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Le Quotidien des sans -papiers N° 17

Publié le 23 décembre 2007 par Torapamavoa Torapamavoa Nicolas @torapamavoa
Samedi 22 décembre : le Quotidien des Sans-Papiers est disponible au format Pdf en téléchargement : http://quotidiensanspapiers.free.fr.
Ce bulletin d'information et d'alerte est libre de reproduction. Il est destiné à être imprimé par tous ceux qui le souhaitent - en particulier dans les collectifs de sans-papiers, afin d'être diffusé dans l'ensemble du territoire.
Vu sur INDYMEDIA
Ce numéro est consultable en ligne dans son intégralité.
QSP - http://quotidiensanspapiers.free.fr
Téléphone : 09 52 73 81 53 (en semaine de 14H à 20H, et même plus)
Principal lieu de vente (et de fabrication) :
Librairie Lady Long Solo - 38 rue Keller Paris 11eme.
La Radio des Sans-Papiers :
Vous pouvez dorénavant écouter des reportages sur les sans-papiers à cette adresse : http://quotidiensanspapiers.free.fr/w/spip.php?rubrique22
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La Télé des Sans-Papiers
La deuxième et troisième émissions de télévision de La Télé des Sans-Papiers ont été tournées.
La deusième émission (très intéressante et avec de nombreux invités) sera disponible dans quelques jours sur le site de QSP.
La troisième émission est déjà visible sur RueLéonTV (http://tv.rueleon.net/), la télé mondiale de quartier (18e arrondissement parisien). Elle passe en boucle quatre fois par jour.
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MARSEILLE REBELLE
"Il faut sauver le camarade Tastan, et tous les autres..."
Ferzende Tastan est passé en procès, devant le Tribunal de Lyon, pour avoir résisté à l'embarquement, lors de sa tentative d'expulsion le 10 décembre. Le juge aura suivi les réquisitions du procureur : trois mois fermes, plus trois ans d'interdiction du territoire. Trois mois de prison fermes, pour résister à une expulsion vers un pays où l'on risque trente ans de prison ! À l'heure où des médias turcs se félicitent de la "livraison" de celui qu'ils considèrent comme un dirigeant du PKK, la justice française aura réussi à faire preuve une fois de plus de son absence totale de vergogne.
de notre envoyé spécial
En arrivant dans le quartier du panier à Marseille je pensais à Izzo, l'auteur de polar qui m'avait fait aimer ce quartier avant même de le connaître. Je m'imaginais déambulant dans les rues escarpées, de bars en vieux port, de parfums iodés en saveurs anisées. Et puis, il y avait les sourires à trois cent soixante degrés et même plus de Christine, d'Agathe, d'Ivora. Et il y avait aussi la centaine de marches qui mènent à la terrasse dominant le vieux port et invitant à s'alanguir… Mais… Mais j'ai demandé en arrivant : « Il se passe quelque chose ici pour les sans papiers ? » Derechef, je fus informé qu'un rassemblement était prévu le soir même à 17 heures, station Bougainville. Je pris note du rendez-vous.
Au sortir du métro, on entendait le nasillement caractéristique des mégaphones enroués. La personne qui me précédait récrimina contre « ces gens qui n'ont rien à faire ici », lorqu'on lui proposa un tract.
Si elle avait pris le temps de le lire, elle aurait appris ceci :
« Monsieur Ferzende Tastan, Turc d'origine kurde, a été arrêté le 24 novembre à Marseille. Il est actuellement au Centre de Rétention Administrative du Canet, dans l'attente d'être expulsé. Il vit et travaille en France depuis cinq ans, avec sa femme et ses cinq enfants. Il a déposé à ce jour huit demandes de régularisation : sans succès. Et pourtant, son dossier était conforme aux critères définis par la circulaire Sarkozy de juin 2006. Alors qu'une partie de la famille Tastan a obtenu le statut de réfugiés politiques, Ferzende a essuyé un refus de l'OFPRA. (…)
En Turquie, c'est la prison qui attend M. Tastan, condamné par contumace l'an dernier, car il est soupçonné de soutenir la cause du peuple kurde. D'autre part, en l'expulsant vers la Turquie, la France l'expose à la possibilité d'une nouvelle condamnation, pouvant aller jusqu'à 36 années du fait qu'il est kurde. Tous les kurdes qui ont, comme M.Tastan, fait une demande d'asile politique sont accusés par le gouvernement d'Ankara d'insulte à l'identité nationale. Ils subissent tortures, humiliations, voire des exécutions extrajudiciaires. (…) »
J'eus le sentiment qu'on venait de me remettre la nécrologie du droit d'asile. Mais la cinquantaine de personnes réunies sur le parvis venteux, n'arborait nulle gueule d'enterrement. Slogans alternaient avec chansons. « Laissez passer les sans papiers » s'éleva sur la mélodie de Gainsbourg chantée jadis par Régine… Le détournement de rime est-il une arme efficace contre la politique hystérique d'un État raciste ?
