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Simon, tu es l’homme le plus heureux sur cette planète !

Publié le 24 juin 2010 par Europeanculturalnews
Simon, tu es l’homme le plus heureux sur cette planète !

Simon Trpceski@Fowler-EMI Classics (Medium)

Interview avec le pianiste Simon Trpceski

Monsieur Trpceski, vous jouez pour la première fois à Strasbourg ?

Non, je suis ici pour la deuxième fois. La première fois, j’ai joué un concerto pour piano de Saint-Saëns. C’est un défi en soi, d’interpréter l’œuvre d’un compositeur français en France.

Alors, vous avez travaillé avec l’orchestre pour la deuxième fois. Avez-vous constaté des différences entre les deux concerts ?

L’orchestre a joué le dernier concert de Saint-Saëns superbement – mais il est censé maîtriser ce son, bien entendu. Avec Tchaïkovski, les choses sont un peu plus compliquées, car c’est un concert très connu et le chef d’orchestre doit en faire une histoire. Jakub Hrůša a su faire naître des sonorités aux couleurs merveilleuses. Il a beaucoup travaillé avec l’orchestre et il a obtenu beaucoup de choses. En ce qui concerne la collaboration entre Hrůša et moi, nous voulions essentiellement faire ressortir des nuances. Le son de l’orchestre était merveilleusement chaud. Il a joué de façon très professionnelle et les prestations des solistes étaient vraiment remarquables. Nous n’avons pu répéter ensemble que deux fois, pourtant j’aime jouer avec un orchestre comme s’il s’agissait de musique de chambre. Je peux dire que l’OPS fait partie des meilleurs orchestres de France, le meilleur étant l’Orchestre national de France, ensuite arrivent l’OPS et l’orchestre de Bordeaux à égalité.

La qualité d’un orchestre dépend en grande partie de la communication entre les musiciens et la communication avec le chef d’orchestre. La communication entre les musiciens aide énormément le chef d’orchestre. J’ai joué avec de nombreux orchestres internationaux et je sais, que les orchestres français sont capables d’atteindre un niveau très élevé. Je pense personnellement que l’on trouve les orchestres les plus exigeants en Angleterre. Mais je me souviens aussi d’une conversation que j’ai eue avec Lorin Maazel. D’après lui, l’orchestre capable de réagir le plus rapidement, c’est la Philharmonie de Baden-Baden.
En ce qui me concerne, il y a quelques grands orchestres avec lesquels je n’ai encore jamais joué, comme par exemple ceux de Leipzig, de Berlin, de Dresde et la Philharmonie de Vienne.

Sur votre page internet, tout en haut, comme s’il s’agissait d’un titre, on peut lire la citation suivante : «Per asper ad astra» ce qui signifie qu’on peut atteindre les étoiles en travaillant. Je n’ai encore jamais lu quelque chose de semblable chez aucun autre artiste. Qu’est-ce que ceci signifie pour vous ?

A vrai dire, c’est la devise de ma vie. C’est mon père qui a choisi cette citation latine et qui m’a familiarisé avec elle. Il faut que vous sachiez que la Macédoine, où je suis né, n’a pas une longue tradition dans la musique classique. Le premier orchestre a été fondé en 1944, nous sommes donc loin derrière les autres nations.
J’ai grandi pendant une période très turbulente. Après l’implosion de la Yougoslavie, le pays a entamé une période de transition dont il n’est malheureusement toujours pas sorti. Le pays était politiquement fini, ce qui était extrêmement difficile. Je suis né dans une famille pauvre, mes parents sont originaires de villages pauvres dans le sud-est respectivement sud-ouest du pays. Ils ont fait beaucoup d’efforts pour arriver à Skopje, la capitale. Pendant longtemps, nous avons connu de grandes difficultés, sans argent, sans aucune aide financière. Mais quelques amis de la famille ont fait confiance à mon père qui, croyant en moi, leur a parlé de moi. Ils m’ont aidé à financer quelques uns de mes voyages à l’étranger pour me permettre de participer à différents concours. Ce que Pavarotti a dit un jour, était aussi valable pour nous : « Nous possédions très peu dans notre famille, mais personne n’avait plus que nous ! »
Nous sommes trois frères et sœurs et nous avons vécu intensément avec notre famille et la communauté. De ma famille, j’ai reçu soutien et amour. J’étais le cadet, pour ainsi dire le bébé de la famille.

Comment êtes-vous arrivé à la musique ?

Par ma famille. A l’âge de 4 ans, j’ai commencé à jouer de l’accordéon. L’accordéon est un instrument traditionnel de la musique populaire chez nous. La musique populaire a une grande valeur dans mon pays. Mais à cette époque, on n’enseignait pas l’accordéon à l’école de musique. Plus tard, à l’école de musique justement, j’ai pris la décision de jouer du piano. Tout simplement, parce qu’il avait un clavier, que je connaissais déjà, du moins pour la main droite. La main gauche est tout de même différente, mais le piano avait des touches.
Ensuite, j’ai pu suivre des cours chez un couple russe, les Romanov. Tout de suite après la chute, ils ont quitté Moscou pour Skopje pour enseigner ici. J’ai eu de la chance, car j’avançais très vite. Bien sûr, j’ai travaillé dur et je me suis exercé beaucoup, mais cela m’a fait toujours très plaisir. Enfant, on a des rêves – mon rêve, c’était la musique. J’ai adoré la musique. A l’époque, internet n’existait pas, bien sûr. J’ai feuilleté les magazines, j’ai regardé les grandes salles de concert et je me suis demandé : « Est-ce que j’aurai un jour la chance de jouer dans une telle salle ? »
J’ai joué mon premier grand concert à l’âge de 15 ans avec la Philharmonie Macédoine. C’était la « Rhapsodie in blue » de Gershwin et je me suis dit : «Maintenant, fais ce qu’a dit Bernstein un jour. Va sur la scène et montre leur de quoi tu es capable.»

