, les deux hommes expriment leurs impressions. L'un d'entre eux, Saverio, accepte naïvement tout ce qu'il a vu comme de l'" art ", confiant son jugement à ceux qui ont fait des études. L'autre, Salvatore, n'est pas persuadé et soupçonne une arnaque. Les deux consultent le professeur de philosophie, qui leur donne des réponses très banales. Salvatore expose ses doutes en racontant une anecdote : un ami maçon, pendant les travaux dans la cave d'une ancienne villa, a découvert un tableau de Luca Giordano, et il l'a tout de suite reconnu comme un chef d'oeuvre. Salvatore se demande alors: que est-ce qui se passerait si dans mille ans un maçon trouvait dans une cave l'oeuvre de Wesselmann? Il penserait surement qu'il s'agit de chiottes délabrées... ('nu cess' scassat'). Le professeur concorde.


Ma réflexion est allée tout de suite au-delà des oeuvres de Wesselmann ou de Luca Giordano, je vous laisse le plaisir de découvrir ces deux artistes très différents et de vous faire une idée de leur valeur artistique. La blague sur les " chiottes " m'a immédiatement fait penser à Marcel Duchamp, qui a radicalement révolutionné (en 1917) l'art du XXème siècle avec sa fameuse pissotière. Qu'à a voir son geste avec la petite dispute entre Saverio et Salvatore? Je pense que Duchamp a réussi à aller au-délà des idées reçues et des arguments avancés par les deux hommes.

Si on considère ce que dit Saverio, on s'aperçoit que la portée du geste de Duchamp est claire. La société se démocratise, tout le monde a accès à un minimum d'études et aux institutions muséales. C'est l'autorité prêtée à ces institutions qui permet à Duchamp d'élever une pissotière au rang de chef d'oeuvre. Au XIXème siècle, personne ne se serait intéressé à une telle folie. Duchamp vise le système établi et montre avec cet objet manufacturé les dangers auxquelles la société et l'art du XXème siècle s'exposent. En faites, Duchamp aurait voulu que personne ne tombe dans le piège d'accepter comme art tout ce quelqu'un nous soumet comme tel.


Duchamp et la sagesse populaire (by notre invité Marcello)

Marcel Duchamp, Porte-bouteilles, 1914


Quant à Salvatore, il pense s'échapper de la grande arnaque de l'art contemporain, qui transforme des toilettes (et des toiles coupées, et des boîtes de caca et ainsi de suite...) en chefs d'oeuvres. Son instinct de survie le défend du " foutage de gueule " des critiques d'art : qu'y a-t-il de plus beau qu'un tableau baroque de Luca Giordano, surchargé et parfait dans la représentation de tout détail? Mais ce que Duchamp vise n'est pas la beauté ou l'émotion suscité par une pissotière... ce qu'il montre est que tout art est relatif à son temps. En particulier, l'art se met lui-même en discussion dans une société gouvernée par les stéréotypes de la publicité et qui met au rang de maîtres et héros des sportifs, des chefs cuisiniers ou des politicards populistes. Etre futé ne signifie pas se libérer de l'"arnaque" de l'art contemporain mais percevoir cela comme le miroir de bien d'autres "arnaques" possibles.

Un petit mot pour le professeur, le très connu "philosophe" napolitain Luciano de Crescenzo. Avec ses arguments banalisant et son air condescendant pour les propos de Salvatore, il n'aide pas les pauvres " profanes " Saverio et Salvatore à sortir de leur incompréhension de l'art contemporain, mais se délecte de leur ruse présumée. Heureusement que Lifeproof a toute autre attitude!


En tout cas, la portée de l'oeuvre de Duchamp est telle que dans mille ans on ne prendra pas son oeuvre pour "'nu cess' scassat'", et cela me rassure.


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