Le cortège ne tarda pas à s'ébranler en direction du centre de rétention administratif du Canet. Une poignée de minutes plus tard, la cohorte s'arrêta devant une triste grille en fond d'impasse. Ma voisine m'expliqua qu'il s'agissait de l'entrée de la police de l'air et des frontières. « Les voitures et les fourgons renfermant les expulsés s'élancent de là. Généralement ils sortent en tombes, renversant les poubelles, dérisoires entraves, mises en travers du passage. » Le centre du Canet présente une particularité : le TGI siège à l'intérieur même du centre de rétention. Cette mesure facilite les jugements ad oc et les expulsions expéditives.
Ici, des étoiles de David, rouges sur fond jaune, marquées « sans-papiers », fleurissent au revers des manteaux. Des écharpes tricolores d'élus ceignent quelques torses. On remarque aussi des badges du collectif Uni Contre l'Immigration Jetable, d'autres du Réseau Éducation Sans Frontières, mais la caractéristique de la petite foule est surtout d'être très hétérogène. Des citoyens d'origines, de conditions sociales et de générations très différentes se côtoient.
Un peu en retrait se tient un homme à l'air digne et grave. Il s'agit de Monsieur Bobouch, le père de Samira, expulsée il y a peu par le port de Sète sans que personne n'ait pu s'opposer. Je me souviens de cette affaire ; nous en avons parlé dans le précédent numéro du Quotidien des sans papiers. Mais là, il ne s'agit plus de mots couchés sur du papier. Je fais face au visage d'un homme marqué par la tristesse de ne plus voir celui de sa fille. Il me raconte son histoire.
Monsieur Bobouch est arrivé régulièrement en France, il y a trente ans, pour travailler comme ouvrier agricole. Ses demandes réitérées de regroupement familial ont toutes été refusées au motif qu'il ne disposait pas de ressources suffisantes. Alors, comme tant d'autres Monsieur Bobouch dû trouver par lui-même les moyens appropriés de pallier les défaillances d'un État hors-la-loi au regard du droit international. Il appliqua sans le savoir l'article 16 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 8 de la Convention européenne des droit de l'homme qui notifient que le respect de la vie de famille constitue un droit fondamental, garanti par des instruments juridiques internationaux. Samira et sa soeur jumelle vinrent vivre avec leur père. Elles suivirent leur scolarité au lycée de Saint-Chamas, et Samira mit ses qualités relationnelles au service d'une association accompagnant des enfants autistes.
Arrêtée, suite à un contrôle routier le 19 novembre, l'adolescente fut placée en centre de rétention. Les juges, qui se sont déclarés « compréhensifs » sur sa situation, ont néanmoins rejeté tous les recours de libération !
Le 4 décembre, Samira, fut conduite jusqu'aux portes de l'avion par lequel elle devait être expulsée. Soutenue par le ramdam de ses amis dans l'aéroport et par des passagers sensibilisés, elle affirma son refus d'embarquement, si bien qu'elle fut reconduite au centre de rétention.
L'acharnement de la Préfecture à réaliser son quota d'expulsions conduisit alors les forces du désordre à déployer une nouvelle stratégie. Redoutant une nouvelle mobilisation de ses amis, ils exfiltrèrent discrètement Samira du Canet, la conduisirent jusqu'à Sète où elle fut brutalement menottée et embarquée sur un bateau à destination du Maroc. Les premiers soutiens arrivés sur place ne purent que manifester en vain leur indignation. Ni son père, ni sa soeur jumelle n'ont pu lui dire au revoir. Cette dernière, qui n'a jamais vécu séparée de Samira, songe régulièrement à se livrer à la police pour partager le sort de sa soeur.
