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Un poison violent, très beau premier film de de Katell Quillévéré

Publié le 11 août 2010 par Petistspavs

Pas de Séance du Mercredi cet été, mais ça n'empêche pas de parler cinoche. D'abord le seul film vu en salle en un mois.

Un poison violent, premier film de Katell Quillévéré est indissociable de la bande-son du générique de fin. C'est donc sur la version adolescente, sobre et émouvante, entre cœur et ventre, de CREEP par la chorale SCALA que je vous dirai quelques mots du film.

Avant tout, tant du point de vue de l'émotion que de la rigueur cinématographique, ce film me semble le plus fort  (film français) vu cette année, aussi fort peut-être, mais avec une approche radicalement différente que le magnifique Hadewijch que Bruno Dumont nous a offert l'année dernière. Mais dans cette tempête intérieure qui fait tanguer une jeune fille entre son besoin spirituel et sa réalité physique, disons pour simplifier que, là où la Céline d'Hadewijch tombe du côté spirituel jusqu'à la recherche du néant, Anna, la petite miraculée d'Un poison violent, tombe du côté de la vie terrestre, physique et en accepte les angoisses et les promesses.

Poison_violent
Je reviens au film. En choisissant son sujet, Katell Quillévéré savait sans doute que le gouffre béant de la démagogie jeuniste fourmillant de toutes les conventions était très très proche, risquant d'entraîner son projet vers un de ces téléfilms sans hauteur, convenus, oubliés avant d'être vus. Or, ce projet casse-gueule l'a conduite jusqu'au Prix Jean Vigo, un des pris les plus prestigieux et ambitieux qui puissent couronner un film. Quelques rappels : ont, entre autres, obtenu ce prix, Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Claude Chabrol, William Klein, Chris Marker, Maurice Pialat, Philippe Garrel, Olivier Assayas et, notamment, Bruno Dumont. On est pas tout à fait dans la même cour que les Césars.

Au jeu des comparaisons, tout le monde a vu une certaine parenté avec la Thérèse d'Alain Cavalier. C'est,  comme souvent, Gérard Lefort qui, dans Libération, en parle le mieux : "On songe un peu à la Thérèse d’Alain Cavalier. Zinzin de Dieu, mais de son temps, comme si elle connaissait le mail perso de J.-C." Anna va vers, hésite à propos, accepte puis refuse par une feinte sa confirmation. Elle a 14 ans, elle est travaillée par une religion familialement acquise (sa famille relève de la bourgeoisie aisée et catholique du Finistère de l'intérieur, et ce n'est pas rien en termes de difficultés d'être à trimballer) et par une sensualité, la vision brouillée d'une possible sexualité qui s'impose à elle de manière naturelle. Après le prêche d'un prêtre à tête de mort et qui porte la mort dans ses paroles (l'esprit triomphera des bas instincts du corps), Anna choisit la vie.

Je ne veux pas trop dévoiler le scénario, d'ailleurs, cette fois, ce n'est pas le scénario qui fait le film, c'est la manière. Chez cette jeune réalisatrice, tout est dans la manière. La légèreté de la main qui fait monter la mayonnaise. L'ensemble est d'une grâce tout à fait rare et d'une subtilité bienvenue. Ainsi, Anna n'est pas un personnage immédiatement positif ou sympathique auquel il serait facile de s'identifier. Ses malaises (elle perd connaissance lorsqu'une difficulté la trouble ou l'ennuie) sont un peu suspects. Comme si le collapse la projetait dans une réalité autre et mieux-veillante.

La presse a critiqué son entourage. A mon sens, les vicissitudes des un(e)s et des autres forment le contexte éclairant, bien qu'angoissant, de ses propres interrogations. Chaque adulte qui compte, autour d'Anna, traverse une sorte de couloir de la mort obscurci par le rapport au sexe. La mère, Lio, (sublime, forcément sublime) est une femme abandonnée par son mari, mais aussi larguée par son éducation qui transforme sa jachère sexuelle en vide sidérant, exclusif de tout désir de vie. Le grand-père (merveilleux Michel Galabru), bloc de vieillard indigne et tendrement libidineux (la relation entre Anna et son grand-père est une des grandes réussites du film ; la pudeur de ce qui se passe, notamment ce qui ne devrait pas, trahit une grande cinéaste, mais Galabru, immense acteur trop souvent sous-utilisé - mais pas chez Bertrand Tavernier qui a su donner une expression cinématographique juste à ce faux comique - apporte une sérénité paisible à des scènes qui pourraient être discutables, par ailleurs) ndlr : cette phrase devient compliquée, suite de la phrase : , faux grabataire et vieil homme qui a aimé la vie et en prendrait bien une louche supplémentaire, est juste un obsédé sexuel qui n'a plus les moyens de son obsession. Le jeune et beau curé éprouve des démangeaisons du côté du pantalon, que ses voeux le contraignent à transformer en larmes de rage. Le père, inconstant, semble assez sain dans ce théâtre de cinglés, mais il est lâche ou éperdument épris de lui-même, ce qui est un peu la même chose.

Le petit copain d'Anna, tout petit à côté d'elle, resté dans l'enfance alors qu'elle atteint un entre-deux plus complexe, est magnifique. Il l'aime parce qu'"elle sent bon" et c'est une bonne raison. Il la violente un peu pour l'embrasser, mais c'est elle qui conduit le bal.

Le film n'exploite jamais la bretonnité dont il pourrait se réclamer et on lui en est gré.

Mais le miracle du film n'est-il pas de voir la métamorphose en actrice de la jeune Clara Augarde, jolie rouquine butée et complexe, céleste ?

N'hésitez pas à insulter les connards qui se lèveraient comme de mauvais diables devant vous, vous empêchant de rester un peu dans le film au cours d'un générique de fin qui, avec l'interprétation de Creep par Scala, nous fait monter au ciel. La BO est, d'ailleurs, constamment passionnante.

Il est rare que j'aime autant un film français.


AU CINÉMA CETTE SEMAINE

Aff_Orly
Un film qui donne envie, cette semaine, c'est ORLY, le deuxième long-métrage de la réalisatrice allemande Angela Shanelec. Envie d'un film qui ose la réalité, les rencontres, le jeu de l'humour et du hasard, le téléphone portable pour ne pas se parler, la vie en transit. Et puis les visages de femmes. Natacha Régnier la blonde, Mireille Perrier la brune, qu'on ne voit guère sur les écrans français et c'est bien dommage. Je me souviens de sa création aux côtés de Denis Lavant dans Boy meets girl  de Léos Carax et de sa création aux côtés de Denis Lavant dans Mauvais sang (récemment édité en DVD) de Léos Carax. Modern love (David Bowie, album Let's dance) était dans les deux films.

Comme une envie d'entre deux.

J'imagine que L'arbre, présenté à Cannes, sera plus consensuel. Et puis un visage de femme, encore, Charlotte Gainsbourg qui a peut-être décidé depuis quelques films de mettre un peu d'ordre dans une filmo assez chaotique et qui ne rend ni compte ni hommage de et à son talent tout à fait particulier.

L'affiche en est plutôt séduisante, mais je choisis cette photo du film de Julie Bertucelli qui sera mon image de la semaine.

Arbre

L'Espoir. Le regard d'une enfant vers...

Bonne semaine, bons films (allez donc voir du côté des rediffusions, il y a des merveilles, comme Un shérif à New York de Don Siegel avec Clint Eastwood, qui est tout sauf un film sérieux).


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