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Bienvenue chez les Strobbe

Publié le 31 décembre 2009 par Luxyukiiste
Bienvenue chez les Strobbe

La merditude des choses. Le titre du film est un appel irrésistible à la découverte. Dès le départ, il trône, vulgaire, sans-gêne, immanquable au milieu des autres sorties. Sur l’affiche, un bonhomme triomphant paraît être le héros d’une course cycliste à poil, pas loin des récompenses dont l’Amphore d’Or au dernier festival du film Grolandais, gage évident de qualité et indice supplémentaire sur le ton du bouzin. Une fois devant, les attentes ne sont pas déçues : la famille de freaks belges et l’univers dans lequel elle gravite est bien trash, vulgaire, alcoolique, bruyant, paumé et hilarant. Mais pas seulement : quand Ghunter, 13 ans, se rend compte que tout ça va beaucoup trop loin, l’envie lui prend de s’éloigner pour prendre contact avec son avenir. Pour faire apparaître une certaine gravité… qui sera la force et la faiblesse du métrage.

Bienvenue chez les Strobbe

Adaptation d’un livre de Dimitri Verhulst, La merditude des choses nous invite donc chez les Strobbe, qui vivent tous ensemble chez la grand-mère : en plus d’elle et de Gunther, il y a son père et ses trois oncles, qui, ensemble, forment une équipe adepte de beuveries, de remarques vulgaires et de paris idiots. Tous pataugent dans une vie pauvre dans tous les sens du terme, en culture, en manières, en projets, mais ont néanmoins des qualités certaines : le sens de la fête et le sens de la famille. Le bistrot du coin est le théâtre régulier de soirées endiablées et le village se rassemble autour d’évènements débiles comme la course nudiste ou le record d’alcoolisme. Le spectateur régulier de Groland se retrouve assez vite en terrain connu dans cette famille, ce qui ne manque pas de créer une vraie complicité entre gens bien amateurs d’humour bien gras et de provocation. Même s’ils vont parfois un peu loin, on se dit que les Strobbe savent s’amuser ! Et entre eux règne une camaraderie indéfectible : attaquer un Strobbe, c’est attaquer tous les Strobbe. Même s’ils se disputent parfois, ils défendent leurs biens et leur territoire contre les intrusions extérieures venues briser ce qui peut leur rester d’équilibre. La sympathie qu’on éprouve assez vite pour ces personnages aux gueules marquées nous fait profiter pleinement de ces séquences jouissives ou leurs savoir-faire se mettent en oeuvre. L’huissier, le jeu de l’oie, les filles, autant de passages qui ne nous épargnent ni les fluides divers ni les punchlines graveleuses.

Bienvenue chez les Strobbe

Pourtant, petit à petit, Gunther va se lasser de voir son père et son avenir se détruire. L’un par l’alcool, l’autre par l’échec scolaire qui le mène jusqu’au renvoi. L’autre langage universel et spontané que connaissent les Strobbe, c’est la violence. Quand Gunther la subira venant de son propre père aveuglé par la colère et la boisson, il comprend qu’il est temps d’aller chercher un coin plus propice à son épanouissement. Prises de conscience, découvertes, évolutions : oui, même les plus beaufs des beaufs peuvent changer, même si cela se fait au prix de beaucoup de souffrance et de drames évités de justesse. La douleur est aussi frontale que la connerie, pour nous faire voir les personnages dans toute leur ambiguïté et leur fragilité. Même en voyant l’inacceptable, on ne peut pas les détester tant on perçoit le drame qu’il y a à rester bloqué dans cette inculture et cette médiocrité, ce cercle vicieux d’où seules les volontés les plus fortes peuvent s’échapper. Les scènes les plus graves sont efficaces et donnent un coup dans le bide, grâce à une interprétation forte et efficace, y compris de la part du jeune Valentijn Dhaenens. Dans le numéro de Janvier de Brazil, le réalisateur Felix van Groeningen raconte son altercation avec Koen de Graeve, le père de Gunther dans le film, qui l’a convaincu de lui donner le rôle. C’est un mec super (…) il a un côté hyper chaleureux, mais tout à coup, quand c’est trop, quand il en a marre, il devient l’inverse. (…) Il fallait qu’il ait ces deux côtés ambivalents. Voilà qui résume bien cette famille et ce père : à la fois borderline, aimants mais proches de l’explosion à tout moment.

Bienvenue chez les Strobbe

Toutes les belles choses étaient détruites ou partaient de la maison, nous dit le narrateur en voix-off. Cette voix, c’est la même personne, Gunther, quelques années plus tard, sorti de ce monde mais pas vacciné aux ennuis. Devenu écrivain, il peine à intéresser les maisons d’édition et se retrouve avec une compagne portant un bébé qu’il ne veut pas avoir. Son visage ne laisse apparaître que de rares émotions ce qui fait sentir la marque de ces années passées dans ce cadre disloqué. Le film est fait d’aller-retour entre la vie adulte et l’enfance. Alors que toutes les séquences contant son enfance m’ont emportées, je suis resté assez froid devant ce présent, ou les blagues et les conneries de la famille manque cruellement. C’est en partie volontaire : après s’être extirpé de son cocon, Gunther n’a pas réussi à se construire une vie captivante. Cependant, je n’ai pas toujours saisi l’utilité de ces passages, surtout quand ils sont lourdement soulignés par d’inutiles violons qui font tâche au milieu du reste du film. Ce n’est qu’à la fin que ce parti-pris m’a convaincu, lors de la visite de la grand-mère à l’hopital, ou l’on comprend combien il est difficile de porter sur ses épaules d’où l’on vient et d’affirmer où l’on est. Pourtant échappé de ce cirque sans issue, Gunther traîne une mine fermée qui semble ne plus connaître la spontanéité et la dérision.
Peut-être est-ce également la profonde mélancolie émanant de ces passages qui m’a gêné : la prise de conscience que le temps passe et que la vie ne donne pas toujours la même chance à tout le monde, et qu’il faut parfois se battre pour être quelqu’un, même si on croit être déjà sauvé. Pour autant, malgré ce bémol, La merditude des choses est un film à voir et qui finit tout de même par donner le sourire. A poil !


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