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Grand-mère courage

Par Borokoff

A propos de Poetry de Lee Chang-Dong 3 out of 5 stars

Grand-mère courage

En Corée du Sud, dans la Province de Gyeonggi, Mija est une sexagénaire heureuse de vivre, comme en attestent ses tenues élégantes et bariolées. Un jour, elle s’inscrit à un cours de poésie. Mais deux drames vont gâcher sa vie. Le premier, c’est la découverte de sa maladie d’Alzheimer. Le second, la nouvelle que son petit-fils, qui vit chez elle, a participé au viol collectif d’une collégienne qui s’est suicidée en se jetant dans le fleuve Han…

Peut-on encore écrire de la poésie de nos jours ? Et cela a-t-il encore un sens ? Dans un monde de plus en plus pressé et qui se transforme à vitesse grand V (mondialisation oblige, mais aussi changements climatiques, etc…), la poésie est une pause dans le chaos d’un monde effréné. Un temps d’écouter de la nature, un moment suspendu, loin du tumulte et de l’agitation du monde.

Comme si prendre du recul sur le monde contemporain, c’était s’asseoir au pied d’un arbre et écouter le vent souffler dans ses branches. Ou parler des abricots à la mère d’une collégienne décédée. C’est ce que fait Mija (Yoon Jung-hee, magistrale de simplicité), personnage rêveur et insouciant, en apparence détaché mais qui cache son chagrin et une émotion vive. Choquée par les méfaits de son petit-fils.

Il y a une étude sociologique profonde dans le film, une analyse sous-jacente subtile des mœurs coréennes et du machisme d’une société dominée par les Hommes. Le petit-fils de Mija est un adolescent assisté qui met ses pieds sous la table au moment des repas et considère sa grand-mère comme un larbin ou une bonniche. Il trouve naturel d’être servi. Tout comme le vieux Monsieur handicapé dont Mija s’occupe. Dans les deux cas, à la femme coréenne revient un rôle et une position pour le moins archaïques. « Sois bonne et tais-toi ». Cette critique de la place régressive attribuée à la femme coréenne, dans une société dirigée exclusivement par les Hommes, était déjà formulée dans Breathless de Ik-june Yang.

Un exemple est significatif du sexisme ancestral de la société coréenne. C’est le temps que Mija prend pour oser parler à son petit-fils de ce qu’il a fait. C’est-à-dire qu’entre le moment où l’on apprend que le petit-fils de Mija a participé au viol et celui où sa grand-mère lui demande soudain pourquoi il a fait ça, il se passe une heure.

Dans Poetry, comme souvent dans les films coréens (miroirs de la société), les rapports entre les Hommes et les Femmes sont toujours emprunts d’une certaine brutalité de langage voire de violence physique. La grande force de Poetry est de parler en même temps de plusieurs sujets qui n’ont rien à voir entre eux. Et de réussir à les amalgamer dans une même matière filmique. Dans Mother, Joon-Ho Bong s’amusait avec les codes du thriller pour mieux critiquer la férocité des habitants d’une bourgade. Dans Poetry, Lee Chang-Dong parle de la vieillesse et de la maladie, d’une poésie en décalage avec le monde contemporain, mais son sujet central reste le machisme coréen.

Le fait d’écrire des poèmes ou non est un prétexte. Lee Chang-Dong n’est pas un moraliste. L’enjeu de son film n’est pas de trouver dommage ou pas qu’on ne puisse plus écrire des poèmes en 2010. Quel serait l’intérêt d’une telle démarche sinon une forme de réactionnisme ? Il faut bien vivre dans le monde où nous vivons. Lee Chang-Dong le sait. Et la poésie ne réside pas forcément dans le fait d’écrire des poèmes (vision terre à terre) mais dans toutes les formes d’expression plastique ou artistique. Le poème ? Une forme désuète et qui prête à sourire par son romantisme ou son côté sentimentaliste. Mija a une forme de naïveté dont ne se moque pas Lee Chang-Dong. Au contraire, son regard est teinté d’ironie mais tendre à la fois. Poetry, un poème dédié au chant des oiseaux et au murmure de la rivière Han ? Peut-être après tout…

www.youtube.com/watch?v=OPssF7kQYIM


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