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Henri Lopes : Sur l'autre rive

Par Gangoueus @lareus
Henri Lopes : Sur l'autre riveUne narratrice. Son identité réelle ? Difficile de savoir, elle a dû changer cette dernière à plusieurs reprises. Nous sommes sur une île, dans les Caraïbes. Dans les Antilles françaises. Elle est peintre, elle vit avec un antillais mais elle vient d’ailleurs. Une exposition autour de son œuvre va avoir lieu à Pointe-à-Pitre.  Tout roule quand elle rencontre dans une rue, un couple d’africains, en particulier une femme qui semble la reconnaître et fait rejaillir des souvenirs profondément enfouis dans les méandres de sa mémoire...
Le récit d’Henri Lopès s’installe alors. Étonnante remontée dans le passé narrée par cette femme à la première personne du singulier. Voyage intérieur. Je dois avouer qu’en tant que lecteur, je suis une nouvelle fois frappé par la proximité de Lopès avec ses personnages. Féminin. Comme il le fût avec le baroudeur et dictateur Bwakamabé na Sakkadé de son célèbre roman Le pleurer-rire devenu un classique la littérature africaine. Oui, c’est la voix d’une femme qui revient sur son histoire. Par palier. Une première rive sur laquelle elle s’échoue est celle du Gabon. Libreville. Un couple chez des amis. On nage chez les élites, celles qui arrivent à tirer leurs marrons du feu. Nous sommes dans les années 70. Le couple de Madeleine semble en perdition sans que l’on ne sache trop pourquoi. Le lecteur suit la narratrice dans ses souvenirs brumeux.  A tâtons. Le rythme de l’écriture tient compte de l’avancée dans ses pensées de la peintre qui fut également interprète dans une autre vie. Un nom est lâché. Yinka. 
Une autre rive est celle du Congo, de Brazzaville, berceau de celle que l’on pourrait appeler Madeleine ou Marie-Eve. Le lecteur s'enfonce dans les abîmes de la mémoire de notre héroïne comme un naufragé aspiré au cœur  d'un maelström.
On imagine que le fleuve Congo a beaucoup pesé dans l’écriture d’Henri Lopès quand de Brazzaville, on voit les berges de Kinshasa, ou plutôt Léopoldville si on se place dans le contexte de ce roman. Disparaître pour réapparaître sur une autre rive. Tourner le dos à une vie, une histoire, un homme, des traditions oppressantes. Etre libre. Etre une ndoumba. Franchir l’interdit pour découvrir le désir, se défaire d’une innocence pour naître de nouveau...
Ce roman est un magnifique texte sur la femme. Femme multiple. Artiste, épouse, amie, adultérine, amoureuse. Congolaise initialement, mais finalement universelle...
Ma lecture de cet auteur est très espacée dans le temps. Il n’est donc pas aisé pour moi de faire une comparaison entre Tribaliques, Le chercheur d’Afriques, Le pleurer-rire ou ce roman. Mais, ce qui me parait intéressant, c’est cette faculté que possède cet auteur congolais de faire vivre des personnages si différents, de nous les faire découvrir si profondément dans leur intimité, cette force de nous conduire sur un autre rivage, celui de l’Autre. Ce qui m'étonne également c'est cette écriture qui est si différente suivant les romans.
L’écriture suit le rythme du cheminement de M.A sur une route qui est loin d’être plane, elle devient dense et poétique lorsqu’on atteint le cœur, la folie qui a saisi cette femme et là on se dit : « Bon sang ! Qu’est-ce qu’il écrit bien... »
Lisons l'écrivain diplomate nous parler du concept de la femme "ndoumba" au Congo :
Chaque matin, j'y poursuivais l'exploration d'une obsession dont j'étais la proie depuis Brazzaville. Un plan moyen sur trois visages de femmes. Trois ndoumba, un après-midi de grosse chaleur, s'entretiennent à l'ombre, dans une arrière-cour. Comme pour provoquer le public, je leur avais composé des visages d'intellectuelles au regard ironique et malicieux. Quand je me reculais pour prendre du champ et souffler un instant, j'étais assaillie de doutes. Ne convenait-il pas plutôt de revenir sur ce détail? Car les ndoumba n'ont pas cette distinction!... Du moins en général. Si vous vous adressez à l'une de ces dames ou à l'un de ces messieurs de la classe des fonctionnaires de chez nous, sans hésiter, ils vous traduiront ndoumba par prostituée ou, ce qui est à peine mieux, par poule de luxe. C'est de la malveillance. Les ndoumba sont des grandes dames, soucieuses de leur liberté et qui considèrent le mariage comme le cimetière des amours. Généralement superbes, la tête alerte, le maintien imposant , elles gèrent leurs charmes et leur beauté avec talent et avec le souci de tenir les rênes de leur destin. Putains, non!
Page 63-64, éditions du Seuil
Bonne lecture !
Henri Lopes, Sur l’autre riveEditions du Seuil, 1ère parution en 1992, 235 pages.Pour plus d'informations sur cet auteur, voir le dossier réalisé par Noel Kodia Ramata sur le site Afrology.

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