Magazine Culture

La presse féminine en question

Publié le 24 novembre 2009 par Luxyukiiste
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Je fais une licence d’Information/Communication. Dans le cadre d’un TD, j’ai participé à un exposé sur le thème de la presse féminine. Ma partie consiste à expliquer quels sont les arguments en la faveur et en la défaveur de cette famille de presse, en insistant sur les changements opérés entre les années 1950 et l’époque actuelle. Comme je suis satisfait de mon travail et qu’il peut amener un débat, je vous en fais profiter ici. Le style est parfois relâché car je rédige toujours mes parties de cette façon pour qu’elles soient plus faciles à restituer en live à l’oral. Bonne lecture !

Pour avoir quelques informations sur la presse féminine, j’ai consulté ce livre : Presse feminine : la puissance frivole, écrit par Vincent Soulier, ancien dirigeant du marketing de Marie-Claire de 2000 à 2007. Et si le temps qu’il a passé à ce poste fait qu’il connaît bien la presse féminine, ça l’a aussi rendu selon moi bien trop complaisant vis-à-vis de certains aspects, ce dont je vais vous parler maintenant pour essayer de démêler les différents avis qui existent sur la presse féminine.

Premièrement, pour défendre la presse féminine on peut parler des nombreuses questions de société qu’elle a défendues, des questions souvent provocantes et avant-gardistes pour l’époque, comme l’homosexualité féminine, la pilule, l’avortement, la sexualité des mineurs, etc. Quand les mouvements féministes comme le MLF étaient critiqués de part et d’autres, les magazines féminins donnaient une place inédite a leurs revendications, ainsi qu’aux écrivaines féministes qui mettaient un peu les pieds dans le plat comme Simone de Beauvoir ou Francoise Sagan. Comme le rappelle l’auteur du livre, a l’époque, la loi sur la pilule était passée avec difficulté et au milieu de critiques venant de toutes parts, autant de la droite que de la gauche, car en plus de la revendication du plaisir sans contraintes, la pilule permettait aux femmes d’affirmer leur choix d’être ou de ne pas être mère, ce qui était impensable jusque-là vu que pour de nombreuses personnes, le rôle des femmes était en grande partie de faire des enfants. Compte tenu de l’ouverture tardive de l’éducation aux filles, les milieux littéraires et politiques étaient à l’époque dominés par les hommes, c’était donc très dur pour les femmes d’être là et d’exprimer en plus de ça des opinions iconoclastes et à contre-courant. De fait, c’était donc difficile pour les magazines féminins d’exister et leur survie s’apparentait à une lutte permanente contre l’ordre moral. Les magazines féminins ont permis aux femmes de se réapproprier leur personnalité qui a longtemps été sous le joug des hommes, tout comme leur sexualité dont personne n’osait parler dans les sociétés phallocratiques comme disent les féministes, a cause de la culpabilisation du corps issue de la religion et aussi de l’ignorance totale du plaisir féminin par rapport au plaisir masculin. En faisant une presse par des femmes pour des femmes, on défend l’idée qu’elles ont désormais le droit de s’occuper d’elles-mêmes sans qu’on leur interdise quoi que ce soit, et sans qu’elles fassent tous ces efforts juste pour plaire a leur mari comme le voulait la religion, mais pour elles-mêmes.

Coté art et mode de vie, le livre met bien l’accent sur l’importance qu’a eue la presse féminine dans le rayonnement de l’art de vivre et du luxe français dans le monde. Après la première guerre mondiale, Harper’s Bazaar, Vanity Fair et Vogue offrent a la haute couture française une audience déterminante. On fait aussi la promotion d’une mode moins restrictive pour celles qui la portent, vue comme une progression. En 1910, le couturier Paul Poiret fait abandonner le corset a ses modèles au profit du soutien-gorge. Dans le même ordre d’idée, plus tard, en 1970, Marie Claire conseillait a ses lectrices l’utilisation de sous-vêtements pratiques et légers à la place des gaines encombrantes. Pendant les Trentes Glorieuses, André Courreges, qui a introduit la minijupe en Europe, se justifie en disant vouloir lancer une mode dynamique avec le souci constant de la liberté du geste. La photo de mode, a contribué a faire connaitre des photographes comme Edward Steichen, coqueluche de l’avant garde et du mouvement pictorialiste américain, mais aussi, Man Ray, Picasso, et même Huxley, L’auteur du Meilleur des mondes. En Juin 45, Vogue publie un reportage photo sur les camps de Buchenwald et Dachau, réalisé par une femme proche des surréalistes, Lee Miller. Le milieu de la mode est proche de la création artistique et participe à sa diffusion. Parfois, les rédactrices en chef sont même trop en avance pour leurs patrons : en 1966, Edmonde Charles-Roux, alors à la tête de Vogue, est debarquée après la mise en une de la photo d’une mannequin noire. Selon elle, elle est même soupçonnée de communisme en raison de ses amitiés avec Aragon et Elsa Triolet, sa femme. Coté santé, les rédactrices et leurs conseils ont aussi fait évoluer certaines habitudes dans le domaine de l’hygiène mais aussi pour l’accouchement, avec la méthode de l’accouchement sans douleur présentée pour la première fois dans La revue des travailleuses en 1952, et progressivement adoptée par la plupart des femmes jusqu’à l’apparition de la péridurale.

