Magazine

Bram van Velde

Publié le 23 avril 2010 par Lironjeremy
Bram van Velde

Souvent ils ont été montrés ensemble à la manière d’un duo ou d’un couple, comme on dirait Diego et Alberto Giacometti, Giorgio di Chirico et Alberto Savinio ou Robert et Sonia Delaunay. Sauf que les quelques similitudes que l’on peut trouver entre l’œuvre de Bram et celle de Geer Van Velde sont tout à fait fortuites, signes au départ d’influences semblables - on voit les couleurs fauves, quelque chose de Corinth au tout début peut-être, puis les rondeurs emboités des Picasso des années 30 (figures au bord de la mer et femmes dans un fauteuil), Matisse, Atlan, les juxtapositions douces de De Stael… - digérées par des personnalités picturales tout à fait différentes. Et ce que nous donne à voir une exposition qui les rassemble c’est la formation de deux peintres dans la première partie du XXème siècle, le progressif dépassement des influences, les tâtonnements et les rencontres qui président à l’élaboration d’une œuvre. Bram van VeldeAinsi, quand, à la maturité, Geer développe une œuvre claire et graphique mettant en scène à l’aide d’une touche sèche, dans de grands formats carrés, un espace épuré évoquant un peu l’œuvre de Viera Da Silva ou de Jacques Villon mêlées aux abstractions de Hélion, Bram, lui, mêle les noirs et les rouges dans des toiles allongées à la beauté convulsive. Les deux œuvres s’écartent, « comme deux hommes qui, partis de la porte de Chatillon, s’achemineraient, sans trop bien connaitre le chemin, avec de fréquents arrêts, l’un vers la rue du Champ-de-l’Alouette, l’autre vers l’île des Cygnes ». Si Geer essaie parfois sur papier des compositions très dessinées pour de futurs tableau, Bram tord et mêle des formes sombres sans préméditation ni étude. Il lui faut « le saut dans l’inconnu ». Il ne veut peindre avec la tête. Un peu comme Beckett, double littéraire rencontré en 36 ou 37 par l’intermédiaire de Marthe Arnaud, il cherche à se tenir « au plus bas », se laisser dominer par l’inconnu en soi. Beckett confiait un jour à Marice Nadeau : « Je ne parviens pas à écrire. Je ne suis pas assez bas. » Il dira à un autre moment : « je ne suis pas un intellectuel, je ne suis que sensibilité », s’engageant dans l’écriture de Molloy après avoir compris sa bêtise, ne voulant alors plus qu’écrire les choses qu’il sent. Il faut se démunir pour aborder au vrai des choses. Tout comme l’écriture de Beckett, la peinture de Bram van Velde s’est inventée dans une lente et difficile lâchée, un dessaisissement. « La toile ne vient pas de la tête, mais de la vie », elle échappe à la pensée, à la volonté. Elle est comme un constat. Elle nécessite de toucher le fond, pour partir enfin du vrai. Bram van VeldeTout comme Beckett, Bram van Velde est un exilé, tout comme lui il a vécu longtemps dans le plus grand dénuement, s’accommodant de peu, de concentration et de silences. De cela leurs œuvres portent la trace. Comme elles portent quelque part la trace de la sordide confusion dans laquelle semble être prise l’époque : l’œuvre de Bram Van Velde, comme celle de Beckett ou de Kafka semblent buter contre la faillite de la raison. Elles en portent la fatalité grave. Bram cessera littéralement de peindre entre 40 et 45, « incapable de poursuivre [son] œuvre ». Comme tout changement dans les consciences ouvre un monde, ces œuvres ont pu laisser apprécier leur nouveauté, défrichant des territoires, elles ont aussi mis ceux qui s’y aventuraient dans une situation inédite et terrible les confrontant à une sorte de vide. Situation semblable à celle qu’on dû connaitre les hommes quittant le monde connu d’Aristote pour envisager l’infini baroque. Beckett est parvenu à « contenir ce qui le poussait vers la folie », il avait en lui une vigueur irlandaise. Bram, lui, confesse qu’il n’est pas sûr que sans Beckett il ait pu tenir en 40. Quant à Kafka, la tuberculose le soustrait au siècle en juin 1924, redoublant en quelque sorte l’impossibilité d’achèvement qui parcoure son œuvre. En lâchant tout ils se retrouvent comme celui auquel les moyens manquent pour satisfaire un besoin néanmoins impérieux et tortionnaire. Beckett écrit de Bram : « Sa situation est celle de l’homme sans pouvoir, qui ne peut agir, en l’occurrence ne peut peindre, alors qu’il est obligé de peindre » ; on l’y retrouve aussi bien. Il y a quelque chose d’un aveuglement et d’une ténacité à aller précisément vers cet aveuglement. « Je suis dans le vide, rien à m’accrocher », confie le peintre. Et on essaie effectivement ce vertige, à contempler les toiles de Bram van Velde. On y laisse volontiers errer son esprit, comme sans doute celui qui peignait s’y laissait perdre, glissant vers l’inconnu en lui, essayant de retenir de lui à travers la peinture ce qui s’éparpillait « en mille morceaux », espèce de « moi en miette » dont parle Artaud, avançant nu, sans savoir, vers quelque impossible. Bram van VeldeEncore une fois, « la toile n’a rien à voir avec la raison raisonnante », il faut se laisser porter, suivant « un tracé qui se déroule au fur et à mesure comme la bave de la limace », accepter cette impression de « choses dans le vide », de chose en suspend ou morte, idéalement. L’œuvre de Bram, ses gouaches plus particulièrement, vous absorbe et vous perd en elle. On lui trouve quelques raffinements, une certaine élégance dans le geste qui fascine tout d’abord, la dérive lente, délicate, du pinceau, l’ajustement des teintes, toujours subtiles, les transparences légères, une certaine plénitude. Il y a pourtant quelque drame au fond. « La toile est liée à un drame fondamental ». Comme un abîme, un nœud : on a du mal à saisir un structure, on sent quelques contradictions, des affrontements silencieux, les dessins d’une âme qui bute à un mur. On est sans appui. Je pense à Antoine Emaz et comme la langue se fait dans ces affrontements au mur. Bram lui-même s’épuisait dans ces impasses, ces convulsions de la ligne, ces tensions : « c’est difficile à porter jusqu’au bout ». La peinture exige une telle énergie. Les lignes se brisent, s’interrompent, terrain accidenté, d’autres se ferment sur des formes affaissées, comme des plis sombres alors que dessus passe une transparence claire, comme une aile. Tout est cheminant, rien n’est figé. « Un dévoilement sans fin, voile derrière voile, plan sur plan de transparences imparfaites, un dévoilement vers l’indévoilable, le rien, la chose à nouveau. », écrira Beckett encore dans son court peintres de l’empêchement. Tragique, vitalité, foisonnement d’un monde incorporé. Bien sûr, après ça il suffit de « regarder en soi. Tout est là » dans ces tremblements d’un monde qui, en soi, cherche à naitre, auquel il faut être attentif. Parlant de Beckett, Bram a ces mots : « Il avance seul, à la découverte de cet être que nous connaissons mal et qui gît au fond de nous ». Parfois se retrouver chassé du travail, n’avoir plus que l’errance. Mais cette errance là c’est un peu comme de continuer à peindre.

Exposition jusqu'au 19 juillet 2010, Musée des Beaux-arts de Lyon.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Lironjeremy 836 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte