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Gabriel Matzneff, Voici venir le Fiancé

Publié le 28 juillet 2010 par Argoul

gabriel-matzneff-voici-venir-le-fiance.1277199661.jpgTout commence dans ce roman par une bonne bouffe entre amis, mais la scène se passe évidemment à Naples. Ces amis sont de vieux routiers de l’univers matznévien, mais évidemment tous sont dilettantes et aucun ne travaille dans le sens besogneux qui est le lot de la plupart. Tous sont lettrés, originaux, intelligents, mais il n’y a évidemment que trois femmes pour six hommes. La date est évidemment jour de saint Tryphon, ce qui place le roman sous le double patronage de l’Eglise orthodoxe et de Tintin. Vous doutez de cet écart ? Matzneff fera surgir cette phrase pour vous en convaincre : « le père Philippe Carderie fut fait grand chartofylax du trône œcuménique » p.78.

C’est que nous entrons dans un autre monde. Celui d’avant, celui d’ailleurs, celui de la littérature. Où un ecclésiastique ne peut être tout simplement un moine ou un prêtre mais, comme dans ‘Alice’, au moins un « hiéromoine » ou un « archiprêtre ». Pour les ignorants que nous sommes presque tous à cause de l’Education nationale, ‘hiéros’ est le mot grec pour sacré. Y aurait-il jeu de mot pour dire « sacré moine ! » ou ce terme est-il estampillé orthodoxe ? Matzneff nous le laisse deviner, ce qui n’est pas sans charme. Car l’humour, sous la forme de légèreté qui est la marque du XVIIIe français, est l’épice de la littérature.

Nous sommes dans l’Italie contemporaine car c’est là qu’il fait bon vivre aujourd’hui. Nous sommes chez les moralistes antiques romains car c’est là qu’il fait bon lire au soir de sa vie. Nous sommes jetés in petto dans les pompes orthodoxes car c’est là qu’il fait bon nicher son âme. Et pourtant, nous sommes en 2006 : voilà qu’Internet débarque dans la littérature française !

Chacun subit le poids des ans et garde les souvenirs d’une vie bien remplie. Il faut désormais s’alléger pour pouvoir s’élever vers le Ciel, libéré, détaché des pesanteurs terrestres. Dépouillez-vous volontairement pour être prêt car « Voici venir le Fiancé au milieu de la nuit, bienheureux le serviteur qu’il trouve éveillé ; indigne est celui qu’il trouve assoupi ! » L’homme juste ne s’endort pas sur ses lauriers mais prépare l’au-delà. Qu’il existe ou non : solder ses dettes et régler ses comptes avant de partir est une saine discipline morale.

Le hiéromoine Guérassime s’est détaché en monastère, l’archiprêtre Philippe s’est confié à l’église catholique romaine, l’avocat Béchu s’est exilé de la vieille Europe jusqu’en Asie. Le professeur de lettres Alphonse ira s’alléger en Suisse avant de s’envoler depuis les Pays-Bas, pays tolérant au suicide volontaire. Le cinéaste Raoul larguera enfin sa tarée de pétasse, narcissique et infantile, qui le bombarde de pas moins de 343 sms lors d’une nuit de dimanche au lundi. Nil l’écrivain fera don de ses archives à la Bibliothèque de la Mémoire, en cartons dénommés avec l’aide d’une charmante stagiaire ; il exhumera ainsi les lettres et photos de 136 amantes répertoriées durant sa vie, plus une poignée de jeunes garçons en sa jeunesse des années 1970, comme il était d’usage dans les milieux artistes. Les femmes, la baronne Cramouillard, Nathalie de La Fère et la jeune Lioubov, sont plus légères par constitution, prêtes sans état d’âme le moment venu.

C’est dire si ce roman n’est pas composé selon les principes en vigueur du storytelling exigé par les feuilletonistes d’Hollywood. La culture n’est pas le divertissement et l’action est ici, à la française, surtout psychologique. Toute l’action de dépouillement est resserrée avant la Pâque, époque de grand nettoyage spirituel avant la Résurrection. Des passions à la Passion, voilà qui est très matznévien. Nostalgie ? sans excès : « la nostalgie est un élixir qui, revigorant à petites doses, peut être fatal à ceux qui en font un usage immodéré. Les fantômes ont leur charme, à condition que nous ne leur permettions pas de nous hanter chaque nuit » p.20. Entre-soi ? surtout se reconnaître et parler entre égaux, « être fiers de n’être pas dans le ton du jour » p.28. Ici et maintenant ? mais ni sans ailleurs ou au-delà : « Balançant depuis son adolescence entre saint Paul et Pétrone » p.103. Mais réservé, maître de soi-même parce « qu’il faut se garder de paraître trop heureux ; qu’un excès de bonheur indispose les gens qui ne vous aiment pas, et aussi ceux qui vous aiment » p.149.

Surtout à Paris, ville de cour où chacun s’observe, suivant comme bêtes de Panurge la chèvre ou le bouc qui donne le ton. Ville où, quand vous n’êtes plus actif, vous n’êtes plus rien. « Depuis qu’il avait renoncé aux joies du barreau, il s’ennuyait ferme à Paris, ville indifférente où être à la retraite signifiait ne plus exister aux yeux des gens, ville froide… » p.161. Capitale d’un pays déclinant, vieillissant, virant conservateur et moraliste. « Ville jalouse, renfrognée, grincheuse, cette ville de papier mâché » p.309. Tout le contraire de sa rébellion de jeunesse après 1968 : « ah ! les années 70 ! (…) Qui ne les a pas vécues ne sait pas ce que sont l’insouciance, la liberté… » p.129.

Mais ce livre est un roman et nous restons en littérature, là où tout est possible. Où tout est vrai sans pour autant être réel. « Chez un artiste, l’essentiel [est] l’œuvre et, d’un strict point de vue d’esthète, peu import[e] que celle-ci [soit] véridique ou fondée sur un mensonge » p.200. Voilà un masque de plus – comme à Venise – bien loin du déballage indécent des ego en sms, fesse-bouc, twit, blogs et autres chats de l’impudeur médiatique. Là où chacun recherche son quart d’heure de célébrité - au détriment de sa trace dans l’éternité.

Vous l’avez compris au ton de cette note, la lecture de Matzneff est jubilatoire. Son livre, classique dans l’actuel, donne de la joie pour la journée.

Gabriel Matzneff, Voici venir le Fiancé, 2006, La Table Ronde, 314 pages, 18.05€. 


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