Le problème de la presse féminine française actuelle, c’est que depuis sa création et les luttes importantes pour les droits des femmes en France, une nouvelle donne économique est arrivé, c’est le libéralisme économique. Ce n’est pas une théorie très compliquée : en gros, tout est bon pour faire de l’argent, même les bonnes causes et les luttes sociales. Voila pourquoi le corps féminin, dont le dévoilement pouvait constituer une provocation il y a quelques années est maintenant devenu l’objet d’un commerce comme n’importe quoi d’autre. Et même en creusant dans le passé, on peut découvrir des affirmations choquantes qui semblent n’avoir aucun rapport avec les buts que s’est fixé la presse féminine.

Deux citations pour commencer, une de Karl Lagerfeld en Octobre 2009 et une d’Helena Rubinstein dans Vogue en Mars 1939.
En réponse au magazine allemand Brigitte qui voulait publier des photos de vraies femmes au lieu des mannequins trop minces, le créateur de mode a répondu que personne ne veut voir des femmes avec des formes, et que seules les grosses mères de famille assises dans leur canapé un paquet de chips a la main critiquent les mannequins trop maigres. Quelques décennies plus tôt, on lisait dans Vogue que seule la femme mince parait jeune, seule la femme mince s’habille bien, seule la femme mince reste active ! En Octobre 93, on lisait même, dans Votre beauté, un tableau des mensurations et poids idéaux. La question qu’on se pose ici, c’est ou sont passées les rêves de libération et d’émancipation dans des affirmations aussi restrictives et définitives, qui n’ont aucun rapport avec le droit a l’auto-détermination que nous avons tous dans les sociétés démocratiques. Vue comme ça, la mode et les conseils beauté n’apparaissent comme rien d’autre qu’un nouvel ordre qui n’a pas plus de légitimité s’il est inventé par les femmes que par les hommes. On voit aussi ici un autre des problèmes de la presse féminine : son coté volage, qui passe d’une tendance a une autre, ce qui serait soi-disant a l’image de leurs lectrices, qui comme l’explique Vincent Soulier ont l’habitude de lire plusieurs titres selon les jours et selon les thèmes, peut-être a cause d’une tendance a l’indécision au détriment de la concentration, c’est en tous cas l’idée un peu réductrice que ça sous-entend. Je parle de tendance car selon le sens du vent, les magazines féminins se mettent parfois a privilégier les rondeurs, comme Marie-Claire qui écrit en une de son spécial minceur de 1999 : arrêtons de maigrir, ou Glamour qui titre en ete 2007 les filles se révoltent : marre de courir après la taille 36. On sait que l’image de la femme change selon les époques, il y a longtemps les peintures représentaient des femmes bien en chair, maintenant on est passé des peintures aux photos de mode et l’idéal a changé, mais la solution serait peut-être tout simplement qu’on laisse les femmes être elles-mêmes en célébrant leur richesse plutôt qu’en leur bombardant un idéal.

Le risque ici, c’est l’uniformisation, la transmission d’un idéal par les magazines, la télévision, la musique, cela aidé par la puissance médiatique des entreprises de cosmétique et de vêtements. En Janvier 2004, le site de l’association Acrimed, diminutif d’action critique médias, rapportait un sujet de Elle sur les femmes de Kaboul en Afghanistan, qui sont encore 9 sur 10 a porter la fameuse burka dont on nous parle beaucoup en ce moment. On apprend qu’une école de beauté vient cependant d’ouvrir ses portes. Les citations de l’article mises en exergue par Acrimed sont assez édifiantes :

Les élèves apprennent à faire des coupes, application de fond de teint et épilation de sourcil. Seulement voilà : les Afghanes qui privilégient le naturel, refusent encore la pose de faux cils, de faux ongles ou de mèches.

