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Toxicomanie: les retours de l’enfant prodigue

Publié le 06 août 2010 par Raymond Viger

C. Morency  

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Combien de parents cherchent désespérément leur enfant, qu’il ait physiquement disparu ou qu’ils ne le reconnaissent plus dans ce qu’il est devenu. Empreinte de désespoir, de culpabilité, de regrets et de remords, la douleur ronge ses victimes jusqu’à les détruire. Nous avons connue cette douleur.

C’est par un froid matin de décembre que nous arrive ce fils tant attendu. Nous sommes des parents comblés, fiers et heureux. Dès son plus jeune âge, nous fondons beaucoup d’espoir en lui,  nous nous projetons en lui, c’est pourquoi nous tentons désespérément de l’amener à s’initier à toutes sortes d’activités.

Notre fils est de nature timide, voire inhibée. Il n’a que des goûts simples. Il est de plus d’une très grande sensibilité, il a tendance à s’isoler, à se réfugier dans le rêve ce qui a pour effet de nous faire redoubler d’ardeur pour le convaincre d’embarquer. À notre insu, nous refusons sa nature.

École et drogue

Dès sa rentrée à l’école, des problèmes plus sérieux se dessinent. Inquiets, nous consultons pour nous faire dire que notre enfant est tout à fait normal, qu’il n’est que différent, mais nous n’entendons pas à ce moment là le message qui nous propose de simplement l’accepter tel qu’il est et de cesser d’essayer de le faire devenir celui que nous voudrions qu’il soit. 

À l’adolescence, tout bascule: il s’oppose maintenant de façon agressive à l’autorité, il contrevient, la délinquance l’attire. Nous nous acharnons, nous l’inscrivons dans un collège privé où il sera, pense-t-on, mieux encadré, mais il est trop tard, il se s’intégrera pas à ce milieu.

À force de persévérance, nous parvenons à ce qu’il obtienne son diplôme d’étude secondaire et qu’il s’inscrive à une formation pour laquelle il n’a que peu d’intérêt. Sa réussite sera mitigée. À cette époque, il a déjà commencé à consommer différentes drogues. Nous nous doutons bien qu’il fume un joint de temps à autre mais nous ne nous en inquiétons pas outre mesure.

Quand il entre sur le marché du travail, il connaît là encore certaines difficultés que nous attribuons à sa malchance légendaire et nous refusons toujours de voir son malaise et son désarroi. Nous sommes tout de même fiers de ce qu’il a accompli, connaissant et admettant désormais sa vulnérabilité.

Nous tentons tant bien que mal de l’encourager, de façon trop souvent maladroite. Nous continuons de croire qu’un jour il s’éveillera et sortira miraculeusement d’une condition inexplicable et inacceptable pour les parents que nous sommes.

Rupture amoureuse et drogue

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Il a maintenant des dettes, sa conjointe menace de le quitter, il s’enlise. Il consomme de plus en plus et les effets secondaires commencent à se manifester. Il souffre de psychose toxique et de paranoïa,  il nous effraie. 

C’est la déchéance totale, nous devons faire appel à la police pour nous protéger de lui. Nous n’abandonnons pas pour autant, nous réunissons la famille et tentons le tout pour le tout. Nous obtenons de lui qu’il entre en thérapie mais c’est peine perdue, il en ressort au bout de deux jours et retombe encore plus bas. Il vit maintenant dans la rue et dans des refuges pour itinérants. 

On nous a souvent conseillé, au cours de cette période, de l’abandonner totalement. C’était, nous disait-on, le seul moyen de l’aider ou au moins de ne pas sombrer avec lui. Mais comment peut-on refuser de nourrir et d’abriter son enfant, celui dont on rêvait et en qui on continue de croire malgré la cruelle réalité. On ne laisse pas un chien dehors.

Nous n’aurions pas pu nous y résoudre s’il n’y avait eu cette opportunité qui s’est presque miraculeusement offerte de tout quitter pour rejoindre notre fille à cent lieux de chez nous. Nous sommes donc partis, la mort dans l’âme. Je le revois encore assis sur un banc de parc, la tête entre les mains, pleurant suite aux adieux que nous venions d’échanger. 

Il m’a fallu puiser dans ce qui me restait de courage pour ne pas faire demi-tour et le prendre dans mes bras, mais j’avais passé le point de non-retour, j’avais lâché prise, enfin presque, car je ne pouvais m’empêcher de rêver que, peut-être un jour, nous nous retrouverions.

