Magazine Société
Le mont Blanc que
cent monts entourent de leur chaîne,
Comme dans les
bouleaux le formidable chêne,
Apparaît au milieu
des Alpes qu'il encombre ;
Et les monts,
froncement du globe, relief sombre,
L'admirent, fiers
sommets que la tempête arrose.
— Grand !
dit le mont Géant. Et beau ! dit le mont
Rose.
Tous, du lac au
chalet, de l'abîme au vallon,
Autour de puissant
mont chantent, chœur monstrueux :
C'est lui ! le
pâtre blanc des monts tumultueux !
Il nous protège tous
et tous il nous dépasse ;
Il est
l'enchantement splendide de l'espace ;
Il mêle un argent
sombre aux moires du Léman ;
Il nous éclaire
après que l'astre s'est couché ;
Dans le brun
crépuscule il apparaît penché.
Et l'on croît de
Titan voir l'effrayante larve ;
Il tresse le bleu
Rhône aux cheveux d'or de l'Arve.
L'Archange à son
sommet vient aiguiser son glaive ;
Il a comme son dogue
à ses pieds le Salève ;
Il tisse, âpre
fileur, les brouillards pluvieux ;
Sa tiare surgit sur
nos fronts envieux ;
Ses pins sont les
plus verts, sa neige est la plus blanche.
L'immensité le baise
et le prend pour amant
Une mer de cristal,
d'azur et de diamant,
Crinière de glaçons
digne du lion Pôle,
Tombe, effrayant
manteau, de sa farouche épaule.
Il est plus haut,
plus pur, plus grand que nous ne sommes ;
Et nous
l'insulterions, si nous étions des hommes.
Victor Hugo,
La Légende des Siècles, 1877