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Le fond de la jarre, Abdellatif Laâbi

Publié le 25 juillet 2010 par Kenza
Le fond de la jarre, Abdellatif LaâbiJean Joseph Benjamin Constant (1845-1902), Cour Marocaine
(C) RMN / Daniel Arnaudet***"Driss, c'est comme ça que s'appelait mon père, était un saint.Il m'en a fallu du temps pour le comprendre."
Le fond de la jarre, Abdellatif LaâbiQu'y a-t-il dans le fond de la jarre ? C'est le mystère des vieux pots, ou plutôt du flacon magique : on ne sait ce qu'il contient, mais on l'ouvre avec un frisson délicieux. Et qu'en sort-il ? Une vraie cour des miracles, avec ses personnages extravagants, doux marginaux ou folles de Dieu au verbe acéré. Une curieuse nuit de noces, où l'on ne brandit pas le seroual taché de sang. Un oncle fugueur amateur de kif, se transformant la nuit en un auguste Homère. Un pique-nique initiatique où un enfant fait d'un radis une madeleine. Et l'âme d'une ville, ou ses tripes. Fès, en l'occurrence, mais le Fès d'un Maroc disparu, sur fond de protectorat français et de lutte pour l'indépendance. Au centre de ce théâtre à ciel ouvert, un enfant, pris dans une tourmente de découvertes ébouriffantes et de déconvenues cuisantes. En ombre tutélaire, Ghita, la mère, jamais à court d'imprécations et de réparties truculentes, une tendre furie, féministe avant l'heure. Fiction ou autobiographie ? Ce récit brosse un tableau surprenant d'une ville et d'une époque.
"Voilà bien un livre salutaire, inventif, amusant au sens philosophique, qui nous donne l'assurance que, malgré la noirceur des temps, la qualité humaine et la vertu humaine brillent toujours au Maghreb d'une clarté dont la vieille cité de Fès est sans contredit la plus jeune étincelle." J.M.G. Le Clézio
Editions Gallimard 2002Extrait
Le fond de la jarre, Abdellatif LaâbiAâssala, la femme aux chats, la muette, la vagabonde. Namouss a un faible pour elle, même s'il s'en défend avec énergie. C'est qu'elle est liée à une histoire qui l'a longtemps tourmenté et qui a démarré quand il était tout petit. Est-ce Ghita, est-ce sa soeur Zhor qui lui a infligé ce tourment? Il ne s'en souvient plus. Toujours est-il qu'au commencement quelqu'un a prétendu le plus sérieusement du monde que Namouss ne faisait pas partie de la famille. Il avait été trouvé aux jardins de Jnane Sbil, muni d'une gargoulette, vendant de l'eau aux promeneurs. On avait alors pris pitié de lui et on l'avait recueilli. Namouss vivait cette histoire comme un drame. Il évitait de faire des bêtises, car, chaque fois, on la lui ressortait en l'accompagnant d'une menace. S'il récidivait, on allait lui rendre sa gargoulette et le lâcher à Jnane Sbil pour qu'il reprenne son ancienne activité. Où était cette maudite gargoulette? Namouss l'avait  recherchée partout dans la maison, en vain. Le doute ne le quittait pas, même aux moments où une bonne atmosphère régnait dans la famille et qu'on s'évertuait à le rassurer, à lui présenter toute cette histoire comme une blague. Mais, dans les moment néfastes, on poussait encore plus loin la plaisanterie. Puisque c'était un enfant trouvé, plus tard, quand il serait en âge de se marier, personne ne voudrait de lui. Un jour, il fut surpris en train de dire que les enfants ne devaient pas embêter Aâssala la femme aux chats, meskina, la pauvre et quelqu'un s'écria:"On a trouvé! On va le marier avec elle!"
Illustration: Matteo Brondy (1866-1944), Marchand ambulant
Le fond de la jarre, Abdellatif LaâbiConsidéré comme l'une des grandes figures intellectuelles du Maghreb, Abdellatif Laâbi est né en 1942 à Fès. Ses activités d'opposant au Maroc lui valent d'être emprisonné de 1972 à 1980. Il vit en banlieue parisienne depuis 1985. Son vécu est la source première d'une oeuvre plurielle ( poésie, romans, théâtre, essais, écrits pour la jeunesse) sise au confluent des cultures, ancrée dans un humanisme de combat, pétrie d'humour et de tendresse.Sa voix de poète, largement reconnue, vient d'être encore distinguée par un prix Goncourt de la poésie 2009.
Il écrit à propos de son roman: Le Fond de la jarre est assurément le livre que j’ai écrit avec le plus de jubilation. Je le portais en moi depuis longtemps, et souvent je me suis demandé si j’allais pouvoir le réaliser. Le défi était rude : comment, au vu de l’abondante littérature autobiographique d’hier et d’aujourd’hui, faire œuvre imprévue, reliant d’une part le vécu à l’Histoire et à l’état de la société, et faisant place d’autre part à l’imagination sous la surveillance bienveillante de la mémoire ? La réponse est survenue grâce au ton qui s’est imposé presque naturellement, tendrement ironique, facétieux à souhait, servi par une langue française accueillant pour l’occasion à bras ouverts ma langue natale, celle populaire de la ville de Fès. Du coup, la « comédie humaine » dont j’ai été, enfant, l’un des protagonistes, pouvait être rejouée (avec tambours et trompettes, c’est le cas de le dire) à plus d’un demi-siècle de distance, probablement pour une ultime représentation. Le Fond de la jarre en est l’enregistrement, et le « master », comme on dit en jargon technique. Alléluia, l’humanité de mes origines est ainsi sauvegardée, joyeusement !Abdellatif Laâbi
Un grand coup de coeur pour ce délicieux roman que j'ai lu ce week-end avec plaisir et jubilation!

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