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Kanko ou Baamum laadé diwoodié

Publié le 08 août 2010 par Bababe

 « L’essentiel est invisible pour les yeux »  Saint ExupéryKanko ou Baamum laadé diwoodié

  Un authentique toubab* nous convia à un repas pour faire une surprise à Kanko, son hôte et ami pour l’anniversaire de ce dernier. Cette surprise en révéla une autre à certains de ses invités. Ils furent étonnés que Kanko pris pour un toubab, n'ait jamais eu à fêter cet évènement entré dans les mœurs de beaucoup dont ce n’est pas forcément la culture.

    La limite entre les principes et les faits culturels me rappela la réaction  d’un tioolo après ces éloges qu’il avait adressés à Kanko  «Séïdi Ba!  Si tu es le premier pilote de ton pays, ce n’est pas pour rien ! Dans ce pays de vents déchaînés, tu es le seul à oser les affronter et leur rendre leurs  gifles. Si on vous dit qu'un avion n'a pas décollé, c'est parce que  Kanko  n’est pas aux commandes...  etc.…  Frustré par la réaction de Kanko, insensible à ses louanges et flatteries, le tioolo se contenta simplement de le  qualifier de Toubab. Ce qui est tout à fait clément dans la bouche d’un tioolo, quand on sait combien sa « langue » peut être venimeuse et calomnieuse.  

  Le souvenir du tioolo  m’éloignait  un peu du présent. D’autant que mon esprit rêveur avait besoin d’une autre nourriture. Celle des fleurs, de l’odeur de la menthe fraiche, du vent doux et frais que les bonnes âmes soufflent (mojjo foofi)….  

 Est-ce parce que sa naissance était fêtée pour la première fois ? Ou les interrogations qu’impose un certain âge ? Peut-être tout ça.  Kanko avait laissé ce soir là, la parole au silence. Ce qui nous priva une de ses  interventions en français ou en peul qui capte l’attention. Celle avec ses  mille petites bifurcations pour préciser, pour remettre au conditionne, et toujours un zest d'humourl...Au coin, une  brutale franchise peut heurter sans déchirer le voile de la pudeur.  

  Un regard volé sur son visage, et je crus y déceler un apaisement et une douceur qui semblaient absorber toute la raideur et la rigidité naturelles ou convenues masculines. Des traits féminins prirent le dessus sur les traits masculins et laissèrent apparaître un visage d’une  femme belle. Ce visage m’était familier. C’était celui d’une femme douce et aimante. Je la reconnue.  C’était celui  de la mère de Kanko.  

Malgré les rires persistants déclenchés par un roi des jeux d’esprit  et de vannes, j’étais emporté loin dans le passé.    Je revoyais déjà  celle qui avait  dressé entre ses enfants et elle, un paravent tissé de lianes d’amour et de tendresse. Une femme  pleine d’affection aux expressions poétiques qui ne peuvent échapper aux âmes sensibles. Je l’entendais fredonner ce couplet qui revenait sans cesse. « mi loowi, miine yumum seidi la seidi, seidi ali seidi pudunoodo bafi lawbe, miine youmum Dooro pullo, Dooro pullo, ngaari gallé… »

   Qu’il était bon  pour ceux qui n’ont pas les pieds sur terre, de s’échapper de certaines blessures par  tes poèmes. Elles devaient être  un remède pour leurs âmes, quand des cœurs en feu de certains adultes dégageaient une fumée si piquante pour leurs yeux que ceux-ci puisaient de l’eau.  

C’est  de cette sensibilité que provenait l’affection généreuse dont  tu couvrais ta fille adoptive, Hawa.Dina, morte en couche dans son dikuru (première grossesse). Le dikuru, ce mot qui faisait trembler toutes ces villageoises qui accouchaient avec des moyens rudimentaires. Un drame que ton chagrin décrivit ainsi : « non seulement l’eau s’est versée mais le canaris aussi s’est cassée ». Hawa Sylla devenue Hawa.Dina , était une fille au sourire calme. Celle dont le village d’origine porte un nom aux accents guerriers qui semble lancer un défi éternel aux éventuels ravisseurs : Waassétaaké, (ne se perdra pas).  

C’est aussi une indulgence de ta part que ressentait une de tes vieilles belle-sœur qui s’appuyait sur sa canne et venait déposer auprès de toi, ses lamentations chantées, alors qu’elle avait laissé derrière elle famille et voisins.. Arrivée dans ta demeure remplie de monde, elle précisait qu’elle s’adressait à  toi, comme si l’orientation de ses pas et ses paroles chantées « Hé Dina ! Hé Dina ! », ne suffisaient pas pour l’indiquer. Elle était persuadée que tu viendrais avec elle pour une énième fois reprendre la corde des mains de son fils aîné qui  menaçait de se pendre si elle ne lui remettait pas tout le montant de leur mandat mensuel. Tu ne lui dirais pas comme les épouses de ce dernier et tous les autres, cette supposé vérité qu’elle ne voulait pas entendre : « c’est de la comédie,  du chantage ». La vielle dame, une  artisane de mots et d’expressions d’un autre genre, n’hésitait pas à jeter à la figure ses réparties acerbes à ceux qui osaient lui dire de négliger les menaces de suicide de son fils qu’elle avait accouché de son ventre. Ce qui avait fini par semer du silence sur son chemin entre chez elle et chez toi. On entendait plus que sa chanson plaintive : « Hé Diina ! Hé Diina ! ».  

Pour toi Dina.Ba, comme ceux qui sont à la recherche des trésors d’antan, je tenterai de consigner quelque part  tes poèmes. Pas seulement celle que tu m’avais dédiée « Coumba debbo windé luwa yoongo maayo » qu’il m’arrive de murmurer.  

 Tu étais bien une créatrice de formes expressives, une poète née, un auteur ;  mais de ceux dont les créations se consument  en cendre parce qu’elles ne sont répertoriées nulle part. Celui que j’appelle ici Kanko, que tout le monde appelle K et que tu appelais Seidi Aali Seidi,  qui a tant de fois rendu visite à Amadu Hampathé avec qui il s’entretenait,  saura certainement à quoi je fais allusion  à propos de l’oral qui brûle et sombre dans le néant.

Safi Ba

**tioolo : homme qui vit de ses louanges et flatterie.

**Toubab: est un mot d'Afrique centrale et de l'Ouest désignant une personne d'origine européenne. Utilisé principalement en Gambie, au Sénégal et au Mali, le terme n'a pas de connotation négative. lire la suite dans  Wikipédia


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