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«Jean Michel, do you want to drink something ?»

Publié le 31 juillet 2010 par Anne Onyme
(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent. J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la France dans le numérique).
D’aucuns pourraient se demander d’où me vient cette idée saugrenue de mettre en oeuvre en France un réseau de télécommunications à TRES haut débit, à base de fibre optique...
C’est pourtant simple. Ce jour-là, on m’avait proposé de boire quelque chose... Les mauvais esprits diront que c’était sans nul doute une potion magique permettant à des faibles d’esprit d’entrevoir, dans des volutes de fumée dignes d’une fumerie d’opium, des futurs incroyables. Non,non... Foin de tout cela. D’ailleurs, le serveur de l’élixir n’était autre que John Chambers, le sémillant chairman de Cisco. Qui n’a rien à voir avec notre Panoramix gaulois... John, avec lequel j’ai passé des instants précieux sur justement l’organisation des sociétés humaines sur la base d’un réseau optique public à très très haut débit...

Mais que je vous narre la chose par le menu...


J’avais donc été convié en novembre 1997 au «Cisco CIO Summit»»... CIO pour «chief Information Officier» (en gros les directeurs informatiques)... Je n’étais nullement Chief Machin au sein du groupe de la Compagnie Bancaire. Mais Thierry Labbé, le CEO de Cisco France de l’époque (CEO pour Chief Executive Officer - vous suivez ?) a dû penser que, compte tenu de mon action pour faire connaître l’Internet en France (et donc faire vendre des routeurs aux fabricants de routeurs comme Cisco), je méritais d’y participer... Thierry, que j’appelais familièrement Monsieur l’Abbé, et qui doit être chez Dell aujourd’hui...
Suprême honneur. En plus, au frais de la princesse. Et devinez où ? A Palm Springs Californie USA. Long voyage en avion jusqu’à Los Angeles, puis autre avion à hélice pour Palm Springs dans le désert qui n’est pas très loin de Los Angeles : environ 200 kilomètres à l’est.
Arrivée au soleil couchant... Magnifiques paysages... Hôtel de type hacienda mexicaine. J’ai oublié son nom, mais lui aussi remarquable...
Le Summit a duré 2,5 jours si j’ai bonne mémoire. J’étais je crois, le seul Français à y participer... Environ 100 à 120 personnes... Petit comité donc.
John Chambers, le patron de Cisco, est resté avec nous pendant toute la conférence. Il était partout et toujours là : président de séance, speaker, poseur de questions, animateur de tables rondes, discutant avec tout un chacun... Et garçon de café à l’occasion... Une activité débordante, le John. Et pas bling-bling pour un sou...
Il a fait une remarquable introduction le premier jour en se baladant dans les allées du ballroom de l’hôtel, faisant dérouler ses slides avec une petite télécommande. Capture d’écran 2010-07-31 à 09.11.14 Je dois dire que ce monsieur a loupé sa vocation. Il aurait dû faire du théâtre ou de la politique. Ce qui revient au même.. D’ailleurs, on disait dans les cercles autorisés californiens qu’il aurait un jour l’intention de devenir Gouverneur de ce noble Etat, et peut-être... Et peut-être plus...
Bref, je ne me suis pas ennuyé à ce CIO Summit de 1997.
Et le deuxième soir, en prenant le frais dans le patio en plein air de l’hôtel, je discutais avec une très jolie femme, d’origine indienne de l’Inde, avec de très longs cheveux noirs noués en tresse. Et qui par ailleurs était VP de quelque chose chez Cisco. Et là, un gars s’est approché de nous par l’arrière, en nous demandant ce que nous voulions boire... C’était Chambers. Qui nous a proposé un coke (et pas un truc magique - encore que le coke....). Et, tel un garçon de café stylé et prévenant qu’aurait certainement embauché le Grand Café place de l’Opéra à Paris, John est revenu avec nos cokes et le sien ... Il s’est assis à notre table (sur le coup je n’ai pas pu m’empêcher de penser - vous connaissez mon esprit toujours mal tourné -  que ce n’est pas un patron du Cac 40 gaulois qui se serait abaissé à servir quelque chose à boire à quelques glandus..).
J’ai continué ma conversation avec la dame, et John s’en est mêlé... Les deux m’ont fait un cours sur la façon dont ils voyaient l’organisation des réseaux de télécommunications dans le proche futur. Tout serait traduit en paquet IP (le texte, la voix, la vidéo, la photo, ...). Les technologies analogiques avec lesquelles les sociétés humaines modernes s’étaient organisées allaient disparaître. Ce qui devraient donner naissance à de nouvelles applications (la visiophonie, le 3D, etc..). Et tout passerait par la fibre optique qui arriverait jusque dans les foyers, avec des lasers qui moduleraient les transferts d’informations. Bref on quittait les électrons pour passer aux photons. Ce qui devrait donc modifier en profondeur l’organisation des sociétés humaines... Et mon indienne aux cheveux noirs de poursuivre : «Nous assisterons à la mise en place des routes optiques (les infrastructures), puis des voitures (les applications nouvelles que permettraient d’écouler ce nouveau trafic).
Sur le coup, je les ai pris pour de doux dingues. Et puis en réfléchissant dans l’avion du retour et après...