Formulation maladroite ou au contraire tristement naturelle, le refusent encore semble nous dire que la beauté naturelle, c’est vraiment has-been et qu’on n’a plus idée de sortir sans fond de teint de nos jours. On n’est pas étonné d’apprendre que derrière ça se cachent les grandes entreprises américaines de cosmétiques, Estée Lauder, Clairol, Revlon et Mac, qui ont fourni divers produit a l’école. C’est la magie de la mondialisation et du libéralisme, qui pourrait permettre au gens de mieux connaitre les autres pays et les autres cultures, mais qui au final propage surtout l’idéal défendu par ceux qui ont le plus d’argent. D’ailleurs, selon Acrimed, cette nouvelle tendance archi-commerciale de la presse féminine rend leurs combats de société bien moins crédibles qu’avant, et voici un exemple.

En Décembre 2003, Elle lance une pétition contre le port du voile a l’école, symbole de l’oppression féminine et atteinte a la laïcité. Pour Acrimed, il ne s’agit ici pour Elle que de se payer une cure de féminisme afin de renouer tant bien que mal avec son passé, et de promouvoir, en critiquant le voile, cette image de la femme occidentale, battante, sexy et consommatrice. Selon l’auteur de l’article, Véronique Maurin, Elle oublie de nombreux autres combats comme la dénonciation de la non application des lois de parités et de l’inégalité des femmes et des hommes face au travail. Vincent Soulier tente de répondre à ces critiques. Dans son livre, il consacre un chapitre aux opposants à la presse féminine et à ceux qui pointent ses défauts, en traitant d’un coté la critique religieuse et de l’autre la critique marxiste et anti-libérale. Sans remettre en cause une seule fois l’influence de la mode, le capitalisme, la consommation effrénée et l’uniformisation des comportements, il attaque les intellectuels en sous-entendant leur misogynie latente sans préciser le fait qu’ici, c’est une femme qui écrit. Et ce dont il ne parle pas non plus, c’est d’une comparaison que l’on peut faire au regard de ces deux exemples : à la libération des femmes de l’oppression des fanatiques religieux, on ne veut que substituer l’oppression du cosmétique et de l’image bourgeoise occidentale. C’est une critique qu’on retrouve souvent a propos des sociétés hédonistes, autant a gauche dans la critique anti-capitaliste qu’a droite dans la critique de Mai 68 : récupéré par les entreprises, le jouir sans entrave se transforme en société du désir régulée par les envies, la libido et donc la consommation, sans entraves non plus, pour ceux et celles qui peuvent se le permettre. Après avoir ouvert l’éducation aux femmes, on les aurait maintenant laissées aux portes d’entrée des magasins pour qu’elles remplissent leur rôle d’apprenties starlettes de la mode et de folles de shopping : cette indépendance, cette possibilité nouvelle de gérer son capital financier comme on le souhaite créait de nouvelles cibles pour les entreprises, comme les femmes afghanes en école de beauté étaient de nouvelles cibles pour les entreprises US. Maintenant que les femmes peuvent travailler, leur dernière liberté a défendre semble être celle de vider leur salaire comme elles l’entendent pour une soi-disante beauté normée. Cette mission d’uniformisation est expliquée de manière a peine voilée (sans jeux de mot) par Gerald de Roquemaurel, ancien patron d’Hachette Filipacchi Medias actuellement en poste a Lagardère Group :

Vous avez des lectrices entre dix-huit et trente ans qui vivent d’une manière extrêmement ouverte, très internationale, qui consomment plus ou moins les mêmes produits, sont intéressées par les mêmes films, les mêmes romans, qui ont des styles de vie plus ou moins comparables, qu’elles travaillent à Shangai à Paris ou à New-York, elles vont assez naturellement se rassembler sur la consommation des produits et donc assez facilement se fédérer autour des magazines féminins. Comme elles sont relativement semblables de pays a pays, ces magazines eux-mêmes vont pouvoir comprendre assez facilement ce à quoi elles aspirent.

