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Sarkozy, dealer de sécurité

Publié le 18 août 2010 par Variae

Brice Hortefeux est content : l’expulsion de masse des Roms a commencé. A grands frais (avions, prime de retour) on les renvoie vers la Bulgarie ou la Roumanie ; et pourtant, citoyens européens, ils pourront ensuite revenir en toute légalité en France, peut-être même plus nombreux. Absurde rocher de Sisyphe que le gouvernement sera donc conduit à repousser une fois de plus, dans un futur proche, en haut de la colline. Cette mécanique de mouvement perpétuel n’est pas limitée à la « question des gens du voyage », comme on dit à l’Élysée. On la voit aussi à l’œuvre dans le déploiement et redéploiement des forces de police, qui par d’habiles tours de passe-passe arrivent à progresser dans certaines zones sous le feu des médias, tout en voyant leur nombre globalement régresser, en dépit des discours. Et que dire des déclarations triomphantes sur la progression du taux d’élucidation des affaires par la police, quand à l’autre bout de la chaîne un système carcéral et judiciaire à bout de souffle, et financièrement exsangue, s’avère incapable de faire purger leurs peines à tous les délinquants ?

Sarkozy, dealer de sécurité

C’est en fait tout l’édifice sécuritaire sarkozyste, mis en place depuis 2002, qui est caractérisé par ce mode de fonctionnement circulaire et voué, non pas à la répétition des mêmes incidents, mais bien plutôt à une aggravation constante de la situation, à mesure que les gouvernements successifs donnent de plus en plus de la voix sans jamais disposer des moyens de leurs rodomontades. Les commentateurs de gauche tirent de ce bilan le constat d’un échec de Nicolas Sarkozy sur la sécurité. Et s’il s’agissait en réalité d’un système extrêmement pernicieux, sciemment assumé et dirigé ?

Notre époque, cela a souvent été dit, est marquée par toutes sortes de peurs. Liées aux incertitudes économiques, sociales, environnementales, et bien entendu à l’insécurité proprement dite. La peur est un affect puissant, dont le terrain des violences est un lieu privilégié d’expression, mais qui ne s’y limite pas. Comme tout affect, elle peut d’une part contribuer à faire déraisonner la société, et elle se satisfait d’autre part de réponses sur le vif, violentes et brutales. Le taux d’approbation au discours sécuritaire de Grenoble du président, même chez les sympathisants de gauche dans un premier temps, témoigne de la capacité de cette peur à transcender les clivages politiques et à rassembler le pays derrière un individu à l’image d’homme à poigne.

Dans cette optique, et dans une perspective parfaitement cynique de conservation du pouvoir, Nicolas Sarkozy n’a pas d’intérêt objectif à régler une bonne fois pour toutes le problème de l’insécurité, à supposer que ce soit possible, où à prendre le genre de mesures qui permettraient du moins de le combattre dans la durée. Maintenir un contingent de violence endurcie dans la société, des zones de non-droit qui explosent de temps à autre, peut même constituer une solution de repli lors de passes politiques difficiles – au hasard, lors d’un scandale entachant un membre central du gouvernement, ou pour attaquer des collectivités territoriales où la gauche est très forte. L’incapacité de cette dernière à assumer franchement une position offensive sur cette thématique rend l’équation encore plus profitable. Les violences, qui n’ont pas attendu l’été 2010 pour exploser dans notre société, faut-il le rappeler, peuvent être convoquées à l’envi pour faire une démonstration de force désormais bien rodée, se nourrissant de la peur ambiante et des complexes et pudeurs de la gauche.

Le processus n’est pas sans rappeler le fonctionnement des dealers auxquels Nicolas Sarkozy et ses ministres déclarent régulièrement la guerre. Les Français, mus par la peur que j’évoquais plus haut, ressentent un besoin quotidien ou périodique (selon leur exposition réelle aux violences) de sécurité, que le président vient régulièrement combler par ses discours martiaux et par ses mesures d’affichage conçues pour frapper les esprits. Mais comme les solutions apportées ne sont pas pérennes ni même efficaces, elles ne soulagent en rien ce besoin de sécurité au-delà de la satisfaction immédiate. Pire, comme les stupéfiants, elles aggravent en réalité l’état du « consommateur » et ne font que l’entraîner dans une spirale infernale. On fait mine de traiter les symptômes, tout en renforçant les causes profondes. Les dernières propositions de l’UMP – celle du gouvernement sur la punition des parents de délinquants ou sur les privations d’allocations familiales, celle de Serge Dassault sur un abaissement de la majorité pénale – en sont la parfaite illustration. Pense-t-on que c’est en déstabilisant plus encore les cellules familiales des jeunes à problèmes, ou en envoyant s’endurcir en prison (s’ils trouvent une place !) les jeunes délinquants que l’on améliorera durablement la situation ? La réponse est dans la question.

Le succès de ce système de complicité objective entre la droite et l’insécurité est logique : la peur se vit dans l’instant, et ignore le recul nécessaire pour juger de la réussite et de l’efficacité d’une politique. La peur exige d’être apaisée dans l’immédiat, c’est tout. La logique médiatique se satisfaisant aussi de cet horizon temporel très limité, l’Élysée et Matignon sont tranquilles : l’inefficacité sur le long terme de leurs choix en matière de sécurité ne peut tout simplement pas apparaître. C’est donc précisément sur ce point que l’opposition doit porter l’offensive. Pas (ou pas seulement) sur le terrain de l’humanisme effarouché, qui pèse peu face à la peur immédiate, encore moins sur celui des invectives (confere le « délinquant constitutionnel » façon Plenel) mais bien sur celui de la restitution du temps long. Il faut reprendre patiemment l’empilement de lois, d’effets d’annonce, mais aussi de décisions ayant entrainé une aggravation de la situation. Prendre Estrosi au pied de la lettre et créer un observatoire de la sûreté nationale, qui surveillerait au fil des mois  les agissements et les résultats de la majorité. Imposer en somme un arrêt sur image à ce mouvement perpétuel qui se nourrit de lui-même, et ramener la politique du coup de menton permanent à des faits simples : temps passé au pouvoir, moyens alloués, promesses, résultats. Dépassionner le débat pour désengorger la peur, casser le cercle infernal de l’addiction, et remettre un peu de bon sens dans cet été sécuritaire qui risque bien d’être indien.

Romain Pigenel


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