Il a fallu aussi beaucoup de courage à mes deux autres fils pour assumer à notre place le rôle ingrat de refuser l’accès au domicile familial à leur frère. Ils ont fait preuve de fermeté mais aussi de beaucoup de compassion. Ils ont acquis une certaine maturité au cours de cette expérience qui leur servira sans doute dans leur vie personnelle. Comme quoi on peut toujours retirer quelque chose de positif même de situations qui nous semblent pourtant stériles.

Difficultés d’une thérapie

Ce n’est que neuf mois plus tard, comme au terme d’une nouvelle grossesse, que notre fils, à bout de ressources, a décidé de se prendre en main et d’entrer en thérapie. Ce n’est qu’après un premier mois, très douloureux pour lui mais aussi pour nous car nous avions complètement perdu sa trace, qu’il s’est enfin manifesté. Il a téléphoné à son frère le priant de nous avertir pour ne pas qu’on s’inquiète de lui. Puis nous avons pu communiquer avec lui. Ces échanges étaient très timides au début, pas question de s’emparer à nouveau de son problème, nous devions apprendre ou réapprendre à lui faire confiance et le laisser venir vers nous. 

Au bout de six mois de thérapie, il nous a invité à une remise de diplôme attestant de tous ses efforts. C’est avec émotion qu’il a livré son témoignage et que nous sommes venus nous joindre à lui pour dire notre bonheur de le retrouver.

Certains des jeunes et des moins jeunes qui assistaient à la scène, versaient une larme de joie mais aussi peut-être d’envie en nous écoutant. Trop de ces gens qui se retrouvent dans ces centres, ne sont en fait que des grands enfants négligés voire même abusés, que notre système social n’a pas su protéger quand il en était encore temps et qui n’ont que peu de recours pour se sortir de la misère morale dans laquelle ils stagnent.

Nouveau milieu de vie

Nous avons donc proposé à notre fils de tout recommencer dans un autre milieu, c’est-à-dire loin de ceux qui se disaient ses amis et qui risquaient de l’entraîner dans une rechute, de venir vivre avec nous au Manitoba. Notre fils est un homme courageux, il a sauté sur l’occasion et est venu nous rejoindre dès que ce fut possible. 

Il a fallu de part et d’autre réapprendre à vivre ensemble en évitant les pièges qui ne manquaient pas de se manifester. Nous avons, pour notre part, dû apprendre à composer avec une toute nouvelle personne, nous reconnaissions certains de ses traits de caractère bien sûr, mais nous découvrions aussi des aspects de lui qui nous étaient complètement étrangers. Nous avons dû nous faire violence parfois pour ne pas retomber dans nos vieux patterns. Que de discussions nous avons eu, son père et moi, afin de trouver un consensus pour faire face à des situations que nous appréhendions de façon différente.

Lui de son côté, je présume, a certainement connu des moments plus difficiles, mais comme il ne se livre pas beaucoup, nous avons dû apprendre à respecter cette réserve.

Nouveau mode de vie

Nous nous sommes, au fil du temps, aménagé un nouveau style de vie où chacun a dû faire sa place. Nous avons appris à mieux nous connaître et à nous apprécier. Peu à peu, une certaine routine s’est installée et nous avons retrouvé la sérénité. 

Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait et on ne peut jurer de rien, peut-être qu’un jour il nous quittera. Il en parle parfois, mais je crois que s’il le fait ce sera avec une toute nouvelle assurance, du moins je me plais à le croire. Cette pause dans sa vie lui aura permis de faire le point, de récupérer peut-être ce qui lui avait manqué et de repartir sur de nouvelles bases. 

Pour notre part, nous apprécions chaque instant  passé en sa présence, nous remercions le ciel de nous l’avoir rendu. Nous nous estimons plus que chanceux et nous compatissons avec tous les parents qui n’ont pas notre chance. Nous espérons enfin que notre société se fera un jour une fierté de venir réellement en aide à tous ces jeunes qui vivent des difficultés et à leurs parents. Nous souhaitons aussi qu’elle reconnaisse chaque réussite au même titre qu’elle reconnaît des succès sportifs ou artistiques, car sortir d’un tel enfer demande une énergie incroyable et un courage inouï. 


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