Et quand je suis allé en Italie et en Suisse pour participer à mes premiers concours, j’étais très curieux de savoir ce que l’on attendait de moi et selon quels critères le jury allait juger. Jamais je n’étais nerveux ou stressé par les concours. J’étais plutôt curieux de me mesurer aux autres et de savoir où j’en étais. Bien sûr, aux concours, j’ai aussi fait des expériences qui n’étaient pas vraiment belles, mais en vérité, gagner m’importait peu. Le simple fait de participer était pour moi une joie immense et m’a rendu fier. Vous savez, je vais vous raconter une petite histoire qui a un rapport avec le concert ici à Strasbourg. Le jour où a eu lieu ce concert à Strasbourg, c’était la date du dixième anniversaire du concours auquel j’ai participé à Londres, celui où l’on m’a «découvert» en quelque sorte. J’y ai pensé hier. Je n’ai pas gagné ce concours, je suis arrivé deuxième, mais cela m’était totalement égal. Pour moi, un rêve s’était réalisé : J’ai eu l’occasion de jouer à Londres avec le London Philharmonic Orchestra dans la Royal Festival Hall – que demander de plus ? La place que l’on m’a attribuée n’avait aucune importance. C’était pour moi comme un miracle. Mais j’ai eu ce que j’avais mérité : Une femme travaillant pour l’agence de concerts « IMG Artists » a assisté à mon concert. Elle est venue me voir pour me demander, si j’avais envie de travailler avec elle. Et c’est ainsi que tout s’est enchaîné. Un an plus tard, des gens d’EMI Classics ont entendu un de mes concerts à la Wigmore Hall à Londres et m’ont proposé un contrat.

Vous jouez combien de concerts par an ?

Pas tant que ça, peut-être 50 ou 60, mais je joue la totalité de mon répertoire. Donc, je ne fais pas de tournée où je ne joue que deux ou trois morceaux. Je joue plutôt des œuvres totalement différentes les unes après les autres. Mais ne n’aimerais pas non plus faire davantage. Je n’aimerais pas passer ma vie dans les avions, aux aéroports et dans les hôtels. Mon agence ne m’a jamais mis la pression à ce niveau-là non plus et je lui suis reconnaissant. Mais d’un autre coté, je n’admettrais jamais que l’on me mette la pression. Il faut aussi que je vive ma vie pour être inspiré. Si j’avais l’impression que la machine s’empare de moi, j’arrêterais tout de suite. Je n’ai aucun besoin de me faire valoir. Je suis ravi d’être avec mes amis et ma famille – home sweet home – c’est tout à fait vrai en ce qui me concerne. Demain je prendrai l’avion pour rentrer chez moi pour faire la fête en famille ce week-end. On fera griller un agneau et on s’amusera beaucoup. Je vis quelque chose de merveilleux mais j’essaie de rester aussi normal que possible. J’essaie de rester près de la terre en quelque sorte. C’est dans mes gènes, dans mon sang. J’espère avoir le potentiel pour évoluer encore dans mon métier, pour m’améliorer, mais j’aimerais aussi profiter de la vie autant que possible. Les 24 heures que compte une journée ne me suffisent pas. Il est très important de réussir à concilier sa vie professionnelle et sa vie privée – ce sont les deux cotés de la vie, n’est-ce pas ?

J’enseigne également à l’université de musique à Skopje. Je suis le premier artiste macédonien internationalement connu dans le domaine de la musique classique. C’est donc aussi une sorte de mission, même s’il est devenu plus difficile, de garder le niveau que j’ai actuellement. Mais mon père me disait aussi : « si tu t’organises bien, tu pourras tout faire. Je me considère comme quelqu’un de privilégié. Ma sœur m’a dit un jour : « Simon, tu es l’homme le plus heureux sur cette planète ! » C’est probablement le cas !

Avez-vous encore un rêve ?

Au mois d’août, l’un de mes plus grands rêves se réalisera : Je jouerai à Rio de Janeiro. J’ai eu deux rêves : l’un était de jouer à Paris, ce qui est fait, l’autre, de jouer à Rio ! Ce sera mon premier séjour au Brésil, et je suis ravi à l’idée d’y aller.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire à nos lectrices et lecteurs ?

Oui, j’aimerais les inviter à assister à autant de concerts classiques que possible. Il est médicalement prouvé que la musique classique est bonne pour la santé. Si les gens sont tout simplement contents et arrivent à se détendre, ils s’ouvrent et ont une vision différente des choses. J’ai appris, que la moyenne d’âge du public à Strasbourg est légèrement inférieure qu’ailleurs et j’en suis enchanté. Il y a tellement de musiques merveilleuses dans les salles de concert. Parfois, il m’arrive de composer de la musique pop, inspirée par la musique classique, comme la musique classique a été souvent inspirée par la musique populaire. La musique classique n’est pas toujours nécessairement «sérieuse» – il y a beaucoup de musique de danse dans les morceaux classiques. Si les gens vont au concert et écoutent cette musique, celle-ci peut les inciter à réfléchir différemment sur leur vie. Donc: Venez et réjouissez-vous de la musique !

Je vous remercie beaucoup pour cette interview et je vous souhaite beaucoup de bonnes choses pour l’avenir !

Merci à vous – et venez nous voir en Macédoine !

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker


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