Je suis revenu à Paris, et après réflexions approfondies.. Jean Louis Gasse m’y a d’ailleurs beaucoup aidé. J’avais demandé à l’ex-patron d’Apple de venir nous faire une conférence à l’Atelier de la Compagnie Bancaire. Le thème qu’il a choisi : «Emperors versus Barbarians» : les Empires qui se sont créés sur de vieilles technologies analogiques, les Barbares qui vont créer de nouveaux empires sur de nouvelles technologies en bousculant les vieux empires... (promis, je vous raconterai - car cela m’a donné l’occasion d’être traité de marxiste par un professeur d’HEC, devant tout le monde...).

Après réflexions approfondies donc, je suis allé voir mon président de l’époque André Lévy-Lang. En fait André avait quitté la Compagnie Bancaire, et était devenu Président de Paribas en 1990 je crois, mais comme Paribas détenait 50% du capital de la Bancaire, on le voyait encore souvent dans les couloirs de la Compagnie Bancaire (j'avais donc bypassé mon Président direct aujourd'hui décédé : Bernard Muller). J'ai proposé à Levy-Lang d’essayer de mettre sur pied une expérience de type Vélizy TRES haut débit... Pour les plus jeunes qui ne sauraient pas, les pauvres (!), Vélizy, petite ville de la banlieue ouest de Paris, avait servi de test pour le vidéotex français. Hors de question d’aller voir France Telecom qui venait d’être privatisé. En fait j’y suis allé : ils ont bien rigolé - ils avaient encore en tête le souvenir cuisant de Biarritz et de son réseau de vidéocommunications, du Plan Câble, et d’autres X-chimères...
L’idée était de trouver un élu qui accepterait de fibrer sa collectivité locale. Au même titre qu’il gère d’autres infrastructures (routes, eaux, ..), il pourrait aussi gérer son réseau optique. Ce qui nous aurait permis à la Compagnie Bancaire, mais aussi à d’autres, de tester ces nouveaux types de service, en attendant que tout le pays soit fibrer pour étendre les applications qui auraient passées le barrage du test...
Pour ce qui nous concernait par exemple, le concept d’agence de banque visiophonique avec co-browsing et objets métiers nous intéressait au plus haut point. L’une de nos filiales Cofica avait d’ailleurs amorcé la chose avec une système d’aide à la vente de crédit automobile avec visiophonie en concession automobile, mais sur Numéris - ce qui nous coûtait la peau du derrière - mais le test a été très concluant : le recours à crédit pour l’achat d’une voiture a été multiplié par deux. Alors que nous n’avions aucun vendeur physiquement présent dans la concession...
Lévy-Lang en 3 minutes de réflexion (les grands chefs qui ont fait l’X réfléchissent beaucoup plus vite que le commun des mortels, j’ai eu à le constater plusieurs fois), m’a dit que c’était une bonne idée et que je devrais me mettre en relation avec le département à Paribas qui s’occupait de conseiller et de financer certaines collectivités locales... Ce que j’ai fait... J’ai ensuite pris mon bâton de pèlerin pour visiter tout un tas de collectivités dans la France d’en bas, comme a dit plus tard qui vous savez...
