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Classe moyenne (2) : Pourquoi la classe « moyenne » ?

Publié le 19 décembre 2007 par Argoul

Mots-clés : niveau de vie, classe moyenne, middle-class, constellation centrale, France, éducation, salaire, revenus, travail, partis centristes, pauvres, riches, patrimoine, clase ouvrière, classe supérieure, agriculteurs.
English summary: Modern industrialised societies appear to be complex and unsettled. The social power is hidden, mixed in many ways. The middle-class feeling is a reality in France where a majority of people declares to belong to middle-class. For criteria, education and consumer is the sociological one, salary composing the main part of revenue is the economic one, and the favour for centre or unifier party the political one. The real class struggle is nowadays more between middle-class and the very (and very few) rich persons, classified mainly by patrimony. Work is making middle-class, patrimony upper class.

Les sociétés industrialisées sont des sociétés qui deviennent complexes et mouvantes ; elles masquent donc la dominance en mêlant inextricablement pouvoirs politiques et militaires, culturel et économique. Les modes de vie s’homogénéisent tandis que les tensions masquées exigent la soupape du débat politique. L’économique étant moins prenant grâce à la hausse générale du niveau de vie, les comportements de prestige ou la ‘hauteur de vue intellectuelle’ (Mannheim) deviennent des enjeux plus forts.

La grande affaire de la république française – et du radicalisme Troisième république – a donc été de faire converger la population vers une constellation centrale, ‘pivot de la société’ et politiquement modérée : la classe moyenne. Pour cela, en accompagnement de l’essor économique, éducation, services publics et transferts sociaux ont été mis en œuvre pour réduire les inégalités et produire de la mobilité sociale. Cet engagement public a favorisé de son côté l’économie en éduquant, régulant, bâtissant des infrastructures, assurant santé, retraite et des négociations sociales.

Avec succès, puisque le sentiment d’appartenir à la classe moyenne en France a doublé depuis les années 1960 (critère subjectif). La préoccupation pour l’éducation et la consommation culturelle continue de marquer la stratégie de classe moyenne (critère sociologique). Le salaire compose toujours la part presque exclusive du revenu (critère économique). On pourrait ajouter une nette préférence pour les partis centristes ou pour les rassembleurs (critère politique).

Est-ce à dire qu’il n’y a plus de très pauvres ni de très riches en France ? Que nenni : ladite « classe moyenne » exclut d’une part les 10% de ménages dont près de 40 % des revenus proviennent des prestations sociales (premier décile des revenus déclarés) et d’autre part les 10% de ménages dont l’essentiel des revenus provient du patrimoine et pour lesquels le taux d’imposition direct « moyen » est de 25 % (dernier décile). On peut même pointer 1% de carrément « exclus » et 0.01% de carrément « très riches ». La classe « moyenne » est cependant largement majoritaire selon les trois critères :

• économiquement, elle regroupe environ 80% de la population,
• sociologiquement, elle fait converger la culture vers ce que les intellos (qui veulent s’en distinguer) appellent la ‘culture de masse’,
• politiquement, elle joint « 2 Français sur 3 » selon le titre du livre de Valéry Giscard d’Estaing, dans un consensus ‘modéré’.

Mais les 10% des patrimoines les plus élevés dans le patrimoine total sont beaucoup plus forts que les 10% des revenus les plus élevés. Il y a donc un vrai hiatus entre les neuf dixièmes des ménages et les quelques pour-cent des riches (eux-mêmes très écartés entre eux puisque 0.01% sont multimilliardaires). Thomas Piketty, « le décile supérieur de la hiérarchie des revenus est un monde en soi : il comprend aussi bien des foyers dont le revenu est à peine plus de deux fois plus élevé que le revenu moyen de la population et des foyers disposant de ressources plusieurs dizaines de fois supérieures. Cela explique sans doute pourquoi tous ces “hauts” revenus ne sont souvent pas considérés comme tels » (Les hauts revenus en France au XXe siècle, Grasset, 2001). L’université de Montréal commente : « La plus grande part de l’augmentation enregistrée par les 10% les plus riches l’était en fait par le 1% le plus riche. Parmi ce 1%, 60% de l’augmentation est allée aux 0,1% les plus riches. Et parmi ces 0,1%, près de la moitié de la hausse est attribuable aux 0,01% les plus riches. » A propos des Etats-Unis, où l’inégalité est plus fortement marquée par individualisme, « les 14 000 contribuables situés tout en haut de l’échelle des revenus - leur part du revenu total est passée de 0,65 % en 1980 à 2,87 % en 2004. »

La France est plus redistributive, mais l’âge est comme ailleurs fortement corrélé au niveau de patrimoine. L’évolution des salaires aussi : quoi de commun entre toucher le revenu médian à 25 ans et le toucher à 60 ans ? Les seuls critères du revenu et du patrimoine éludent toute mobilité sociale au profit d’une définition statique. D’autant que les transferts sociaux ont rapproché les premiers déciles du revenu médian depuis 30 ans, tandis que la fiscalité des revenus et du patrimoine se concentre sur le haut de la distribution. Classer est donc compliqué.

Mais il ressort que, comme dans les autres pays :

  • c’est bien le travail (donc le revenu) qui crée la classe moyenne ;
  • en revanche, c’est le patrimoine qui reconstitue les castes.

D’autre part, l’espace symbolique des classes moyennes existe. Ce sentiment d’appartenance est la version édulcorée de la « conscience » marxiste. Une enquête ISSP 1999 de l’Insee sur les inégalités révèle que 51% des Français se classent d’eux-mêmes dans la ‘classe moyenne’. 19% se reconnaissent dans la classe ouvrière et 2% dans la classe ‘supérieure’. Les stratégies de mobilité incitent 10% de plus à se dire appartenir à la classe ouvrière haute et 16% au haut de la classe moyenne – soit 77% pour le total de la « classe moyenne ». En termes de catégories socioprofessionnelles, seuls les agriculteurs ne savent pas trop où se classer. Mais 69% des artisans, commerçants, contremaîtres, employés, instituteurs et professions intermédiaires se disent de classe moyenne, de même que 73% des chefs de petites entreprises, professions libérales, cadres du public et du privé.

La « classe sociale », dans le quotidien, n’implique pas une position de dépendance marxiste, mais une revendication de position socioculturelle wébérienne. Ce que les gens épargnent et dépensent ne dépend pas du niveau réel de leur pouvoir d’achat mais de la comparaison qu’ils font avec leurs pairs. La consommation est « ostentatoire » (Veblen), il est nécessaire de faire bonne figure devant ceux que l’on côtoie tous les jours, ceux de « son milieu ». C’est ainsi qu’une enquête au 6 décembre, réalisée par TNS-Sofres pour le groupe Casino, montre que 43% des cadres souhaitent offrir un livre ou une BD, contre 32% seulement des professions intermédiaires, 22% des employés et seulement 11% des ouvriers. 

Selon Louis Chauvel, en 1955 le salaire d’un cadre était de 3.9 fois celui d’un ouvrier ; en 1965 de 4 fois – mais en 2000 de 2 fois seulement. Il montre que les inégalités de salaires en France ont nettement déclinées et se sont stabilisées entre 1954 et 2000. La hausse du niveau de vie des classes moyennes se fait par le salaire, pas par le patrimoine. Le principal des variations de richesse a été – et de loin ! – la variation des revenus salariaux. L’immobilier puis la bourse ont compté sur la période pour respectivement trois fois et dix fois moins dans les classes populaire et moyenne.

Demain : (3) La société de classe moyenne est-elle remise en cause ?
Hier : (1) Qu’est-ce qu’une classe sociale ?


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