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Un été avec Proust: du côté de chez Swann (2)

Par Jazzthierry

liseuse3.1279695718.jpgComment devient-on écrivain ? C’est à cette question que le narrateur souhaite répondre. Elyane Dezon-Jones dans sa précieuse introduction (Le livre de poche, 1992) formule cette idée autrement: “ce qui l’intéresse, dit-elle, c’est de démontrer les mécanismes qui aboutissent à la création littéraire…”. Par quels processus psychiques ou inconscients passe-t-on (sachant que Proust méconnaissait Freud), pour créer une oeuvre singulière ? Dans le texte proustien, parmi les maintes anecdotes vécues par le narrateur, je prendrai sa découverte de “François le Champi”, lu d’une certaine manière par sa maman…: “…quand c’était maman qui me lisait à haute voix, (…) elle passait toutes les scènes d’amour. Aussi tous les changements bizarres qui se produisent dans l’attitude respective de la meunière et de l’enfant et qui ne trouvent leur explication que dans les progrès d’un amour naissant me paraissaient empreints d’un profond mystère dont je me figurais volontiers que la source devait être dans ce nom inconnu et si doux de “Champi” qui mettait sur l’enfant qui le portait sans que je susse pourquoi, sa couleur vive empourprée et charmante.”

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Ainsi donc pour le narrateur, une lecture lacunaire du livre de George Sand, et des romans en général, n’est pas forcément une mauvaise chose puisqu’elle déclenche mécaniquement un florilège d’interrogations chez lui. La censure de sa mère refusant de lui lire les passages sulfureux, lui permettait de déployer toute son imagination, de recoller les pièces du puzzle afin de remplir lui même ces lacunes. D’une certaine manière, il réécrivait le roman à partir de cette lecture infidèle. On en conclut que sans sa maman, sans cette lecture du soir, le narrateur ne serait probablement jamais devenu écrivain; mais au-delà, Proust (à travers son narrateur) désacralise la lecture, nous expliquant que les lacunes pouvaient naître également de sa propre lecture: “… quand je lisais avoue-t-il, je rêvassais souvent, pendant des pages entières, à tout autre chose.” En somme, on ne doit plus avoir honte de rêver en lisant, bien au contraire, cette activité si naturelle, fait partie de l’art de la lecture. Le lecteur lambda en ressort à la fois décomplexé et surtout libéré…

* Renoir, “Femme lisant”, 1895.


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