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Et l'on exterminera tous les intermittents...

Publié le 23 décembre 2007 par Jean Lançon

Je l'annonce comme une modeste et humble prophétie : dans 3 à 4 ans maximum, les intermittents du spectacle auront disparu. Beaucoup en sont convaincus, d'autres sont au contraire bien plus sceptiques, alors je vais donner ici les explications qui m'ont conduit à cette conclusion.

Créé en 1969, le régime des intermittents du spectacle avait été mis en place afin de permettre aux professionnels du spectacle de vivre de leur métier, malgré le caractère aléatoire de ce dernier. En effet - et tout au long de ce billet je ne parlerai que du domaine de la musique car c'est celui que je connais le mieux -, vous êtes musicien, on vous embauche pour une tournée de 20 concerts, et ensuite vous n'avez plus de contrat de travail, jusqu'au prochain bien sûr, mais vous ne savez pas forcément quand il tombera.

Ce régime a, depuis, été largement dévoyé :

  • par des sociétés qui embauchent des intermittents à l'année (or l'on n'est intermittent que si l'on accumule des CDD), ainsi les congés payés des intermittents sont pris en charge par la Caisse de Congés Spectacles, au lieu d'être assumés par la société de production ; idem d'ailleurs pour les cachets qui ne tombent que les jours de travail effectif ; ainsi ces sociétés disposent-elles de "salariés fidèles" sans se voir imposées les contraintes liées au CDI ;
  • par certains intermittents eux-mêmes qui, ne souhaitant pas payer d'impôts et, en vérité, souhaitant davantage vivre du système (indemnisé par l'ASSEDIC) que d'un travail effectif, accumulent leurs 43 cachets dans la période de référence, puis glandouillent ;
  • par les fraudes en tous genres, le travail au noir étant très présent dans le domaine du spectacle.

Alors, allez-vous me dire, il y a bien des contrôles pour traquer ces fraudes ?

Non. Ou très, très peu. Et c'est normal.

C'est normal, parce que la seule solution qu'ont trouvée les partenaires sociaux à chaque fois que les caisses destinées aux intermittents plongeaient dans le rouge, a été d'augmenter, encore et toujours, les charges sociales. Et alors que le régime des intermittents du spectacle s'inscrit dans la très vaste notion d'exception culturelle française, embaucher un artiste ou technicien coût 2 à 2,5 fois son salaire net.

Conséquence de cette augmentation massive des charges, le travail au noir se développe de plus en plus. Et les professionnels qui veulent travailler dans la légalité en sont bien évidemment les premiers lésés.

En revanche, ce travail au noir fait, aussi paradoxal que cela puisse paraître, les choux gras de l'UNEDIC, car le travail légalement déclaré se faisant de plus en plus rare, bon nombre d'intermittents "honnêtes" se voient exclus du régime, faut d'avoir pu réunir le nombre d'heures de travail suffisant dans la période de référence imposée par les textes. L'on va donc, désormais, vers un système qui va certes collecter de moins en moins de cotisations, mais aussi reverser de moins en moins d'allocations. Et tous calculs faits, le rapport entre cotisations perçues et allocations versées va devenir de plus en plus avantageux pour les caisses de l'UNEDIC. Cette dernière aurait-elle donc une bonne raison, une seule, de renforcer les contrôles pour lutter contre les fraudes ?

Dans 3 à 4 ans, ne resteront intermittents que l'élite des musiciens parisiens, ceux qui à longueur d'année naviguent entre albums de stars et tournées de stars. En gros, ne seront plus intermittents que ceux qui n'ont pas besoin de l'être, puisque leurs jours chômés, sur l'espace d'une année, sont très rares.

A ceux-ci s'ajouteront bien sûr les experts en fraudes, ceux qui arrivent toujours à compléter leur dossier à temps, et donc à encaisser les allocations, alors que généralement, à peine un cachet sur 3, dans le dossier qu'ils présentent, est réel.

Le régime des intermittents a donc perdu tout son sens. Nous allons voir apparaître, dans les mois et années qui arrivent, des mises en exclusion massives. Nombre d'intermittents, dont je fais (pour très peu de temps encore) partie, commencent à prendre leurs dispositions pour sortir du régime. Mais là encore, les obstacles s'accumulent :

  • il n'est pas autorisé de se facturer en tant que musicien sous forme de profession libérale ;
  • il n'est pas davantage autorisé de se facturer sous couvert d'un registre du commerce ;
  • le seul mode de rémunération d'un artiste est le bulletin de salaire spécifique de l'artiste (appelé "cachet"), ce qui implique cotiser pour alimenter les caisses de l'UNEDIC, qui n'auront quasiment plus personne à indemniser à moyenne échéance (à part les musiciens des stars, et surtout les fraudeurs).

J'avais fait une proposition aux candidats à la Présidentielle. Celle de laisser le choix à chaque artiste ou technicien, soit de se maintenir dans le régime des intermittents (aux risques et périls que cela comporte donc) en continuant sur le mode actuel, soit d'en sortir en se facturant à titre libéral, avec à la clef une exonération de charges correspondant au renoncement aux ASSEDIC et aux congés spectacles. Dans cette seconde hypothèse, il ne serait resté que la cotisation maladie et la cotisation retraite. C'était parfaitement jouable.

Aucun des candidats n'a relevé de défi sérieux, ou émis de propositions claires, pour assurer l'avenir des professions culturelles en France :

  • le cabinet de Nicolas Sarkozy m'a répondu que l'idée était "intéressante" ; on n'a rien vu venir pour autant ;
  • Ségolène Royal avait émis l'idée de faire repasser à 12 mois antérieurs (au lieu de 10 et demi) la période de référence pour la prise en compte des cachets ;
  • François Bayrou, deux jours après réception de mon courrier (mais je n'y vois pas nécessairement de lien de cause à effet), avait proposé, s'il était élu, "une loi qui réaffirme le statut de l'intermittence, fondé sur des principes justes, vertueux et équitables" ; certes une proposition un peu "tiroir", mais au moins celle-ci avait-elle le mérite de replacer l'intérêt culturel au centre des discussions sur les professions du spectacle.

Au-delà de la précarité financière que cause la crise du régime des intermittents, elle pose un problème tout aussi grave : face aux difficultés croissantes permettant d'accéder aux droits d'indemnisation ASSEDIC, et devant l'impossibilité de trouver une alternative solide et juste pour exercer leur métier, les artistes ont le sentiment d'avoir été "fonctionnarisés" et se sentent au pied du mur. Ce qui n'est pas la situation rêvée lorsqu'il s'agit de développer de la créativité.

D'où la tendance, de plus en plus sensible, émanant de nombreux artistes et techniciens, de sortir du régime. Quitte, en dernier recours, à continuer à cotiser. Jusqu'à ce qu'une décision collégiale décide de la mort du fonds d'indemnisation des intermittents. Si à ce moment précis, aucune décision législative n'est prise pour fournir une alternative afin qu'artistes et techniciens puissent avoir un mode de rémunération, la culture sera morte en France, pays de la... culture.

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