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Contre les anti-humanistes

Publié le 19 août 2010 par Argoul

Les humanistes aiment l’homme ; les anti-humanistes le détestent. Dès la Renaissance, renouant avec les philosophes antiques, les humanistes ont mis l’être humain d’ici-bas au programme, désirant développer ses qualités. Il s’est agit d’un objectif concret, ici et maintenant, pour épanouir l’humain voire aller vers le supra-humain. Si les hommes ne sont pas des dieux, ils peuvent s’en approcher. Les anti-humanistes prennent la voie opposée. Se référant à la Bible et à Platon, ils posent que ce monde n’est pas le Vrai, qu’il existe un au-delà où tout sera accompli, voire un avenir radieux où l’on rasera gratis. Le présent ou l’ici-bas sont quantités négligeables, mieux vaut les détruire radicalement pour édifier la Cité idéale ou éviter les tentations qui interdisent le Paradis.fenetre-latine.1276679585.jpg

Les premiers tiennent à la tradition, à la transmission, à la réforme progressive ; les seconds veulent, selon les mots de Karl Marx ne pas « tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir » (18 Brumaire). Pour changer le monde, détruire l’ancien ; pour changer les hommes, éradiquer les « vieilles pratiques » et rééduquer les réticents, voire laisser périr de faim les irrécupérables. Nous avons vu, au XXe siècle, ces deux courants s’affronter : d’un côté les massacres de masse au nom du Bien ou de la Race (toujours pour l’avenir radieux ou purifié) ; de l’autre la progression constante mais invisible des droits et du niveau de vie.

Nous pourrions nous dire que l’histoire a sanctionné l’obstination à « changer le monde » avec la chute du Mur de Berlin et l’éclatement de l’URSS, la conversion de la Chine communiste à l’efficacité capitaliste et les images caricaturales des vieux « révolutionnaires » confits dans leur ego, tels Castro ou Kim il Jung. Il n’en est rien : si l’internationalisme d’ATTAC se heurte aux résistances des pays émergents qui connaissent la face heureuse de la mondialisation, l’écologisme des nantis se porte bien qui veut figer le monde tel qu’il est en menaçant d’Apocalypse. Quant aux intellos, ils en sont restés à la posture de leur jeunesse : celle de l’anti-humanisme théorique des années 50 ou celle du tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil des années 70.

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Pour ces intellos élevés dans le sérail de l’après-guerre et imbibé de phraséologie stalinienne ou trotskyste, la culture était la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Bloc contre bloc, le monde nouveau exigeait l’éradication sans état d’âme de tout ce qui n’était pas communiste : le capitalisme, le libéralisme, le social-traître, l’humanisme. Tout cela était forcément « bourgeois » et « réactionnaire » puisqu’il ne vivait pas en dortoirs d’usines ni ne se laissait dépouiller sans combattre. Sartre, Merleau-Ponty, Foucault, Debord, Bourdieu… tous poursuivaient la déconstruction des philosophes du soupçon (Marx, Nietzsche et Freud) au nom de l’idéologie allemande d’Hegel et de Marx qui avait saisi comment réaliser l’Etre dans l’histoire.

Ne restaient plus que les rapports de force. Qui n’était pas avec eux était contre eux et ceux qui se voulaient ailleurs, comme Albert Camus, étaient traités de tous les noms, dont celui d’hyène dactylographe, qui plaisait fort à Sartre, n’était pas le pire. D’où contradiction : pour l’humanisme, les lettres sont supérieures aux armes parce qu’elles élèvent la raison au-delà des rapports de force pour favoriser l’ouverture aux autres et les échanges ; pour les lettrés des années 50 à 70, les lettres étaient réduites à n’être que des armes, avec toute la mauvaise foi, les mensonges éhontés et la manipulation qui va avec, lorsqu’elles sont brandies par des intellectuels. Il s’agissait de dresser les consciences avec des slogans et des sophismes, puis de dresser les corps avec les manifs et les AG. Il s’agissait de raviver les guerres de religions.

Nous n’en sommes pas sortis. Il suffit que Nicolas Sarkozy charge ‘La princesse de Clèves’ pour que ce roman vieilli (que nul ne lisait plus une fois l’école finie) se transforme en chef-d’œuvre de « résistance ». Au nom de quelle conception de la littérature ? Silence révélateur… Toute la formation littéraire qui consiste depuis un demi-siècle à « déconstruire » pour tout détruire de ce monde aristocrate et bourgeois retrouve-t-elle du positif dès lors que le pouvoir se moque du classique ? Tout le militantisme bobo en faveur du métissage et du multicultiralisme, qui consiste à brailler contre la loi dès qu’elle tend à donner des règles à l’immigration et au vivre ensemble, retrouverait-il des vertus à la culture « française » (incarnée par Madame de Lafayette) ?

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Constatons-le : la contradiction est nette. Le multiculturel est un relativisme absolu ; l’humanisme consiste à transmettre une culture. Dès lors se pose – légitimement ! – la question de l’identité nationale. Avec tous les guillemets qu’on veut sur le terme trop administratif « d’identité ». Mais on ne peut déplorer d’un côté la perte du « lien social » et de l’autre proclamer que tout vaut tout et que chacun est légitime à pratiquer le droit, les mœurs et les usages sociaux qu’il veut.

Détrôner le figé, remettre en mouvement le classique, déjouer les censures implicites de la morale et du langage – cela est bel et bien. Mais la critique n’est utile que si elle permet d’avancer. Pas de tout détruire sans rien mettre à la place qu’un rêve vieilli de cité idéale figée pour l’éternité, une fausse vérité « scientifique » du prophète Marx, une utopie léniniste morte dans le sang de milliers de victimes… L’esprit critique est le fondement du savoir scientifique, sans cesse en mouvement. Il fonctionne par hypothèses et validations, par essais et erreurs. Il n’a pas pour fonction de préparer à l’Apocalypse ni au Paradis éternel. L’esprit critique s’applique à tout, même aux révolutionnaires de bureaux à statut soigneusement protégé du licenciement, du chômage et des question de retraite. L’esprit critique est humble, il remet cent fois sur le métier son ouvrage – pas comme les prophètes autoproclamés.

L’irrévérence ne donne pas toujours la liberté, rire de tout ne bâtit ni un monde, ni des relations stables entre les humains. Tout ce qui bouge ne bouge pas forcément en mieux ; tout ce qui se métisse ne devient pas forcément plus fort, mais tombe trop souvent dans la soupe tiède du ‘mainstream’ et du politiquement correct aseptisé. Le libre-échange n’est pas le libre-échangisme car, pour échanger des biens mutuellement désirés, encore faut-il produire des biens DIFFERENTS. Ce n’est pas haine de l’autre de dire cela – au contraire, c’est le valoriser. Qui ne comprend pas la différence se complaît plutôt dans la haine de soi – il ne croit plus en rien et surtout pas en ses capacités, il ne sait plus rien car tout est déconstruit… Pire : il fait de ce nihilisme haineux, qu’a dénoncé Camus dans ‘L’homme révolté’ son fonds de commerce intello !


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