Le rassemblement se termine en discussion sur les moyens à mettre en oeuvre pour faire échec à l'expulsion redoutée pour Monsieur Tastan et d'autres, cette nuit ou au petit matin par l'aéroport de Marignane. Chacun donne son avis ; les échanges et les conclusions sont pragmatiques : rendez-vous à l'aéroport à quatre heures du matin. Des personnes se relayeront cette nuit devant le Centre de rétention et donneront l'alerte en cas de signe d'expulsion imminente.
Virginie raconte cette nuit de veille :
Nous sommes restés dans une voiture face à l'entrée, bien en vue. Vers une heure du matin, un fourgon est sorti avec un expulsé à l'intérieur, vers deux heures des gens du CRA sont venus voir ce qu'on faisait. Nous leur avons répondu que nous faisions une veille citoyenne. Cette réponse n'a pas eu l'air de leur plaire. Ils ont contrôlé nos identités et vérifié les papiers du véhicule.
Le chef de patrouille nous a demandé combien de temps nous pensions rester : « Toute la nuit et tous les jours à venir ». Ça ne lui a pas plu et il a cherché à nous convaincre de partir : « Ça fait pitié de voir des jeunes perdre leur temps. Et après, vous aller prendre les sans-papiers chez vous ? Vous savez, il ne va rien se passer cette nuit. Vous pouvez rentrer… ». Vers 4 heures, un fourgon est arrivé. Nous avons appris que Erkan n'était plus dans sa chambre, les policiers semblaient très nerveux.
À 5 heures 30 une haie de policier s'est formée. Ils exhibaient leurs flash-ball. Est ce qu'ils craignaient une intervention citoyenne ? Nous avons vu monter trois personnes dans des fourgons aux vitres fumées. Ferzende Tastan n'était pas parmi eux, mais j'ai reconnu Erkan Barkin, une autre Kurde, père de trois enfants.
Samedi, 4 heures du matin. Une trentaine de personnes se retrouvent à Marignane.
L'information qu'un fourgon s'apprête à sortir du Canet circule. Les regards se tournent vers le tableau des départs. Quels vols sont-ils susceptibles d'embarquer les expulsés ? L'hypothèse du prochain vol d'Air Italia est retenue.
L'entour du comptoir est occupé. Slogans et messages fusent. L'enjeu est d'informer et convaincre les passagers de s'opposer pacifiquement à la présence d'expulsés parmi eux. Aucun policier n'est présent. « D'habitude, ils arrivent très vite. » Le baromètre indiquant en bleu marine notre présence sur un lieu sensible est donc au plus bas. Affleure la crainte que la préfecture ait décidé d'expulser nos camarades par la base militaire d'Istres.
5h48, le groupe apprend de source fiable qu'un expulsé est prévu sur le vol d'Amsterdam, puis qu'un fourgon est prêt à partir du Canet. Quarante-cinq minutes plus tard le véhicule est repéré à l'entrée de l'aéroport. Il file vers la PAF. Les compagnons d'infortunes entendent à leur descente. « Résistez, on est là ! » On peut deviner un sourire sur le visage d'Erkan.
À l'intérieur de l'aéroport, le climat se tend. Une équipe du personnel essaye d'intimider les militants et de récupérer les tracts qui jonchent le sol. L'interpellation des salariés à l'objection de conscience est entonnée de plus belle. Elle laisse de marbre ceux-là qui, dans un coin, devisent sur la « saleté des Kurdes » et la nécessité de recourir à des méthodes musclées avec ces passagers récalcitrants. « Ne t'inquiètes pas », dit l'un, « avec ce que je leur mets, ça ne traîne pas ». Dans la file d'attente, les passagers écoutent généralement avec attention l'information donnée par les militants. Quelques-uns donnent leurs coordonnées et acceptent de communiquer les informations lorqu'ils auront embarqué.
Ainsi apprendrons-nous que la présence d'expulsés fut sujette à débat dans la salle d'embarquement et que plusieurs passagers manifestèrent la ferme intention refuser de voyager sur un vol cellulaire. Devant cette révolte naissante, ou suivant simplement sa conscience morale, le commandant de bord refusera d'accéder à la demande policière et arguera qu'il manque un document pour motiver l'impossibilité de prendre les expulsés à son bord. Ce jour-là, à Marseille, la raison morale l'emporta sur la raison d'État. Mais, d'autres jours de lutte attendaient les Sisyphe des droits humains.
Et de nombreux autres articles...
Le Quotidien des Sans-papiers
le lundi 24 décembre 2007 à 00h04

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