Cette norme provoque aussi une véritable ségrégation sociale que Vincent Soulier ne touche jamais du doigt, lui qui parle pourtant souvent du luxe, des salons mondains, des intellectuels, de ce milieu qui n’est évidemment pas celui de madame tout le monde, ou l’on peut se cultiver, voir des spectacles, essayer les derniers parfums, courir les magasins, etc. Même s’il classe la presse féminine en trois familles, aristocratique, bourgeoise et populaire, cette presse populaire, malgré ses origines contestataires n’est autre que la presse people qui parle au petit peuple des déboires des plus riches. Le raffinement, la culture, l’élégance, ces valeurs françaises que défendrait la presse féminine aristocratique comme Vogue, ne restent accessibles qu’a celles qui ont la liberté financière et le temps de s’en occuper, pendant que les autres passent leur temps a rêver a ce qui leur apparait comme un exemple a suivre, comme les petits jeunes disent rêver en voyant jouer les sportifs. Le sérieux dans la frivolité et l’ironie dans le grave, cette expression lancée a la création de Elle, ce mélange de sérieux et de légèreté montré comme une qualité n’est pas forcement à la portée de celles qui souffrent tous les jours d’exclusions diverses et qui ne sont que peu concernées par l’évolution des dernières tendances. Cette fascination pour ces mondes inaccessibles se fait aussi en partie avec la présence des célébrités comme l’explique la rédactrice en chef beauté style et santé de Marie-France, Martine Marcowith :

Rien ne se fait plus sans people, ni un produit de soin, ni un maquillage, ni un défilé, ni un pantalon, ni une extension d’une couleur de cheveux. On assiste au mime des personnalités connues par les très jeunes femmes. Les marques n’ont jamais eu autant d’égéries comme si les jeunes femmes, pour croire a l’essai d’un produit ou a la vérité de sa nouveauté ou de son excellence, avaient besoin qu’une personnalité l’atteste.

Ce que ces magazines ne conçoivent pas, c’est, au fond, que ça puisse être égal à certaines filles de chercher en permanence a séduire, a se faire remarquer, a passer son temps a s’habiller, a se maquiller, a vouloir suivre les modes, avoir un style, etc. Dans le numéro de Décembre de Causette, tout nouveau magazine qui réactive le côté féministe et engagé, l’écrivaine féministe Virginie Despentes parle même de l’obsession crétinisante de la séduction féminine :

C’est une invention récente, qui va de pair avec la peur de l’impuissance masculine : « si je ne fais pas un gros effort, le pauvre n’arrivera jamais a bander. » La surconscience de la séduction est une agression contre la virilité, une façon de continuer a traiter les hommes en petits garçons qu’il faut aider, a qui il faut tout suggérer, et qui seraient bien incapables de sortir la stouquette si maman et ses très gros nibards ne l’y aidaient pas en sursignifiant qu’elle est d’accord.

Fin Août 2009, un nouveau féminin est arrivé dans les kiosques français, Grazia. C’est la treizième édition internationale de ce magazine édité par Mondadori. Avant sa sortie, on nous l’a vendu comme un magazine un peu différent, mais en feuilletant ça ne crève pas vraiment les yeux. Sur la couverture, déjà, rien que du classique, des personnalités, des vêtements, des astuces beauté et des mots-clés comme cool, chic et sexy, et a l’intérieur, on a des pubs, moins que dans d’autres, quand même, j’ai vu pire, mais niveau sujets, on reste sur la beauté, les célébrites, qu’elles viennent de la mode, de l’art ou de la politique. Ce qui m’a frappé c’est le sujet sur le single écolo sur lequel 50 célébrités ont chanté, qui est en écoute libre sur internet, et qui montre comme je le disais plus haut qu’on doit forcément passer par le people pour évoquer ce genre de sujets, a savoir ici Melanie Laurent et Marion Cotillard. Dans un article de Rue 89, le directeur de la publication de Causette donnait son avis sur Grazia :

Grazia véhicule l’image de la femme bronzée qui cultive sa “beach attitude” au bureau en portant une pochette à 850 euros.
C’est toujours le même monde frivole, qui tourne autour de Kate Moss, Victoria Beckham, Rihanna et Lagerlfeld… en parlant des enfants sans-papiers pour se donner bonne conscience.

Private Location

Merci à shesbiketuff et cweeks pour les photos.


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