Là aussi, j’ai vécu des histoires pendables que je vais raconter un de ces jours... La mère Aubry à Lille (qui n’était pas là...), le maire de Versailles et ses petites confitures «grand siècle», Perben à Chalons sur Saône et son exquis Vosne-Romanée, le maire de Montfort l’Amaury qui ne veut pas de jeunes dans sa commune, et naturellement feu André Labarrère maire de Pau qui de suite, m’a demandé s’il pouvait m’appeler Jeanmimi. De quoi écrire plusieurs tomes de contes à dormir debout...
J’ai revu Chambers à Paris à plusieurs reprises. Il se souvenait de ma binette, mais pas de mon nom. Cisco France m’a aussi invité par la suite deux ou trois fois à la remise des prix Nobel à Stockholm et à Oslo (c’est dans la capitale norvégienne que se remet le prix Nobel de la Paix). A l’occasion des conférences que Cisco organisait pour la circonstance à Stockholm, j’y ai fait des rencontres étonnantes comme celle avec Vint Cerf par exemple qui ressemble à deux gouttes d’eau à mon grand-père maternel, qui comme chacun sait, est né dans l’Ohio - in the middle of nowhere - (sa mère était là quand même...) ... Vint que l’on présente comme le père de l’Internet... (ce qui n’est pas complètement vrai... comme vous ne le savez probablement pas, le père du datagramme - la structure des paquets IP - est Français et se nomme Louis Pouzin - histoire étonnante que celle de Pouzin qu’il faudra que je raconte un jour). C’est là aussi, où à l’occasion d’un dîner officiel, j’ai revêtu pour la première fois un smocking. Qu’est ce que j’étais mignon, à côté d’Anne Lange ex-conseillère de notre Fillion, et qui a quitté la Gaule pour la Silicon Valley et Cisco. Elle portait une robe de soirée avec un décolleté sublime ... Mon Dieu, j’adore les routeurs et la fibre optique...
Capture d’écran 2010-07-31 à 09.41.04

Bref, ce CIO Summit de 1997 a été pour moi un révélateur... Mais cela prend du temps pour changer les habitudes d’un peuple, surtout s’il est gaulois, et qu’il a toujours peur que le ciel ne lui tombe sur la tête... La preuve ? Il a fallu une bonne dizaine d’années pour que notre aimable élite analogique commence à se dire que cela serait quand même pas mal que l’on réfléchisse à... et que de toute façon on ne pourra pas faire autrement... blablabla... Alors qu’il y a encore quelques mois, ceux qui préconisaient la fibre, étaient traitées de cinglés... (j’en sais quelque chose)..
Ah ! J’oubliais... L’un des orateurs invité par Chambers à ce CIO Summit de 1997 était un certain Gates. Bill Bates. Ce Bill nous a fait un discours que l’Histoire ne retiendra pas. En gros, il nous a dit que Windows, c’était bien. Bill à l’époque était un monsieur très pressé... Mais j’ai réussi à le coincer au sortir de sa conférence, pour essayer de lui vendre quelque chose... Si, si vous avez bien lu...  J’eusse pu y arriver, mais les Cieux en ont décidé autrement...
Promis, je vous conte la chose dans un prochain conte de l’Internet.. Qui ne sont pas tous à dormir debout...
Contes déjà publiés sur ce blog...
La prime de secrétariat, Ciel une puce dans mon yaourt !
 

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