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Régulation financière américaine : une leçon pour l’Europe

Publié le 19 juillet 2010 par Lecriducontribuable

« Moraliser le capitalisme » ; « réguler les activités financières » ; « éviter le retour des crises ». Depuis bientôt deux ans que Lehman Brothers a fait faillite les responsables politiques, en particulier les français, multiplient ces promesses. Alors que les Européens n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la solution, les Américains viennent de voter une loi censée régler le problème. Est-ce si sûr?

La crise de 2008 est née aux Etats-Unis d’un excès de crédits qui s’est porté principalement sur les crédits hypothécaires aux particuliers. Le gouvernement américain ayant contraint les banques à accorder de tels crédits aux minorités à faibles revenus, ces crédits dits « subprime » se sont multipliés. Une  moitié des crédits hypothécaires américains était financée par deux organismes bénéficiant d’une garantie implicite du gouvernement, Fannie Mae et Freddie Mac. L’autre moitié a fait l’objet de regroupements en paquets, garantis par des assureurs – dont le plus gros du monde, AIG-  et  revendus aux banques du monde entier. Leur rendement élevé facilitait la vente. Tant que les prix de l’immobilier montaient aux Etats-Unis, le risque de non-remboursement était couvert par l’hypothèque. Quand les prix ont commencé à baisser le risque est apparu. Les organismes de contrôle des activités financières ne l’ont pas vu venir, mais Lehman Brothers a fait faillite, AIG a été nationalisé pour éviter sa faillite et des crédits publics massifs ont été accordés à Fannie Mae et Freddie Mac. Les banques ont arrêté de se faire confiance. Les gouvernements sont intervenus pour « sauver les banques » les plus grosses dont la faillite aurait peut-être bloqué le financement de l’économie. Deux grandes banques anglaises ont été  nationalisées. En France,  le sauvetage a été organisé pour deux anciens départements de la Caisse des dépôts, devenus des filiales cotées en Bourse, Dexia et Natixis, gavées de « subprime », que le contribuable a dû recapitaliser bien qu’elles ne posent pas de risques « systémiques » (mettant en péril tout le système financier).

Quels problèmes sont  résolus par la nouvelle loi américaine ?

L’excès de crédit ? Le principal responsable de cet excès, Alan Greenspan, qui a dirigé pendant 18 ans la banque centrale américaine, a répondu en octobre 2008 à une commission du Congrès qui l’interrogeait sur le laxisme de sa politique monétaire : « J’ai toujours suivi la majorité du Congrès » ! Les élus savent que leur prochaine réélection dépend d’un climat économique euphorique. Ils sont donc toujours favorables au laxisme monétaire, quelles qu’en soient les conséquences à long terme. Ayant suivi ces élus, la banque centrale américaine n’a pas rempli son devoir. Or le renforcement de l’indépendance de la banque centrale n’est nullement abordé dans la nouvelle loi. De nouvelles bulles de crédit sont donc prévisibles.

L’insuffisant contrôle des banques ? Cette insuffisance était due aux Etats-Unis à la multiplication des organismes de contrôle et à leur manque d’efficacité et  de  responsabilité. Par exemple la SEC (Securities and Exchange Commission), qui doit contrôler les titres émis dans le public, a été incapable, malgré plusieurs dénonciations et divers contrôles, de déceler la fraude Madoff. La nouvelle loi ne réduit pas le nombre des organismes de contrôle et n’accroit pas leur responsabilité. Au contraire elle crée un nouveau Conseil qui doit en principe avertir de menaces éventuelles de risques « systémiques ». On ne voit pas en quoi les prévisions de ce nouveau Conseil seront meilleures que celles des organismes de prévision existants, comme le FMI, qui prévoyait en juillet 2008 une croissance mondiale de 3,9 % pour 2009, année de la plus forte crise économique depuis celle de 1929 ! On peut donc prévoir que les établissements financiers ne seront pas mieux contrôlés et l’éclatement des bulles ne sera pas mieux prévu.

La moralisation de Fannie Mae et Freddie Mac ? Ces deux organismes ne sont pas concernés par la réforme. Pourquoi ? Parce qu’ils sont de très gros dispensateurs de fonds électoraux aux élus américains.

La scission des banques « trop grosses pour faire faillite » ? Il n’en est plus question. Il n’est même plus question de séparer les banques de dépôt des banques d’affaires. Il est vrai que la plus grosse faillite bancaire américaine a été celle de Lehman Brothers, banque d’affaires sans dépôts. On limitera cependant à 3 % de leurs capitaux, dans un délai de 7 ans, les investissements des banques réputés  les plus risqués. Une partie des « swaps » (échanges de garanties) devra être effectuée par des filiales dotées de capitaux suffisants. Les conséquences de ces mesures seront minimes.

La nouvelle loi crée une autorité publique qui pourra saisir une très grosse compagnie financière dont la faillite imminente menacerait tout le système financier. Cette autorité décidera du remboursement des créanciers bénéficiant de garanties et imposera des pertes aux actionnaires et aux autres créanciers, éventuellement en convertissant une partie de leur créance en capital. Cette création est bienvenue : ce n’est pas aux contribuables de renflouer une banque qui fait faillite, quelle que soit sa taille. C’est aux actionnaires et créanciers de supporter les conséquences de la mauvaise gestion qu’ils ont encouragée ou tolérée. Ils ont accepté que la banque prenne des risques bien rémunérés dont ils ont profité. Quand ces risques se transforment en pertes, c’est à eux et non aux contribuables de les essuyer. Le droit commun des faillites est difficilement applicable à de très gros établissements financiers et compagnies d’assurances car ses délais de liquidation trop longs peuvent paralyser tout le système financier. Un organisme capable d’agir vite est donc souhaitable. Il permettra le redémarrage rapide, après constatation et attribution des pertes, des plus gros établissements financiers en difficultés.  Grâce à cette nouvelle autorité les contribuables américains n’auront plus à renflouer ces établissements pour leur éviter la faillite. Les Européens feraient bien de s’inspirer de cet exemple.

Ils pourraient aussi, comme les Américains, ne pas accorder trop d’importance à des aspects secondaires de la réforme financière : les « hedge funds », les produits dérivés, les bonus des financiers, les paradis fiscaux. Les plus gros « hedge funds » devront s’enregistrer auprès de la SEC. Ce que la plupart faisaient déjà et ce qui ne les gênera guère. Les produits dérivés « standardisés »  devront être vendus sur des marchés et non de gré à gré. Mais la définition d’un produit « standardisé » reste à trouver. La nouvelle loi américaine, malgré ses 2.300 pages, est muette sur les bonus et les paradis fiscaux. Les Américains savent bien que les bonus exagérés ne sont que la conséquence de profits exagérés dus principalement à l’abondance des liquidités et aux taux de refinancement bancaire très bas voulus par les gouvernements. Les paradis fiscaux, qui n’ont joué aucun rôle dans la crise, doivent surtout leur existence aux enfers fiscaux. Ce sont les enfers qu’il faut supprimer plus que les paradis. Ces questions sont ainsi pratiquement ignorées par la nouvelle loi.

En définitive cette  loi américaine n’empêchera pas le retour des crises : comme l’avait déjà constaté la Bible celles-ci reviennent tous les sept ans. Elle ne freinera pas le laxisme monétaire des responsables politiques et ne renforcera pas l’indépendance de la banque centrale américaine. Mais elle évitera qu’à l’avenir les contribuables américains soient obligés de « sauver » des banques qui ne méritent pas de l’être. Une bonne leçon pour les Européens.

Lire aussi notre article : « Régulation : le « faux-ami » anglais »


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