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"En avant, route !" Alix de Saint-André

Par Manus

avant, route Alix Saint-André

Qui n'a pas entendu parler du chemin de Compostelle, connu pour son itinéraire partant de Saint-Jean-Pied-de-Port, à Saint-Jacques ?  

Alix de Saint-André, dans "En avant route !" éd. Gallimard 2010, étonne par le ton qu'elle utilise pour présenter ce pèlerinage qu'elle aura déjà accompli à trois reprises.

Son humour et sa joie de vivre secouent le lecteur au moment où il aborde le début du récit.  De fait, on pourrait s'attendre à une écriture entrant plus dans le cadre d'une prose poétique, s'appuyant sur un langage soutenu - d'autant plus lorsque l'on connaît un peu le genre de livres édités chez Gallimard - or, c'est tout l'inverse qui se produit.  Son style décoiffe par la manière - volontairement ? - adoptée : une sorte de vulgarisation de l'écriture se ramenant quasiment au langage parlé, un humour constant, ou du moins, une gaieté dans la façon de poser son regard sur son environnement.

En réalité, c'est toute la personnalité de Saint-André qui suinte de son livre : cette femme est un ballon qui rebondit joyeusement dans la vie.

Au début, on pourrait déplorer ce style manquant de tenue, pourtant, après une dizaine de pages, le lecteur pourra se dire que c'est sa façon d'être, si spontanée et authentique, qui se reflète dans l'écriture, charme indéniable de ce livre.

Il est d'ailleurs amusant de constater que son écriture diffère selon les parties du livre.  Est-ce voulu de sa part ? Dans la première partie, elle est plus abrupte dans le langage, plus terre à terre, alors que dans la seconde, elle s'exprime de façon plus posée, plus douce aussi, l'écriture se muant en poésie, le style devenant moins agressif, plus raffiné et sensible.

Ecriture, qui sait, adaptée à son état du moment : de la condition de révoltée elle atteint le stade de l'apaisement, du bien-être semblant indiquer qu'elle s'est trouvée. 

Son premier pèlerinage vers Saint-Jacques est relaté avec un air bougon, humour certes toujours présent, mais empreint de cynisme, parfois même de souffrance sous-jacente. 

Alix en bave; elle rame, passe à côté de pas mal de choses essentielles, tout son corps n'est que lutte et bravade face à cet ordre qu'elle lui lance : marcher.

Les Ave Maria deviendront immédiatement, dès les premiers pas, ses compagnons de route :

"Mine de rien, ça rythme, ça concentre.  Ca aide.  Ca marche.  J'ai l'impression de traîner toute une tribu derrière moi, des vivants et des morts, leurs visages épinglés sur une longue cape flottant aux bretelles de mon sac à dos.  Un monde fou."

Au gré de ses rencontres sur le Chemin, l'auteure est, par la force des événements, confrontée à sa propre personnalité, à ce qu'elle est; tout en ne sachant pourquoi elle accomplit cela, ne comprenant ce qu'elle cherche, elle décide de se laisser porter par ses pieds, espérant ainsi aboutir à sa quête encore inconnue d'elle.

Les sacs à dos ne se portent pas n'importe comment, il y a une technique, de même que le bâton de pèlerin se tient d'une certaine façon pour maximaliser son efficacité, les affaires rangés dans le sac ont un ordre établi selon leur poids, et les ampoules se soignent de la sorte et pas autrement, tels médicaments, boisson, tout cet attirail qu'Alix apprendra au fur et à mesure de son épopée. 

On pourrait en quelque sorte établir le parallèle avec son apprentissage de la marche, et sa propre personne qui évolue selon son corps : au plus elle acquiert de l'expérience technique, au plus sa vie intérieure aura la possibilité de s'enrichir. 

Ce pélérinage sera avant tout marqué par des rencontres fortes, des amitiés puissantes qui naîtront au travers des difficultés, des joies vécues, de la nourriture partagée.

Routes sillonnant les pays, les marcheurs y avancent avec méthode et régularité, le bourdon à la main, le dos légèrement courbé; ils prient de leurs lèvres, rient avec leurs compagnons d'infortunes, tous cherchent, qu'ils soient croyants ou non, mais ils sont là pour quelque chose, même s'ils l'ignorent encore.

Le second pélérinage de Saint-André aura un goût plus léger tout en étant plus profond, comme si l'auteure avait eu besoin de cette première expérience pour se nettoyer d'une série de tracas qui empêchaient son être de s'élever.

Ici, Alix marche avec l'entraînement en plus, l'inconnu apprivoisé, l'apprentissage des techniques de survie intégré.

Toujours entourée de pèlerins venus de tous horizons - cela ne devrait pas nous étonner vu sa personnalité marrante - l'aventurière aborde ce nouveau défi avec plus de sérénité, comme si sa colonne vertébrale s'était renforcée, comme si son être acceptait de se laisser toucher par la spiritualité.

Croyante, elle l'est.

Il lui aura fallu du temps pour reconnaître qu'elle avait la foi.

Cela lui aura demandé des milliers de kilomètres à avaler, la marche ayant rythmé son corps de telle sorte que son âme ait pu émerger.

Au fond, Alix de Saint-André aura couché sur papier son coeur palpitant;  permettant avec pudeur et humour au lecteur de lire son âme.

Panthère.


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