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Un été avec Proust: du côté de chez Swann (3)

Par Jazzthierry

barometre.1281092645.pngQuel est le rôle du père du narrateur ? Habituellement, dans le livre qui nous occupe, les spécialistes retiennent au moins trois aspects. Le père est d’abord celui qui, armé de son baromètre, se passionne pour le temps, c’est-à-dire la météo : « mon père, nous confie le narrateur, (…) examinait le baromètre, car il aimait la météorologie, pendant que ma mère, évitant de faire du bruit pour ne pas le troubler, le regardait avec un respect attendri, mais pas trop fixement pour ne pas chercher à percer le mystère de ses supériorités ». C’est d’ailleurs si important à ses yeux, qu’il juge les individus à l’aune de leur intérêt avoué ou supposé pour la météorologie. Par exemple Bloch l’ami de son fils, manifestement insensible à cette science révérée par le père, est de façon définitive, considéré comme un idiot: « Monsieur répond-il au père qui l’interroge justement sur le temps qu’il fait, je ne puis absolument vous dire s’il a plu. Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier. » Une autre des «supériorités» du père semble aussi résider dans sa parfaite maitrise de l’espace, ce qui d’ailleurs fait l’admiration de son épouse dépourvue semble-t-il, du moindre sens de l’orientation…

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S’agissant plus précisément des relations entre le père et son fils, le lecteur d’aujourd’hui est frappé par la grande distance qui les sépare constamment. Au contraire, la mère est presque réduite dans le roman à cette proximité, aux histoires qu’elle lui raconte le soir, et surtout au baiser très affectueux que le narrateur attend impatiemment et qui lui ouvre presque immédiatement les portes du sommeil: « ma seule consolation, dit-il, quand je montais me coucher, était que ma maman viendrait m’embrasser quand je serais dans mon lit ». Sur ce fameux baiser, on trouve un épisode très connu qui nous révèle un autre aspect du caractère du père: un soir, la présence de Swann, un ami de la famille, ne permet pas à la mère de se soumettre au rite du baiser. L’enfant terriblement frustré, imagine alors un subterfuge pour faire venir sa mère dans sa chambre; mais Françoise la domestique, extrêmement méfiante, tient bon face aux objurgations, essentiellement grâce à un mystérieux code: « elle possédait à l’égard des choses qui peuvent ou ne peuvent pas se faire un code impérieux, abondant, subtil et intransigeant sur des distinctions insaisissables et oiseuses». Quand les parents rejoignent finalement leur chambre au milieu de la nuit, ils trouvent l’enfant debout et désespéré dans le couloir, murmurant «je suis perdu !»… La mère imagine le pire mais une chose étrange se produit alors: le père loin de se mettre en colère, demande à son épouse d’aller dormir exceptionnellement dans la chambre de son fils, pour mieux le consoler de son immense chagrin. Pour L’universitaire Mireille Naturel, que j’entendais récemment à la radio, le père aurait durant cette scène fondamentale, je cite : «renoncé à son autorité». Je crois pour ma part qu’il s’agit de tout autre chose, et que l’on fait fausse route à vouloir absolument plaquer des schémas peu ou prou freudiens sur les personnages de la Recherche.

Il faut comprendre que le père est au dessus du «code» et des lois qui régissent l’ordre de la maison et que Françoise se refuse à enfreindre, mais ne partage pas davantage les principes de la grand-mère du narrateur. Bref, ce qui définit l’autorité du père, c’est une forme d’arbitraire, parfaitement imprévisible et qu’il faut accepter même si ses ordres paraissent parfois injustes et contradictoires: « mon père révèle le narrateur, me refusait constamment des permissions qui m’avaient été consenties dans les pactes plus larges octroyées par ma mère et ma grand-mère parce qu’il ne se souciait pas des « principes » et qu’il n’y avait pas avec lui de « Droit des gens ». Pour une raison toute contingente, ou même sans raison, il me supprimait au dernier moment telle promenade si habituelle… ». Plus loin, il parle de cette capacité qu’avait son père non seulement à transgresser mais à le pousser à dépasser des lois apparemment immuables: « il était si puissant, dit-il évoquant son père, (…) qu’il arrivait à nous faire transgresser des lois que Françoise m’avait appris à considérer comme plus inéluctable que celles de la vie et de la mort, … ».

En somme à l’instar de Dieu, maitrisant en apparence lui aussi le temps et l’espace, le père alterne à l’égard de son fils entre des sentiments souvent opposés: colère et clémence; compassion et punition. On peut - plus modestement - rapprocher cette attitude de celle du Président exerçant son droit de grâce ou bien, celle d’un roi quelconque faisant preuve d’indulgence et de clémence à l’égard d’un condamné qui s’était pourtant résigné à subir les pires châtiments: ce faisant, il ne renonce guère à son autorité mais au contraire, la renforce aux yeux du monde.


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