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Un été avec Proust: Du côté de chez Swann (4)

Par Jazzthierry

chopin.1281612497.jpgProust et Chopin. On a pour habitude d’associer Proust à la peinture tant les références notamment aux maîtres de la Renaissance sont nombreuses dans la Recherche, mais la musique n’en ai pas moins absente. Je pense à cette fameuse soirée chez Mme de Saint-Euverte. Swann s’y rendit sans Odette de Crécy qui demeura chez elle, avec le baron de Charlus pour lui tenir compagnie (ou la surveiller…). Proust en décrivant la scène, nous fait assister en réalité à deux spectacles: celui donné par les différents musiciens qui se succèdent pour animer la soirée, mais aussi le spectacle que constitue pour Swann, les commentaires des différents invités tantôt indifférents tantôt plus où moins sensibles à la musique et qui le plongeaient dans une «mélancolique ironie». C’est alors qu’un prélude de Chopin succède à Liszt (Saint François parlant aux oiseaux). Celui-là mort en 1849 à Paris (et dont le cœur fut ramené à Varsovie) n’était plus à la mode à la fin du siècle, c’est à dire à l’époque de Swann. Par contre trois ans avant la publication du roman de Proust, en 1910, à l’occasion de l’anniversaire du centenaire de sa naissance, on redécouvrit sa musique tout comme aujourd’hui en 2010, des festivals rivalisent pour lui rendre hommage. Se télescopent alors sous les yeux du lecteur, deux impressions presque opposées, celle empreint d’un certain snobisme des témoins directs, et celle du narrateur qui parlant de Mme de Cambremer nous dit « qu’elle avait appris dans sa jeunesse à caresser les phrases, au long col sinueux et démesuré, de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ, bien loin du point où on avait pu espérer qu’atteindrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie que pour revenir plus délibérément (…) vous frapper au cœur. »

Pourquoi le narrateur parle-t-il si bien de la musique de Chopin, de ces phrases « si libres » (songeant sans doute au rubato, cette liberté par rapport au temps rythmique et qui caractérise tellement l’auteur des Nocturnes) ? Sans doute bénéficie-t-il de ce changement de contexte qui réhabilite Chopin mais on a le sentiment aussi que Proust à travers le narrateur, évoque Proust lui-même, ou plutôt son style, ses longues phrases qui constituent un défi pour les traducteurs (surtout japonais…) encore aujourd’hui; en particulier lorsqu’il parle de ces « phrases (musicales ?) au long col sinueux et démesuré, de Chopin, … ». 

Photo de Louis-Auguste Bisson en 1849, l’année même de la mort de Chopin…


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